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La
Résistance Palestinienne.
Un droit légitime et un devoir moral 07 novembre 2003 Les
atrocités incessantes et insupportables perpétrées par le
gouvernement d’Israël nous laissent peu de choix pour réfléchir sur
l’aspect moral de notre résistance. Le plus souvent, nos réactions
liées aux évènements sont immédiates, instinctives et
émotionnelles. Le peu qui parviennent encore à réfléchir sur les
aspects moraux, politiques et stratégiques de notre lutte se retrouvent
confrontés au manque de perspectives et aux dégâts causés par le
conflit sur la raison et la conscience. Comment
évaluer la résistance palestinienne avec le plus de justesse, et le
respect qui lui est dû, dans le cadre de la longue histoire du conflit
palestino-israélien ? L’occupation de la Palestine a pour
fondement une idéologie du 19ème siècle qui nie l’existence d’un
peuple. Elle a poursuivi un agenda colonial faisant valoir des droits
divins à " une terre sans peuple ". En réponse à
cette agression théo-coloniale, la résistance palestinienne a adopté
la stratégie " de la guerre d’un peuple " aux
fins d’imposer la reconnaissance de la Palestine comme une nation
dépossédée plutôt qu’en qualité de nation " non existante
". A ce
jour, les Palestiniens ne disposent toujours pas d’Etat, ni de forces
armées. Nos occupants nous soumettent à des couvre-feu, expulsions,
démolitions de maisons, torture légalisée et toute une panoplie
hautement élaborée de violations de droits de l’homme. Rien ne peut
justifier une comparaison entre le niveau de responsabilité officielle
à laquelle les Palestiniens sont tenus pour les actions de quelques
individus et la responsabilité de violence systématique et intense
contre une population entière, pratiquée en toute impunité par l’Etat
d’Israël. Les médias américains nomment notre quête de liberté
" terrorisme ", ainsi le Palestinien endosse-t-il le
rôle du prototype international du terroriste. Cette politique a
façonné l’opinion publique occidentale avec pour conséquence un
parti pris international concrétisé dans la tendance à décrire les
violences commises contre des civils palestiniens dans un langage
neutre. Les victimes palestiniennes se trouvent réduites à de simples
statistiques anonymes alors que les victimes israéliennes sont
dépeintes avec force mots et images. Cette
distorsion de la résistance palestinienne a étouffé tout dialogue
raisonnable. Beaucoup de nos efforts pour défier le règne arbitraire
de l’occupant sont renvoyés à la menace du
" terrorisme " comme si nous devions nous excuser en
permanence et condamner la résistance palestinienne – en dépit de
l’absence d’accord sur la définition du terme " terrorisme
" et le fait que le droit à l’autodétermination par la lutte
armée est autorisé par l’article 51 de la Charte des Nations Unies,
concernant l’auto défense. Comment
se fait-il que le mot " terrorisme " est si
volontiers appliqué aux individus ou aux groupes qui utilisent des
bombes artisanales, et non aux Etats employant l’arme nucléaire et
autres armes prohibées assurant la domination de l’oppresseur ?
Israel , les USA et la Grande Bretagne se retrouveraient en toute
logique en tête de la liste des Etats exportateurs de terrorisme en
raison de leur agressions militaires contre la population civile en
Palestine, en Irak, au Soudan et ailleurs. Mais,
" terrorisme " est un terme politique dont se sert
le colonisateur pour discréditer ceux qui résistent – de la même
façon que les Afrikaaners et les Nazis qualifiaient de
" terroristes " les combattants noirs sud africains
et les résistants français. Il y a
aussi la tendance chez ceux qui s’opposent à la résistance
palestinienne, à faire usage du terme " Jihad ",
employé comme synonyme de " terrorisme ". En fait,
ils réduisent la signification de ce terme à la notion de mort. Jihad
est un concept beaucoup plus riche qui signifie lutter contre nos bas
instincts, s’efforcer de faire de bonnes actions, s’opposer
activement à l’injustice et faire preuve de patience en périodes
difficiles. Jihad ne signifie pas faire usage de violence envers les
créatures de Dieu, ni le courage de mourir en défendant les droits des
créations de Dieu. Cependant, la violence peut être un moyen de
défense d’un être humain rationnel. C’est ainsi que, par exemple,
lorsqu’une femme réagit violemment à une menace de viol, c’est une
forme de Jihad. De plus,
le Jihad est une valeur islamique et tous les combattants palestiniens
ne sont pas musulmans. Que de jeunes Palestiniens sincères et
généreux se fassent exploser est un secret qu’ils emportent avec
eux. Peut être est-ce le fruit mystérieux de la vengeance poussant
dans un sol fertile d’oppression et d’occupation ou la manière
profonde de protester contre une cruauté impitoyable ; ou bien une
tentative désespérée d’atteindre l’égalité avec les Israéliens
dans la mort, vu qu’il leur est impossible d’y parvenir dans la vie.
Les gens qui vivent dans des conditions inhumaines toute leur vie sont,
malheureusement, capables d’actes inhumains. Que reste-t-il aux
milliers de sans abris à Rafah, sinon leur résistance ? Ce
n’est pas l’Islam, c’est la nature humaine commune à des hommes
et des femmes religieux, séculaires et agnostiques. Nos femmes
kamikazes ne meurent certainement pas dans l’espoir de rejoindre les
70 vierges les attendant au Paradis. Un autre
facteur décisif dans la résistance palestinienne est l’histoire
affligeante des successifs négociations de paix et l’absence de
soutien international. Les négociations avec Israël ne nous ont
apporté que des promesses d’autonomie sur notre appauvrissement, tout
en renforçant la volonté du puissant et en consolidant les
inégalités, en tant que bases d’une occupation conçue pour durer.
L’absence d’un négociateur honnête dans les négociations de paix
est la chose la plus flagrante. Les Nations Unies ont été incapables
de prendre des mesures pour défendre les droits des Palestiniens. Le
monde entier n’a proposé aucun remède aux innombrables blessures qui
accablent les Palestiniens. A maintes reprises, Washington a utilisé
son droit de veto au Conseil de sécurité pour s’opposer au consensus
mondial appelant à la présence d’observateurs internationaux en
Cisjordanie et Gaza. Le déni
implacable de nos droits conjugué à l’absence de solution
internationale efficace nous a amenés à prendre conscience que l’auto-défense
était notre seul espoir. Le droit
international accorde à toute population combattant une occupation
illégale, le droit d’utiliser " tous les moyens à sa
disposition " pour se libérer et les occupés " ont
le droit de chercher et de recevoir du soutien " (je cite ici
plusieurs résolutions onusiennes). La résistance armée a été mis en
oeuvre par la révolution américaine, la résistance afghane contre
l’Union Soviétique, la résistance française contre les Nazis et les
juifs résistants dans les camps de concentrations nazis, notamment le
célèbre ghetto de Varsovie. De même, La résistance palestinienne est
le résultat d’une situation d’occupation illégale et
d’oppression d’un peuple dans son ensemble. Le degré de violence
peut varier– en effet, il arrive que la résistance soit
essentiellement non violente. En dépit de toutes les injustices dont
ils font l’objet, les gens continuent résolument à vivre, étudier,
prier et exploiter leurs terres dans un pays occupé. Dans quelques cas,
ils résistent activement et ont recours à des actes violents. Cette
résistance violente peut soit être défensive (et, donc, dans mon
esprit, moralement acceptable), par exemple la défense du camp de
réfugiés de Jenin par les combattants face à l’avancée des
machines de mort israéliennes ; soit prendre la forme d’actes
offensifs inacceptables, tel que le bombardement de civils israéliens
fêtant la pâque juive. Cependant, dans tous les cas, ce sont des
individus qui choisissent la forme de résistance et le choix qu’ils
font n’est pas forcément celui de l’ensemble du peuple palestinien.
Toutefois, comme nous l’avons constaté, que la résistance soit
violente ou non violente, elle est également contrée par une violence
d’Etat délibérée de la part du gouvernement israélien libre et
démocratique et de son armée . La mort de la militante pacifiste
américaine Rachel Corrie en est la preuve évidente. " Où
est le Gandhi palestinien ? " s’étonnent quelques
uns. Nos " Gandhis " sont soit en prison, soit en
exil soit enterrés. Nous ne sommes pas non plus des centaines de
millions. Un peuple de 3,3 millions sans armes reste vulnérable face à
6 millions d’Israéliens, tous virtuellement soldats ou réservistes.
Il ne s’agit pas d’une colonisation économique ; les
Israéliens pratiquent l’épuration ethnique afin de s’emparer de la
terre des Palestiniens au seul profit des Juifs. Il est
ironique de constater que peu de personnes parmi celles qui exhortent
les Palestiniens à imiter Gandhi, se posent des questions sur le
sionisme, la cause première de l’occupation. Pourtant, en 1938,
Gandhi mettait déjà en doute les arguments du sionisme politique.
" Ma sympathie ne me fait pas oublier les exigences de
justice, le cri pour un foyer national pour les Juifs ne me séduit pas
particulièrement. Le principe de ce foyer est à chercher dans la Bible
et dans la ténacité avec laquelle les Juifs ont
convoité leur retour en Palestine. Pourquoi ne peuventt-ils pas,
comme les autres peuples de la terre, établir leur foyer dans le pays
où ils sont nés et où ils gagnent leur vie ? " Gandhi a
clairement rejeté l’idée d’un Etat juif sur la " terre
promise " en notant que " la Palestine de conception
biblique n’est pas un tract géographique ". La
résistance violente est le résultat d’une occupation militaire
inhumaine ; qui inflige arbitrairement des châtiments
quotidiennement et sans autre forme de jugement, qui nie la possibilité
de l’existence-même des moyens d’existence et détruit
systématiquement toute perspective d’avenir du peuple palestinien.
Les Palestiniens ne sont pas allés sur la terre d’un autre peuple
pour le détruire ou le déposséder de ses biens. Notre ambition
n’est pas de nous faire exploser pour terrifier les autres. Nous
voulons que tout le monde puisse avoir, à juste titre, une vie décente
sur notre terre natale. Le plus
troublant en ce qui concerne les critiques exprimées contre notre
résistance est qu’elles font peu de cas de nos souffrances, de nos
dépossessions et de la violation de nos droits les plus élémentaires.
Lorsque nous sommes assassinés, ces critiques demeurent insensibles.
Notre lutte pacifique quotidienne pour mener une vie normale reste
largement ignorée. Lorsque quelques uns parmi nous succombent à la
revanche et à la vengeance, les indignations et condamnations
rejaillissent sur l’ensemble de notre société. La sécurité
israélienne est jugée plus importante que nos droits élémentaires
d’existence ; les enfants israéliens sont considérés plus
humains que les nôtres ; et la douleur israélienne plus
inacceptable que la nôtre. Lorsque nous nous rebellons contre les
conditions inhumaines qui nous écrasent, nos critiques nous comparent
à des terroristes, ennemis de la vie et de la civilisation. Mais ce
n’est pas pour les apaiser que nous devons revisiter notre
résistance. C’est parce que nous nous soucions du moral des
Palestiniens et de leur morale. Les lois
internationales et le précédent historique de nombreuses nations
reconnaissent le droit d’une population lorsqu’elle se trouve sous
le joug d’une oppression coloniale à prendre les armes dans sa lutte
de libération. Pourquoi la situation serait-elle différent dans le cas
des Palestiniens ? N’est ce pas le point de vue d’une règle de
droit international et donc d’application universelle ? Les
Américains ont établi dans leur constitution les droits à la vie, à
la liberté et à quête du bonheur. Il est essentiel que le droit à la
vie soit mentionné en premier. Après tout, sans le droit à rester en
vie, à se protéger des attaques, à se défendre, les autres droits se
videraient de leur sens. La conséquence de ce droit, c’est le droit
à l’auto-défense. Nous
autres Palestiniens continuons à affronter une occupation brutale en
exposant nos poitrines désarmées et nos mains nues. Je crois au
dialogue entre Palestiniens et Israéliens mais les négociations ne
suffisent pas à elles seules ; elles doivent s’accompagner de la
résistance à l’occupation. Pendant que les Israéliens nous parlent,
ils continuent à construire des colonies et à ériger un mur qui nous
enserrera davantage et violera encore plus nos droits. Pourquoi
devrions-nous abandonner nos droits à résister et continuer à vivre
dans le royaume de l’absurde meurtrier ? Vivre
sous l’oppression et se soumettre à l’injustice est incompatible
avec la santé psychologique. La résistance n’est pas seulement un
droit et un devoir mais aussi un remède pour les oppressés.
Indépendamment de toute option stratégique ou pragmatique, notre
résistance demeur l’expression de notre dignité humaine. La
résistance violente doit toujours être défensive et utilisée en
dernier ressort. Cependant, il est important de distinguer les cibles
acceptables (militaires) des cibles inacceptables (civils) et établir
des limites à l’usage de nos armes. L’oppresseur ne doit pas à son
tour être exempt de ces mêmes principes. L’histoire
de notre résistance doit être explorée et évaluée du point de vue
du droit international , de la moralité, de l’expérience et de
l’aspect politique, en tenant compte des événements chronologiques
et du contexte et en accordant leur juste place aux droits de l’homme,
aux règles internationales et aux normes de comportement largement
admises par la communauté internationale. Les Palestiniens doivent
être créatifs en fournissant des alternatives non violentes et
efficaces comme formes de résistance. Elles pourront inviter les
progressistes du monde entier à rejoindre notre combat. En fin de
compte, la force du Palestinien réside dans son moral, ses
caractéristiques humaines ; à nous de trouver des ressources
morales et humanitaires afin de protéger cette force. Traduit de l’anglais par Eric Colonna. *
Samah Jabr est palestinienne, médecin et vit dans Jérusalem
occupée. Fille d’un professeur d’université et d’une directrice
de collège, elle est chroniqueuse pour le Palestine
Report en 1999-2000, sa rubrique s’intitulait " Fingerprints
" ("Empreintes digitales"). Depuis le début de l’Intifada,
elle contribue régulièrement au Washington
Report on Middle East Affairs et au Palestine
Times of London. Elle est lauréate du Media
Monitor’s Network pour sa contribution sur l’Intifada et
un certain nombre de ses articles ont été publiés dans le International
Herald Tribune, le Philadelphia
Inquirer, Haaretz,
Australian
Options, The
New Internationalists et autres publications internationales.
Elle a donné plusieurs séries de conférences à l’étranger pour
essayer de faire partager la vision palestinienne de ce conflit. Elle a
tenu des conférences à l’Université Fordham et au St. Peter’s
College à New York, à Helsinki et dans plusieurs universités, mosquées
et églises en Afrique du Sud. |
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