Guerre contre Gaza :
l’obscurité avant l’aube en Palestine
Par Jamal Juma
(Palestinien de Jérusalem)
17 mai 2024
https://ismfrance.org/index.php/2024/05/18/guerre-contre-gaza-lobscurite-avant-laube-en-palestine/
Les horreurs indicibles à Gaza – les
bombardements en cours, la famine dévastatrice, les charniers découverts et
la destruction complète de toutes les infrastructures – sont sans précédent
dans l’histoire de l’apartheid et de l’oppression des Palestiniens par
Israël.
La logique
derrière le génocide est claire si l’on regarde au-delà de l’enclave
dévastée de Gaza. La politique d’Israël en Palestine historique continue de
viser un seul objectif : vider la terre de sa population palestinienne
autochtone.
Dans toute la
Cisjordanie occupée, ces dernières semaines, les milices de colons et les
forces militaires israéliennes ont mené des attaques dans 120 villages et
provoqué d’énormes destructions dans la plupart des camps de réfugiés,
tuant, mutilant et arrêtant des milliers de personnes.
Depuis le 7
octobre, en Cisjordanie occupée, 806 bâtiments ont été démolis, provoquant
le déplacement de 1.758 personnes et affectant près de 519.000
Palestiniens. Environ 25 communautés palestiniennes ont été nettoyées ethniquement,
492 Palestiniens ont été tués et 8.088 illégalement détenus.
En parallèle,
et toujours en Cisjordanie occupée, Israël s’est emparé d’une superficie de
terres sans précédent. Il a confisqué 37 km² de terres, ce qui représente le
plus grand vol de terres depuis 30 ans.
À ce jour,
42 % – soit 2.380 km² – de la Cisjordanie occupée sont
pratiquement inaccessibles aux Palestiniens. Leurs expulsions se sont
accélérées dans la vallée du Jourdain et au sud d’Hébron dans le but de
chasser complètement les communautés de la région.
Israël a
également considérablement accéléré la construction de colonies. Le
ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a annoncé le 6 mars que 18.515
logements coloniaux avaient été approuvées au cours de l’année écoulée.
Dans son budget 2024, Israël a alloué 193 millions de dollars aux nouvelles
colonies et 1,02 milliard de dollars supplémentaires à ses infrastructures
routières.
En effet, des
fonds de 1,18 milliard de dollars qui devaient bénéficier aux Palestiniens
de nationalité israélienne sont redécaissés pour financer les colonies
illégales.
Une impasse
Les
Palestiniens vivent le moment le plus sombre d’une longue et douloureuse
histoire d’attaque coloniale israélienne. Pourtant, les assurances de «
victoire totale » du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu semblent
loin de se réaliser. Les médias israéliens dénoncent plutôt une « défaite
totale », sur le terrain et à l’international.
Quant aux
déchaînements des colons en Cisjordanie, ils ne semblent pas représenter
une expansion considérable. Une étude récente de l’Université Reichman
considère la politique de colonisation d’Israël comme un échec
démographique.
Même si le
nombre de colons israéliens illégaux a augmenté au cours des 13 dernières
années, passant de 311.300 à 491.548, en raison d’une augmentation encore
plus importante du nombre de Palestiniens autochtones dans la « zone C »,
le pourcentage de la population de colons illégaux y a diminué de 81 pour
cent à 58,1 pour cent.
Le projet
israélien est en crise. L’économie a diminué de 20 % au dernier
trimestre 2023. Le directeur de la Chambre israélienne du tourisme
récepteur, Yossi Fattal, compare l’isolement d’Israël à celui de la Corée
du Nord. Environ 58 % de tous les chantiers de construction dans la région
de Jérusalem et 41 % à Tel-Aviv et dans les régions centrales sont fermés,
et son industrie technologique continue d’imploser.
La confiance
dans le fait que les bailleurs de fonds occidentaux enverront suffisamment
de fonds pour soutenir le colonialisme de peuplement israélien est en train
de faiblir. Les deux plus grandes agences de notation au
monde, Moodys et S&P Global, ont abaissé la note
d’Israël et le FMI a réduit de moitié ses prévisions de
croissance à 1,6 %.
La tentative
de déclencher une guerre régionale en bombardant l’ambassade iranienne en
Syrie, le croque-mitaine préféré d’Israël, s’est heurtée à une réponse
iranienne soigneusement calculée et à un veto clair de la Maison Blanche
contre une nouvelle escalade.
Les défenses
aériennes pendant une nuit d’attaques iraniennes ont coûté jusqu’à 1,4
milliard de dollars, ce qui rendrait une guerre à grande échelle
économiquement, politiquement et militairement non viable.
Le
gouvernement israélien survit d’une crise interne à l’autre.
Malgré la
propagande de guerre, la société israélienne est plus divisée que jamais et
la majorité souhaite le départ de Netanyahu et de son gouvernement.
Aujourd’hui,
l’apartheid israélien est incapable d’envisager une stratégie de sortie.
La lumière au
bout du tunnel
Les
Palestiniens paient le prix des échecs d’Israël, qui continue de les tuer,
de les affamer, de les traquer, de les mutiler et de les déplacer, de
détruire leurs maisons et leurs infrastructures.
Les
dirigeants officiels n’offrent pas non plus de voie à suivre. L’Autorité
palestinienne (AP) partage ses efforts entre la surveillance des
manifestants palestiniens dans les rues et l’exigence de la reconnaissance
d’un État inexistant qui pourrait prolonger sa propre existence, mais ne
fait rien pour mettre réellement fin au génocide à Gaza et au nettoyage
ethnique en cours.
Le veto
américain au Conseil de sécurité de l’ONU contre la reconnaissance d’un
État palestinien a laissé l’AP furieuse et aussi sans plan.
Pourtant, les Palestiniens disposent de deux
ressources qui nous donnent de la force.
Notre « soumoud »
(fermeté, détermination) n’a pas été brisé, même en ces temps sombres. Ce
que nous avons, nous le partageons. Nous nous protégeons, nous nous
abritons les uns les autres et nous nous organisons pour notre survie.
Notre société, nos mouvements, nos comités locaux et nos organisations
tiennent le coup. Nous mobilisons, analysons, développons et mettons en
œuvre des stratégies.
Au-delà de
cela, nous avons la justice de notre côté. La Cour internationale de
Justice a statué qu’Israël commet à première vue un génocide à Gaza. Les
organes de l’ONU et pratiquement toutes les organisations et institutions
de défense des droits de l’homme respectées à l’échelle mondiale
reconnaissent qu’Israël a construit structurellement un régime
d’apartheid – un crime contre l’humanité.
L’Assemblée
générale des Nations Unies et le Conseil de sécurité ont exigé à plusieurs
reprises un cessez-le-feu immédiat, la fin du crime de guerre que constitue
la construction de colonies, le droit au retour des réfugiés, et bien plus
encore.
Les gens du
monde entier, et de plus en plus de gouvernements, en particulier dans les
pays du Sud, se rendent compte que ce qui est en jeu n’est pas seulement la
vie de 2,3 millions de Palestiniens, mais aussi la survie des principes
fondamentaux de l’humanité, ainsi que du système de droit international et
des Nations Unies.
Il y a vingt
ans, les Palestiniens lançaient leur mouvement anti-apartheid avec un appel
au Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). Aujourd’hui, les
campagnes BDS et leurs victoires se multiplient comme jamais auparavant.
Les
entreprises complices perdent des bénéfices alors que les consommateurs
organisent des boycotts mondiaux et que les institutions sont contraintes
de se désinvestir de l’apartheid israélien.
Les étudiants
et les professeurs des États-Unis jusqu’en Australie ont déclenché un
soulèvement mondial sur les campus. Ces scènes évoquent les grandes heures
des manifestations des années 1980 contre l’apartheid en Afrique du Sud et
les manifestations des années 1960 contre la guerre du Vietnam.
Les avocats
et les organisations juridiques portent de plus en plus de plaintes contre
les gouvernements qui permettent et autorisent le soutien au génocide
israélien.
C’est le pire
moment de notre histoire et il marque l’un des pires échecs de l’humanité.
Pourtant,
c’est avant l’aube que la nuit est la plus sombre.
Nous n’avons
pas de temps à perdre.
En unissant
nos forces au niveau international, nous pouvons mettre fin au génocide,
vaincre l’apartheid israélien et construire un avenir de liberté, de
justice et d’égalité, du fleuve à la mer.
|