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PROCHE-ORIENT
La face cachée de la politique européenne
8 janvier 2004
Par Dominique Waroquiez
Comité de Soutien au Peuple Palestinien d'Ottignies - Louvain-la Neuve
Pendant que les mass-médias nous vantaient les mérites
de la Feuille de route (baptisée parfois Feuille de route vers la paix),
dans les Territoires palestiniens occupés, des dizaines de familles
devenaient pratiquement des sans terre, des centaines d'oliviers étaient
arrachés, tronçonnés, des moutons étaient privés de pâtures, des
serres d'agriculture biologique, des commerces étaient écrasés, des
milliers de Palestiniens étaient emprisonnés dans leur propre pays, des
dizaines de camions, bulldozers et autres engins contrôlés par l'armée
d'Israël allaient et venaient en paix et construisaient des dizaines de
kilomètres du "mur" (un dispositif militaire hautement
sophistiqué, colossal et très coûteux), volant encore plus de terres,
d'eau et donc de ressources vitales aux Palestiniens et agrandissant à
vitesse TGV le territoire d'Israël. Si bien que fin août, 175 kilomètres
étaient déjà construits. La première phase est terminée, son bilan
est affolant (www.pengon.org), mais
malgré cela le mur continue à être construit.
Depuis, l'Accord de Genève (rejeté par le gouvernement et une partie de
la population d'Israël) s'est ajouté à la Feuille de route. On nous répète
que l'UE le soutient et qu'elle ouvre de toutes ses forces pour la paix au
sein du Quartette, l'instance diplomatique dont elle fait partie avec les
USA (occupant l'Irak), la Russie (qui détruit la Tchétchénie de fonds
en comble) et... l'ONU.
Pourtant, si on s'intéresse d'un peu plus près à ce qui se passe au
sein des instances européennes responsables de l'Accord d'association
UE-Israël, on est en droit de se poser pas mal de questions, tant l'écart
semble énorme entre d'une part les discours diplomatiques et d'autre part
les décisions prises relatives à cet Accord d'association, encore peu
connu.
Pour rappel, l'UE, partenaire commercial le plus important d'Israël et bénéficiaire
des échanges commerciaux, est liée à ce pays depuis 1995 (Processus de
Barcelone) par un accord de libre-échange. Cet accord, de même que les
accords bilatéraux de même type conclus avec d'autres pays de la Méditerranée,
s'inscrit dans la volonté de l'UE de construire pour 2010 une vaste zone
de libre-échange avec la Méditerranée.
L'accord commercial comporte deux articles qu'Israël viole de manière
systématique: l'article 2 et l'article 83 ("règle d'origine").
L'article 2 stipule que l'accord est lié au respect des droits humains et
des principes démocratiques considérés comme élément essentiel de
l'accord.
On sait ce qu'il en est.
L'article 83 précise que les produits pouvant bénéficier de réductions
de taxes sont les produits d'Israël. Or, depuis des années, une partie
des produits arrivant comme produits d'Israël sont des produits des
colonies qui bénéficient par conséquent de l'accord d'association de
manière frauduleuse.
Les responsables européens et les Ministres des Affaires Étrangères des
pays membres sont informés, mais le commerce continue. Alors que les
colonies sont illégales au regard du droit international et que la
colonisation des Territoires occupés constitue une violation de la Quatrième
Convention de Genève, les produits cultivés par les colons sur les
terres palestiniennes avec de l'eau volée continuent à arriver avec les
produits d'Israël à Bierset (Agrexco), à Marseille au quai Carmel, sur
les marchés de fleurs des Pays-Bas... bénéficiant en plus de réductions de taxes auxquelles ils
n'ont pas droit.
Le 10 avril 2002, il y aura bientôt 2 ans, une majorité au Parlement
européen (issu des élections) a voté la suspension de l'accord violé.
Cependant, le vote n'est toujours pas appliqué par manque de volonté
politique de la Commission (pourtant "gardienne des traités"!)
et du Conseil des Ministres. Ceci vaut à l'échelle des divers pays
membres où des propositions existent cependant (par exemple en Belgique).
En fait, que se passe-t-il?
Il y a plusieurs mois, l'UE a autorisé Israël, auteur des violations, à
rechercher des "solutions techniques" au "problème".
Fin novembre, Ehoud Olmert, Ministre israélien du Commerce et de
l'Industrie et numéro deux du Likoud (le parti d'Ariel Sharon), indiquait
qu'un compromis avait été trouvé: la localité d'origine des produits
exportés serait indiquée (Dépêche de l'AP du 25/11/03 reprise en
partie dans Le Soir du lendemain). Ehoud Olmert, promoteur des colonies dans les années 80,
s'est justifié auprès de son parti et des colons en disant que les
pertes seraient compensées et qu'il avait tenté d'éviter ainsi des
sanctions plus lourdes (allusion à la suspension et/ou au paiement rétroactif
des taxes liées à ce commerce frauduleux?) Quant au porte-parole du
Commissaire européen du commerce, Pascal Lamy, il aurait démenti
l'affirmation d'Ehoud Olmert. Selon Le Courrier International (27/11/03),
la Belgique, la Grande-Bretagne et l'Allemagne auraient préféré la
"solution technique" à des mesures plus importantes. Ehoud Olmert, entre-temps, a pourtant indiqué
la politique qu'il défendait: poursuivre le mur en créant une nouvelle
frontière, quand bien même une résolution contraire avait été votée
par la majorité à l'Onu (Le Soir en ligne 22/10/2003) et concrétiser le
Plan Sharon (Le Soir 22 /12/2003): enfermer les Palestiniens sur un
territoire qui ne représenterait même plus 22% de la Palestine
mandataire. Un triple choix serait alors laissé aux Palestiniens: se
soumettre et devenir dépendants d'entreprises israéliennes installées
le long du "mur", se révolter, ou partir (autrement dit le "transfert", solution d'extrême droite défendue par la droite
du Likoud et les colons).
Mais comment donc les décideurs de l'UE justifient-ils le commerce avec
les colonies illégales et, plus globalement, cette complaisance, cette
complicité, envers les colons et les gouvernements israéliens qui les
protègent et les défendent, alors que plusieurs d'entre eux, comme le
Ministre Belge des Affaires étrangères Louis Michel, osent encore parler
d'équidistance?
Comment justifient-ils le fait que l'UE se contente de "surveiller de
près la progression de la construction du mur et ses conséquences pour
la population palestinienne" (Lettre de la Commission, 4 /9/ 2003)?
Comment justifient-ils leur opposition non seulement au vote du parlement
européen mais aussi à la requête de suspension entamée par des
dizaines de milliers de citoyens et des dizaines d'associations pour la
paix, la défense des droits humains,... de plusieurs pays membres (ex: la
Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, Agir Ici, la Plateforme des ONG flamandes
pour la Palestine, l'Actie- platform Palestina, les trente-et-une
associations et comités de la Campagne Citoyenne pour la suspension en région
francophone de Belgique, le réseau des Juifs Européens pour une Paix
Juste (18 associations de neuf pays Européens, dont l'UPJB) et la
Plateforme belge francophone Stop aux Fruits de l'occupation, nouvellement
constituée)?
Ici encore, les arguments sont stupéfiants, outre l'argument déjà évoqué
du souci d'"équidistance".
D'abord est évoqué le fait que l'UE ne va pas suspendre ses accords
chaque fois qu'ils sont violés et que les accords (y compris les éléments
indiqués comme essentiels: les droits humains et les principes démocratiques)
sont à envisager sur le long terme (d'abord le commerce, autrement dit).
On assiste également à un jeu malsain qui discrédite la politique aux
yeux des citoyens qu'on appelle à voter: les responsables au niveau européen
renvoient la balle au niveau national ("L'UE est divisée")
tandis que les responsables au niveau national renvoient la balle au
niveau européen ("L'UE devrait agir"). Tout ceci est peu crédible
du fait que l'UE dans d'autres cas s'est montrée unie et forte et a
suspendu des accords bilatéraux (Zimbawe, Haïti...).
Autre raison évoquée: "ce n'est pas le moment" (?), ou encore
l'UE souhaite rester "un courtier honnête dans la région".
L'argument est pour le moins renversant: l'ensemble de l'économie
palestinienne est détruite ou asphyxiée et plus de 65% de la population
des Territoires occupés vit en état de dépendance vis-à-vis de l'extérieur,
tandis que l'armée d'Israël, notre partenaire commercial, a démoli pour
quelque 30 millions d'euros d'infrastructures palestiniennes "subsidiées
par l'Union Européenne" et notamment des infrastructures nécessaires au commerce palestinien. Last
but not least: demander la suspension de l'accord violé par Israël qui
entretient la confusion sur ses frontières, viole la Ligne verte depuis
des dizaines d'années et pratique un commerce frauduleux avec l'UE, équivaudrait
à délégitimer Israël, argument repris notamment en Belgique par le
Ministre des Affaires étrangères Louis Michel, ou encore par Shalom
Archav (Regards, 20 mai 2003).
Autrement dit, l'UE, moteur de la mondialisation libérale, se comporte
ici comme elle s'est comportée avec les pays ACP lors de l'Accord de
Cotonou: elle défend "le marché", ses intérêts financiers,
plus qu'elle ne se soucie de la justice et du droit international,
pourtant gages de paix durable.
À nous donc d'agir et d'obtenir une politique plus juste, plus cohérente
par rapport aux discours évoquant le droit international ou prônant la
paix, l'éthique dans le commerce, le respect des droits humains et des
principesdémocratiques.
Ce qui se passe est une honte.
Dominique Waroquiez
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