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Les
Palestiniens méritent mieux que ça !
par MARWAN BISHARA
mardi 23 décembre 2003
Les
récents développements montrent à l'évidence qu'aucune juste cause n'a
été aussi mal gérée par ses représentants, traitée de manière aussi
cynique par les dirigeants occidentaux et arabes, combattue de façon
aussi cruelle et arrogante par ses adversaires que ne l'est la lutte pour
la libération et l'autodétermination des Palestiniens. Tant que les
différentes parties ne prendront pas en compte les fondements moraux de
la tragédie palestinienne, aucune acrobatie diplomatique ni a fortiori la
violence ne pourront apporter une solution au conflit actuel.
A commencer par la politique d'Israël en Palestine. A la suite des
politiques eschatologiques d'Ariel Sharon qui a tout détruit, sauf la
volonté et la capacité héroïques de résistance des Palestiniens à
l'occupation militaire, le général en chef de l'armée israélienne,
Moshe Ya'alon, avait finalement abouti au constat que les mesures de
répression violentes étaient contre-productives : depuis le début de
l'occupation israélienne des terres palestiniennes en 1967, les
Israéliens n'ont jamais enregistré autant de pertes en vies humaines.
Cependant, Sharon estime que, si l'oppression n'a pas donné de résultat,
plus d'oppression en donnera !
Nanti de plus de 130 postes de contrôle en Cisjordanie, il durcit ses
bouclages et couvre-feu, impose de multiples restrictions sur la mobilité
parallèlement à la construction du mur de séparation raciste, détruit
des maisons par douzaines et assassine aussi une douzaine de Palestiniens
chaque semaine. En réaction à cette destruction, les réponses des
Palestiniens ne sont ni adaptées ni unifiées. L'Autorité palestinienne
est totalement paralysée et, aveuglés par leur intérêt personnel, ses
dirigeants ne peuvent même pas percevoir qu'ils sont devenus les jouets
du gouvernement Sharon.
Les islamistes et d'autres factions, qui tentent de limiter la lutte de
libération palestinienne aux attentats suicides, sont contre-productifs.
L'assassinat de civils israéliens innocents aliène des pans entiers de
l'opinion publique israélienne et occidentale et sape l'indispensable
légitimité morale et éthique de la cause palestinienne. Ces attaques
donnent, hélas, à Sharon de parfaits alibis !
Du côté diplomatique, des officiels proches d'Arafat ont signé - avec
sa bénédiction - l'accord de paix de Genève. Même si ces accords
proposent, en théorie, davantage de retraits israéliens et un langage
plus clair sur la souveraineté palestinienne, ils n'ont été signés que
par une minorité de l'opposition israélienne, pas par son gouvernement.
Ce qui permet à Sharon de déclarer que ces accords - dénoncés aussi
par les dirigeants travaillistes - sont subversifs.
Les compromis palestiniens incluaient l'abandon de leur droit au retour
dans leurs villes et villages et l'acceptation de l'extension de la
souveraineté israélienne sur une majorité des implantations illégales,
permettant ainsi à Israël de conserver toutes les zones occupées de
Jérusalem-Est annexées illégalement depuis 1967.
La partie israélienne a bien pris garde de satisfaire le besoin
palestinien de s'en référer aux résolutions de l'ONU. Pourtant, les
engagements qui en résultent sont très loin de satisfaire à l'esprit ou
au contenu de ces résolutions. Par exemple, le document qui se réfère
à la résolution 194 de l'ONU (le droit de retour, fondamental dans
l'accord sur les réfugiés) l'annule pratiquement.
Une telle phraséologie contredit l'historiographie palestinienne et
torpille les fondations morales de leur lutte séculaire contre la
colonisation, le colonialisme et l'occupation. Elle échoue aussi à
reconnaître le droit d'un million de citoyens palestiniens d'Israël à
vivre dans un Etat démocratique pour tous ses citoyens, Juifs et
Palestiniens.
Les dirigeants européens ont applaudi au plan de Genève, comme ils l'ont
fait à tous les accords de paix précédents qui ont échoué et ont
été oubliés. Contrairement à la majorité de l'opinion publique qui
considère Israël comme un grave danger pour la paix mondiale, ils
choisissent de condamner le terrorisme du Hamas et préparent en même
temps un nouvel accord d'association avec le gouvernement de Sharon. Ce
même Sharon qui, selon Amnesty International, a « commis des crimes de
guerre » dans les territoires occupés...
Finalement, le bilan pour les Palestiniens semble très noir. Qui pourra
les sauver de leurs propres dirigeants et de la férule oppressante de
Sharon ?
http://www.lefigaro.fr/debats/20031220.FIG0151.html
MARWAN BISHARA est Professeur (Arabe israélien) à l'American University
de Paris.
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