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Émergence
d’une nouvelle donne au Proche-Orient ? L’intellectuel palestinien Elias Sanbar voit dans les évolutions récentes et le changement de ton de Washington des raisons d’espérer. Entretien. Elias Sanbar est directeur de la Revue d’études palestinien-nes, et auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la Palestine (1). Le gouvernement israélien a adopté le plan d’évacuation
des colonies de la bande de Gaza. Mais dans le même temps, il autorise
la construction d’une nouvelle colonie en Cisjordanie et continue la
construction du mur. Elias Sanbar. La question est de savoir ce qu’il y a au bout de ce plan. Si le retrait de Gaza est un prélude à d’autres démantèlements de colonies en Cisjordanie, cela peut permettre la reprise de réelles négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens. Si le retrait s’arrête à Gaza et constitue le prélude à l’annexion de la Cisjordanie, on va immanquablement plonger dans une nouvelle crise. Quant aux contradictions que vous relevez, elles s’expliquent à mon sens par le fait que le plan Sharon ne dépend plus seulement d’Ariel Sharon. Il est pris dans un engrenage qu’il a lui-même déclenché. C’est cela qui constitue la nouvelle donne. Dans l’esprit d’Ariel Sharon le retrait de Gaza n’était que la première partie d’un couple dont la seconde était l’occupation de la Cisjordanie. Mais les Américains l’ont pris au mot sur la question du retrait et sur celle de l’État palestinien. Ils veulent une solution qui passe par un vrai État, véritablement indépendant, pas par des bantoustans épars. C’est tout à fait clair dans les déclarations du président Bush. Ça l’était déjà depuis la venue de Condoleezza Rice dans la région. D’ailleurs, la rencontre de Charm el-Cheikh ne s’est pas du tout passée comme l’espérait Sharon : pour la première fois, il a dû accepter la réciprocité d’un cessez-le-feu bilatéral, qu’il avait toujours rejeté. J’y ai vu, pour ma part, l’empreinte américaine. Cette trêve annoncée par le président palestinien Mahmoud Abbas a-t-elle quelque chance de tenir ? Elias Sanbar. Oui, je le crois. Si on regarde l’histoire récente, on se rend compte que les trêves précédentes ont volé en éclats pour deux raisons : quand les négociateurs palestiniens revenaient les mains vides et quand les Israéliens continuaient à procéder aux assassinats ciblés. Si ces assassinats s’arrêtent comme Israël s’y est engagé, la trêve tiendra. Est-ce que Mahmoud Abbas est mieux placé que son prédécesseur, Yasser Arafat, pour tenir en respect les groupes armés comme le Djihad ou le Hamas ? Elias Sanbar. Non, pas du tout. Mais on n’a pas donné au président Arafat ce que l’on donne aujourd’hui à son successeur : les libérations de prisonniers, l’arrêt des assassinats et l’arrêt des démolitions de maisons. D’ailleurs, il faut se souvenir que Mahmoud Abbas lui-même, quand il était premier ministre, n’avait rien obtenu de tout cela et que la trêve qu’il avait négociée n’avait pas tenu. Et pourtant, il tenait le même discours qu’aujourd’hui. Qu’est-ce qui a changé, alors ? Elias Sanbar. Ce qui a changé, c’est la pression extérieure et en premier lieu la pression américaine. Il y a un changement très net dans la position des États-Unis. Ils ont intérêt, en ce moment, à ce qu’il y ait une solution au Proche-Orient. George Bush veut même réintroduire les Européens dans le jeu, ce qui n’est pas du tout bien vu en Israël. C’est une sorte de cadeau qu’il est prêt à leur faire pour qu’ils s’impliquent davantage dans l’affaire irakienne. Il est en train de se passer ce qui s’était déjà passé après la première guerre du Golfe, en 1991 : c’est après l’avoir gagnée que les Américains ont déclenché le processus de paix de Madrid. Aujourd’hui, ils ont à nouveau le sentiment d’avoir gagné, donc ils bougent. Qu’ont-ils gagné ? Elias Sanbar. Ils ont le sentiment d’avoir gagné en Irak, d’avoir réussi les élections afghanes, irakiennes et palestiniennes. Ils viennent aussi de réussir leur réconciliation avec l’Union européenne et ils sont sur le point de réussir un coup contre la Syrie au Liban. Il faut ajouter à cela la bataille présidentielle que George W. Bush a gagnée et les changements qui ont suivi dans son entourage : Rumsfeld est pratiquement hors jeu et c’est Condoleezza Rice qui tient tout. Elle n’est ni mieux ni pire, mais elle travaille autrement. Par exemple, c’est sur son injonction personnelle que le gouvernement israélien a dû renoncer à appliquer à Jérusalem-Est la loi sur les biens des absents, qui lui aurait permis de confisquer les propriétés de milliers de Palestiniens. Elle a compris que c’était là une véritable bombe prête à exploser. Pourquoi, dans ce cas, laisser Sharon poursuivre la construction du mur, qui est aussi un obstacle à la paix ? Elias Sanbar. C’est effectivement un des éléments qui fragilisent le plus la situation. Mais Sharon vient de dire que ce n’était pas du tout une frontière et les Américains pensent qu’il y aura effectivement moyen, quand on sera parvenu à une solution, d’en changer le tracé. Ils en ont d’ailleurs eux-mêmes préparé un et ils ont leurs propres cartes. Pour revenir à la situation palestinienne, comment conjurer la menace d’une reprise des attentats par des organisations comme le Hamas ou le Djihad islamique ? Elias Sanbar. Les négociations avec ces organisations ont commencé il y a plus de deux ans pour tenter de les amener à entrer dans la vie politique palestinienne, et peut-être même à participer au gouvernement. Ces négociations continuent. Quant aux groupes armés, le nouveau ministre de l’Intérieur, Nasser Youcef, qui vient d’être nommé, est chargé de les réintégrer tous dans les forces de sécurité officielles de l’Autorité palestinienne. Je crois qu’il a l’autorité nécessaire, c’est un ancien dirigeant des bases de fedayin au Liban et un homme d’une très grande probité et d’une grande fermeté. Les brigades d’El-Aqsa ont déjà accepté. Reste le Hamas. Je pense que son attitude dépendra beaucoup de son intégration à la vie politique : il y aura des élections municipales au printemps, des législatives en juillet. Mais tout dépendra aussi beaucoup du sentiment qu’auront les gens que leur vie s’améliore ou non, et du retour ou non d’un espoir dans le processus de paix. À Charm el-Cheikh, Ariel Sharon a dit aux Palestiniens qu’ils devaient « renoncer à leurs rêves », ce qui voulait dire très clairement : renoncer à Jérusalem et au retour des réfugiés. Est-ce possible, selon vous ? Elias Sanbar. Évidemment non. Quand les négociations commenceront vraiment, c’est encore sur cela qu’elles vont buter. Mahmoud Abbas le sait, et il est très clair sur ces questions. Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin (1) Figures du Palestinien (Éditions Gallimard, 2004) et le Bien des absents (Éditions Actes Sud, 2002). Article paru dans l'édition du 23 février 2005.
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Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62, parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue." |
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