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Ha'aretz, vendredi 25 février 2005
LA NOUVELLE
FRONTIERE D¹ISRAEL
par Aluf Benn
(extraits trad. Tal pour LPM)
Les pluies hivernales ont jeté un manteau vert sur les pentes orientales
des
collines de Jérusalem, et des tapis de fleurs blanches et violettes
s¹étendent au seuil des implantations, hors d¹atteinte des troupeaux
des
Bédouins.
Tout est serein ici, à Kfar Adoumim, Nofei Prat et Anatoth Almon, le long
de
la ligne de crête qui passe au nord de Maaleh Adoumim [2]. [S] Quand cela
roule bien, on est au centre de Jérusalem en vingt minutes. [S]
Suivant la carte approuvée dimanche dernier par le cabinet, la barrière
de
séparation passera exactement dans cette zone. [S] C¹est la nouvelle
frontière d¹Israël, le lieu des batailles à venir en vue d¹un règlement
permanent avec les Palestiniens.
Le Conseil des ministres [du 20 février dernier] fut l¹une des séances
les
plus importantes présidées par Ariel Sharon :
« Nous avons passé la journée, du matin au soir, à décider de la
frontière
entre Israël et l¹Autorité palestinienne, du nord au sud », confiait
un haut
fonctionnaire qui avait participé à cette longue réunion. [S]
Les ministres avaient compris, quelle que soit la prudence des propos
consignés dans les minutes, que rien de ce qui serait de l¹autre côté
du mur
ne resterait aux mains d¹Israël. Nul ne parla de Hébron [3] ou d¹Ofra
[4],
ni de Beith El [5]. Nul ne fit allusion à la « barrière orientale »
que
Sharon projetait autrefois de construire autour des Palestiniens.
Sharon coupla la décision du retrait de Gaza et celle de la construction
du
mur de façon à pouvoir tenir sa promesse de renforcer la maîtrise d¹Israël
sur les blocs d¹implantations le Goush Etzion, Ariel [6] et Maaleh
Adoumim
au moment où il évacuait la bande de Gaza par anticipation. Il
pensait,
avec raison, que la combinaison des deux décisions imposerait une
sourdine
aux critiques internationales du tracé de la barrière. Le tracé qu¹il
a
dessiné représente un compromis entre la gauche modérée, enchantée
que la
barrière suive de près la Ligne verte, et la droite modérée, qui tient
aux
blocs d¹implantations. La « ligne de Sharon » est acceptable pour le
centre,
et seuls les extrêmes s¹y opposent. Elle a obtenu l¹aval d¹une énorme
majorité du cabinet : vingt ministres pour, un contre et une abstention.
? Qui a déjà conduit un tracteur ?
Le tracé du mur fut revu après que la Cour suprême [israélienne] ait
statué
en juin 2004, faisant obligation aux cartographes de respecter le « tissu
de
la vie » palestinienne. En arrière-plan, l¹arrêt de la Cour
internationale
de Justice à La Haye s¹opposant à l¹édification de la barrière
au-delà de la
Ligne verte et le déclin du terrorisme. La première tranche de travaux,
au
nord de la Cisjordanie, avait été lancée au moment des terribles
attentats
de 2002. A l¹époque, nul ne s¹inquiétait du sort des Palestiniens.
Aujourd¹hui viennent les pourvois, les requêtes à la Cour suprême, le
regard
vigilant de l¹Amérique, et le contrôle serré du ministère de la
Justice sur
chaque centimètre carré. [S]
Le tracé originel annexait un sixième environ de la Cisjordanie, alors
que
la nouvelle carte laisse 6 à 8 % de son territoire du côté israélien
(selon
que l¹enclave d¹Ariel est comprise ou non). [S]
C¹est au sud des collines de Hébron qu¹ont pris place les plus gros
ajustements, là où la barrière courra la long de la Ligne verte au lieu
d¹enclore les colonies de Susiya, Maon et Carmel [7]. Sharon a approuvé
ces
modifications après avoir parcouru la région avec Mike Glass, un
fonctionnaire du ministère de la Justice, il y a six mois. Ses
conseillers
racontent qu¹il a eu beaucoup de peine à renoncer à cette contrée
superbe,
opulente, où seuls un millier de Bédouins, à peu près, vivent avec
leurs
troupeaux, et à la laisser en dehors du tracé. Mais la terre est exploitée,
pour l¹essentiel en pâturages, et suite à la décision de la Cour suprême,
les conseillers juridiques s¹opposent à ce que l¹on laisse des terres
palestiniennes du côté israélien.
« Avez-vous déjà conduit un tracteur ? » a demandé Sharon à ses
ministres. «
Toute la zone est en culture. Les Arabes sont des Arabes. Ils respectent
la
terre, et ils la cultivent. » [S]
Le procureur général Menah¹em Mazuz a expliqué qu¹il était
impossible de
plaider devant la Cour suprême la cause de l¹ancien tracé de la barrière
dans les collines de Hébron, car il est difficile de justifier l¹annexion
de
terres cultivées par des considérations de sécurité. [S]
Mazuz ne cache pas son manque d¹enthousiasme pour le tracé adopté au
Goush
Etzion [8], même après qu¹on l¹ait corrigé en essayant de tenir
compte des
difficultés des Palestiniens. Il a laissé entendre aux ministres que son
bureau avait agi sur instructions supérieures, en dépit de toutes les
réserves légales : « Je ne vous dirai pas, Monsieur le Premier
Ministre, que
nous ne défendrons pas l¹option choisie face à la Cour Suprême. Bien sûr
que
nous la défendrons, mais nous sommes là, sans aucun doute, dans une
situation juridique périlleuse. » « N¹essayez même pas d¹imaginer le
Goush
Etzion à l¹extérieur de la barrière », a répliqué Sharon. [S]
Bush et la solution de continuité
Le discours de Georges Bush à Bruxelles, où le président des États-Unis
a
fait du règlement du conflit israélo-palestinien une priorité clef de
son
gouvernement, n¹a guère surpris Yoram Ben Zeev, le directeur adjoint
pour
l¹Amérique du Nord au ministère [israélien] des Affaires étrangères.
Bush a parlé de l¹importance d¹une solution de continuité territoriale
pour
les Palestiniens en Cisjordanie. « Un État fait de territoires clairsemés
ne
marchera pas », a-t-il dit. Les rédacteurs du texte pensaient corriger
les
remarques faites par la Secrétaire d¹État Condoleeza Rice, qui avait
mentionné une « solution de continuité palestinienne » sans plus de
précisions. Sa déclaration avait soulevé une vague de critiques de la
part
de la droite juive américaine. Si la Palestine doit être continue, et la
Cisjordanie reliée à Gaza, c¹est Israël qu¹il faudra couper en deux.
Bush
fut donc amené à expliquer que telle n¹était pas l¹intention.
Les termes de Bush contredisent la carte dessinée par Sharon à Ariel et
Maaleh Adoumim. Les deux plus grandes implantations brisent elles aussi la
continuité territoriale en Cisjordanie, ce qui est la raison de l¹opposition
américaine à les voir incluses dans les limites de la barrière. [S]
Dans les
bureaux du Premier ministre, de hauts fonctionnaires soulignent que son
tracé a été présenté aux Américains l¹été dernier et accepté
sans
commentaires. Pour le ministre des Affaires étrangères, le débat est
loin
d¹être clos.
[S] Le bloc à inclure autour de Maaleh Adoumim comprend huit colonies et
une
zone industrielle, avec des terrains non bâtis entre elles. Il n¹y a
aucun
village palestinien. Une route de contournement serait construite autour
du
mur afin de relier Ramallah et Bethléem et d¹unir le nord et le sud de
la
Cisjordanie. La colonie d¹Adam resterait à l¹extérieur pour ne pas
bloquer
le passage de la route. Telle est la solution de continuité que Sharon
avait
proposée aux Palestiniens.
Mais le problème n¹est pas seulement le morcellement de la Cisjordanie,
mais
l¹encerclement de Jérusalem-Est. Si l¹on termine le mur, les quartiers
palestiniens de Jérusalem seront entourés d¹une barrière et séparés
de la
Cisjordanie. Et pour peu qu¹Israël comble par de nouvelles constructions
la
zone du Mont Scopus à Maaleh Adoumim, suivant le plan que Sharon met
tranquillement en ¦uvre, Jérusalem-Est deviendra une enclave déconnectée
et
cernée de toutes parts par des quartiers juifs.
Difficile, dans ces conditions, d¹en faire la capitale de l¹État
palestinien, ce qui serait un autre obstacle sur la voie d¹un règlement
définitif. Il est donc peu probable que les Américains acceptent le tracé
proposé autour de Maaleh Adoumim. La décision adoptée par le cabinet
[israélien] laisse toutefois la porte ouverte à d¹éventuelles
modifications
[S].
Pinhas Wallerstein, qui dirige le Conseil de la région dont font partie
les
colonies au nord de Maaleh Adoumim, avait du mal à croire cette semaine,
après avoir vu la nouvelle carte, que la barrière serait construite
suivant
le tracé proposé [S] : « Je ne suis plus naïf. Si seulement les blocs
de
Maaleh Adoumim et du Goush Etzion pouvaient rester sous souveraineté
israélienne, mais je ne crois pas que cela arrive. Peut-être
trouvera-t-on
une solution limitée pour Maaleh AdoumimS » Il dit que dans les négociations
à venir après le désengagement [de Gaza et du nord de la Samarie], Israël
commencera à Pisgat Zeev [9].
NOTES______________________________________________
[1] Voir les cartes de la Foundation for Middle-East Peace (FMEP), et en
particulier « Israeli Separation options for the West Bank » :
http://www.fmep.org/reports/2003/v13n4.html#map
Efrat, qui fait partie du Goush Etzion, vient ici symboliser l¹ensemble
du
bloc.
[2] A l¹est des limites municipales du grand Jérusalem. Outre la carte
précédemment citée, nous renvoyons ici, toujours sur le site de la FMEP,
à
celle plus détaillée du « Adumim Settlement bloc » :
http://www.fmep.org/images/maps/map99011.jpg
[3] Point sensible entre tous, du fait du tombeau des Patriarches (dont la
localisation reste discutée par les archéologues). La première «
implantation sauvage », Kyriat Arba, s¹installa dès 1974 ; des colons
vivent
actuellement au c¦ur même de la ville.
[4] Avant-poste stratégiquement situé sur l¹axe Jéricho-Naplouse, à
une
dizaine de kilomètres au nord-est de Ramallah.
Voir la carte du ministère israélien des Affaires étrangères
www.reliefweb.int/rw/fullMaps_Sa.nsf/0
et, pour tout ce qui concerne les implantations ou les avant-postes,
celles
de l¹Observatoire des colonies de La paix Maintenant, disponibles sur
notre
site
http://www.lapaixmaintenant.org/article466
ou, pour une version interactive, sur celui de Shalom Ah¹shav (Israël) :
http://www.peacenow.org.il
(cliquer sur English en haut à droite de la fenêtre si besoin est).
[5] A quelques kilomètres au nord-est de Ramallah.
[6] En plein centre de la Cisjordanie, à vingt-cinq kilomètres au nord
de
Ramallah et à une vingtaine de kilomètres de la Ligne verte, le bloc
forme
une sorte de main dont Ariel serait le pouce, et dont les doigts s¹étendent
vingt kilomètres plus au nord, derrière la ville palestinienne de
Qalquilyah.
[7] A une dizaine de kilomètres à l¹extérieur de la Ligne verte.
[8] A l¹immédiat contact des quartiers sud de Jérusalem et de la Ligne
verte, le Goush Etzion constitue lui aussi un point sensible. Il comptait
trois kibboutzim quand il fut conquis par la Légion arabe, en 1948, et
des
massacres y furent commis. Les deux kibboutzim religieux y furent très
vite
réimplantés après la guerre des Six Jours, alors que le troisième,
membre du
Kibboutz Artzi, décida de ne pas revenir.
[9] Au nord de Jérusalem et dans les limites municipales de la ville
(établies fin juin 1967, avant la décision d¹annexion de la Knesseth en
1980), non loin du Mont Scopus, foyer de l¹Université hébraïque.
Voir la carte « Fortress Jerusalem », de la FMEP :
http://www.fmep.org/reports/2003/v13n6/v13n6/p3/Fortress/Jerusalem.jpg
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