Ha'aretz, 4 février 2005
Quand la désobéissance
civile est-elle légitime?
par Dahlia Scheindlin
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Les leaders des colons défendant maintenant le refus d'obéir aux ordres
[d'évacuation], l'extrême droite et l'extrême gauche partagent-elles
une
cause commune? Eclairent-elles mutuellement leur illégitimité
respective?
Toutes deux se réclament de hautes valeurs morales, et toutes deux crient
au
scandale. La solution en vogue est de les renvoyer dos à dos.
Pourtant, toutes les désobéissances ne sont pas équivalentes. Leur
motivations sont d'évidence différentes, mais la différence la plus
frappante réside dans la rhétorique et les actions choisies par chacune.
Si les deux formes de refus représentent une forme
d'insubordination, le
refus de gauche de servir dans les territoires contrevient à la loi pour
éviter d'avoir à violer certains droits de l'homme. Le refus de démanteler
des colonies constitue lui aussi une forme d'insubordination, mais il est
destiné à remettre en cause une décision prise par le gouvernement
d'Israël
: le désengagement et les lois d'évacuation et d'indemnisation [pour les
colons].
Certains colons arguent du fait que les "transférer" de chez
eux est illégal
car cela lèse leurs droits civiques, ce qui légitimerait leur refus. Or,
le
terme de "transfert" est trompeur. Le transfert de Palestiniens
signifierait
qu'une puissance occupante déracine un peuple sans que celui-ci ait son
mot
à dire, alors que les colons seront évacués par leur gouvernement,
démocratiquement élu.
Les démocraties peuvent se tromper, et les citoyens ont droit à la
désobéissance civile. Mais recourir à une pareille action entraîne une
grave
responsabilité. Et la manière dont elle est effectuée peut être aussi
importante que la raison pour laquelle elle est invoquée.
Pour utiliser efficacement cette arme potentiellement explosive, tout en
causant un minimum de dommages, certaines conditions doivent être réunies.
Car le refus est un défi aux institutions démocratiques. Les refuzniks
doivent donc démontrer qu'ils acceptent ces institutions dans tous les
autres domaines, pour en préserver la légitimité. De plus, les
refuzniks
doivent endosser la pleine responsabilité de leur acte, ce qui suppose un
processus de décision qui affecte profondément la personnalité de
l'individu, processus qui doit être aussi libre et indépendant que
possible.
Enfin, la désobéissance civile ne doit jamais impliquer de violence.
Les méthodes des colons qui encouragent la désobéissance ne répondent
pas à
ces critères, et c'est la raison pour laquelle ils mettent bien davantage
en
danger la démocratie israélienne que les refuzniks de gauche. Les
groupes
les plus importants qui représentent ces derniers, Yesh Gvoul ("Il y
a une
limite/frontière") et "Courage de Refuser", font le
maximum pour affirmer
leur soutien aux institutions de l'Etat.
La "Lettre des combattants" de Courage de refuser comprend un
engagement à
servir "dans toute mission qui sert la défense d'Israël". Elle
se prononce
contre une politique, non contre l'armée ou contre toute autre
institution.
L'association du Barreau israélien écrit que le refus de servir dans les
territoires ne constitue pas un rejet de la loi, parce que le refuznik a
épuisé tous les moyens que lui permettent la loi : demander de ne pas
servir, passer en jugement et accepter le verdict.
Le refuznik de droite David Matar déclare : "cet ordre fou est
manifestement
illégal... Tout soldat, juif ou non, doit refuser catégoriquement d'obéir."
Il s'en prend alors aux autres institutions : "cela reste vrai même
si 1000
lois de 'désengagement' sont votées par la Knesset, et/ou sanctionnées
par
un référendum populaire, la Cour suprême d'Israël, ou les Nations
Unies."
Voilà pour le respect de la légitimité des institutions démocratiques.
La déclaration publique d'Assaf Oron, l'un des signataires de la
"Lettre des
combattants" de 2002, décrit les affres émotionnels par lesquels il
est
passé : "pourquoi ne pas avoir refusé tout de suite? Je ne sais
pas. C'était
en partie à cause de la pression sociale, en partie parce que le
processus
politique nous offrait une lueur d'espoir qui faisait penser que toute
cette
histoire d'occupation allait bientôt se terminer". Il exprime sa
confiance
dans les institutions politiques, mais finit par décider de refuser, en
expliquant que "personne à part moi n'aura à regarder [mes enfants]
droit
dans les yeux. Cette fois, je ne partirais pas."
Difficile de croire que les soldats opposés au désengagement connaissent
de
telles tergiversations. Les partisans du refus au sein des colonies ont
lancé une campagne massive et sophistiquée pour en persuader d'autres.
Ils
ont rendu le refus socialement acceptable dans leur communauté, ils l'ont
rendu facile. Bien plus, la campagne appelle non seulement à les
soutenir,
mais à se joindre à eux pour contrevenir à la loi.
Quant à la responsabilité individuelle, le coup le plus violent
lui a
peut-être été asséné par l'ancien rabbin en chef Avraham Shapira,
qui, avec
60 autres rabbins ultra-orthodoxes, a publié un appel à désobéir. Des
milliers de gens considèrent ces rabbins comme des guides spirituels.
Ceux
qui refusent d'obéir parce qu'ils suivent la directive de Shapira
abandonnent ainsi toute responsabilité individuelle : quelqu'un d'autre
en a
décidé pour eux.
Enfin, la différence la plus frappante entre la droite et la gauche est
la
menace des colons d'employer la force si l'évacuation a lieu. La semaine
dernière le rabbin Avraham Auerbach a publié un décret religieux
stipulant
que les colons avaient le droit de frapper les soldats. Nombreux, à
droite,
ont été ceux qui se sont exprimés pour condamner toute violence, mais
les
incitations contre un gouvernement élu continuent. La désobéissance de
gauche n'a jamais été accompagnée de menaces de violences, explicites
ou
implicites.
Source
: La Paix Maintenant
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