L’occupation, ça suffit. Mais
seulement au Liban
par Zvi Barel
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du
dimanche 6 mars 2005
[traduit de l'hébreu Michel Ghys]
La joie qui a saisi les défenseurs de la démocratie en Israël était
compréhensible. Voilà qu’enfin une opinion publique arabe, ou ce
qu’on a coutume d’appeler « la rue arabe », se dresse contre son créateur,
révoque son gouvernement installé et demande à être libéré de
l’occupation pour préserver un Etat indépendant. Il ne s’agit bien sûr
pas de l’Autorité Palestinienne, qui a organisé des élections libres
et demande à être libérée de l’occupation israélienne : elle devra
encore parcourir un long chemin, l’Autorité Palestinienne, avant que la
démocratie israélienne reconnaisse la démocratie palestinienne. Et nous
ne trouverons apparemment rien à lire à ce propos dans la copie de
Nathan Charansky sur la démocratie.
Cette fois, c’est le Liban qu’Israël s’excitait tellement de voir
comment il écartait le gouvernement fantoche lié à la Syrie, au point
qu’Ouri Loubrani s’est empressé de rapporter que des « personnalités
libanaises » s’étaient tournées vers Israël pour les aider dans le
processus. Afin que le Liban, si la démocratie s’y installe, se
rappelle à qui il le doit. La nostalgie de l’époque des phalanges est
effectivement dure à porter.
Juste pour modérer ceux qui parlent des « moments historiques » vécus
au Moyen-Orient, le Liban est l’Etat le plus libre de la région avec un
parlement qui a un véritable pouvoir et une presse et des médias électroniques
qui ont dessiné les frontières de la liberté d’expression bien avant
Al Jazira. La satyre contre les régimes y existe depuis belle lurette, et
ses citoyens, plus encore que les citoyens turcs, se considèrent comme
plus occidentaux qu’arabes.
Mais là n’est pas l’essentiel. Il reste trois Etats occupants au
Moyen-Orient : la Syrie, Israël et les Etats-Unis. Les deux Etats
occupants occidentaux exigent maintenant que l’Etat occupant arabe mette
fin à son occupation. En son honneur, ils ont tout fait pour concocter la
Loi sur la responsabilité syrienne [« Syria Accountability Act »] –
une loi permettant d’infliger des sanctions – et rédiger la résolution
1559 des Nations Unies.
Le statut de cette résolution ne diffère pas de celui des résolutions
242 et 338 qui exigent d’Israël d’évacuer les territoires qu’il a
conquis. A ces résolutions, Israël a opposé un argument légaliste
selon lequel il ne s’agit pas d’occupation mais de libération, ou
tout au plus de territoires administrés. C'est-à-dire, un dépôt. La
Syrie a, elle aussi, son argument littéraire qui ressemble à celui d’Israël
: elle a été invitée par le gouvernement libanais. Quant aux Etats-Unis,
ils sont évidemment venus en Irak pour détruire des armes de destruction
massive. Mais en l’absence de telles armes, ils se contentent de l’établissement
d’une démocratie.
Là n’est pas non plus l’essentiel. L’hypocrisie des Etats occupants
n’est pas neuve, et la tentative de trouver des différences entre un
occupant et un autre impose des tours de passe-passe sémantiques.
L’essentiel de ce qui se passe au Liban, du point de vue israélien,
n’est pas non plus la démocratie libanaise dont, pour le moment, on
n’attend pas qu’elle nous rapproche d’un accord de paix entre Israël
et le Liban. Ce qui doit préoccuper Israël, c’est l’effondrement
d’un autre paradigme politique et des services de renseignements, qui
veut que la Syrie contrôle et dirige tout ce qui bouge au Liban. Il se
pourrait bien que la Syrie contrôle difficilement ce qui se passe en
Syrie. Durant les années de la guerre du Liban et les cinq années écoulées
depuis le retrait de l’armée israélienne du Liban, Israël s’est
dissimulé le fait qu’à l’intérieur du Liban, agissent des forces
qui peuvent déterminer l’avenir du pays. Des forces qui n’ont pas
moins horreur de la Syrie que d’Israël.
L’idée israélienne était que si on frappait la Syrie, le Hezbollah se
calmerait lui aussi et que peut-être même l’Iran se montrerait plus
prudent. Et tout à coup, il se révèle que même le Hezbollah avait
maintenu des contacts étroits avec le défunt chef du gouvernement
libanais, Rafik Hariri, dans le but de parvenir à un accord politique
d’un genre ou d’un autre. Maintenant, l’opposition se presse chez
Hassan Nasrallah pour lui rappeler que c’est envers le Liban qu’il
s’est engagé et pas envers la Syrie. Cette même organisation
terroriste contre laquelle Israël met en œuvre toutes ses forces
diplomatiques, est susceptible de se révéler comme une organisation qui
aiguisera la force politique d’une opposition démocratique que tout le
monde appelle maintenant, et à juste titre, à grands cris. Si le
Hezbollah la rejoint, l’opposition pourra former un gouvernement et
faire une belle moisson de voix aux élections parlementaires.
Tout à coup, est susceptible d’apparaître aux yeux d’Israël que le
relâchement du contrôle syrien sur le Liban renforce le pouvoir de
l’ennemi le plus dangereux, le Hezbollah. Israël a, évidemment, un
moyen de neutraliser la menace du Hezbollah, ou du moins de la réduire.
Il peut se retirer des fermes de Shaba qui ne répondent plus à aucun
besoin de sécurité. Mais pourquoi diable irait-il faire cela ? Que
l’occupant syrien commence par sortir du Liban et après, on verra.
Source
: Extrait du Point d'information Palestine,
newsletter publiée par
La Maison d'Orient, abonnement gratuit sur simple demande à
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