Les
massacres de Gaza en novembre 1956
Par Zach - AFPS Nord Pas-de-Calais
C’était
il y a 68 ans, presque jour pour jour…
Pour
la première fois, l’armée israélienne occupe la Bande de Gaza qui
est alors sous le contrôle de
l’Egypte. Le contexte en est la guerre de Suez (du 29 octobre au 7
novembre 1956) menée par une alliance secrète formée par les puissances
coloniales française et britannique, associées à l’Etat sioniste
expansionniste. Leur ennemi commun est le dirigeant égyptien Gamal Abdel
Nasser qui remet en cause la situation géopolitique du Moyen Orient.
L’occupation
de Gaza s’accompagne de crimes de guerre qui font écho au génocide en
cours.
Le
matin du 2 novembre, la 1ère brigade d’infanterie de l’armée
israélienne commandée par Moshe Dayan encercle, attaque et envahit la
Bande en quelques heures, sans rencontrer de résistance. Très vite, la
consigne laissée aux troupes sur place apparaît clairement : traquer
les soldats égyptiens restés sur place et surtout les Fedayins,
résistants palestiniens qui lancent des raids depuis Gaza dans le Sud
d’Israël. Car l’une des conséquences de la Nakba de 1948 a été la
déportation de 200.000 Palestiniens à Gaza, triplant sa population,
multipliant les camps de réfugiés mais stimulant la Résistance chez les
habitants…
Les
opérations de « ratissage » commencent dès le 3 novembre à Khan
Younis, par la fouille des maisons, accompagnée ponctuellement
d’exécutions sommaires. Puis, des dizaines de civils masculins sont
raflés et fusillés, en particulier le long du « Château
médiéval » au centre de la ville, où des mitrailleuses ont été
installées. Le nombre total de victimes est inconnu, car la plupart ont
été enterrées dans des tombes familiales.
Tôt
le matin du 12 novembre, l’armée israélienne lance une nouvelle opération
à Rafah : alors qu’un couvre-feu est déjà imposé et que le calme
règne, des véhicules équipés de haut-parleurs diffusent des messages
demandant à tous les hommes de 15 à 60 ans de se rendre immédiatement à
« l’école El-Ameeriah », principale école de la ville, en
empruntant la « grande rue de la Mer ». Les habitants obéissent
mais, sur le chemin, ils font face à des violences systématiques :
battus à coups de matraques ou parfois tués par hasard, dans le but
d’accélérer le mouvement. Arrivés le long du mur de l’école, ils
découvrent avec terreur les exécutions sommaires et les coups. Le pire
est à venir : ils sont forcés d’entrer dans la cour de l’école par
une petite porte où sont postés deux soldats israéliens armés de gourdins
qui s’abattent sur les têtes et les épaules des victimes… en même temps
qu’ils cherchent à se protéger, ils doivent sauter par-dessus un fossé et
une ligne de barbelés. Une fois entrés dans la grande cour de l’école,
ils sont obligés de s’accroupir et de baisser la tête. Les soldats
israéliens frappent les détenus et tirent au -dessus des centaines
d’hommes rassemblés, en hurlant « Tata rosh » (Baissez la
tête). Puis, sur la base de listes établies en encourageant les
dénonciations, les soldats israéliens emmènent les militaires et les
Fedayins présumés dans le bâtiment principal, les interrogent violemment
et en exécutent certains. En fin d’après-midi, des dizaines de
prisonniers sont transférés par bus dans la prison d’Atlit au nord
d’Israël. Les autres sont libérés dans des conditions chaotiques. En
début de soirée, des dizaines de cadavres ensanglantés transportés par
camion sont abandonnés à Tal Zorob, une étendue déserte à l’Ouest de
Rafah… Comme à Khan Younis, le nombre total de victimes est inconnu.
Ces
évènements exceptionnels par la violence déployée présentent des
caractéristiques qui font écho au génocide en cours.
Il
y a tout d’abord la cruauté des bourreaux israéliens et la
déshumanisation des victimes palestiniennes, qui culminent à l’école
de Rafah. Quel esprit pervers et sadique a-t-il pu concevoir ce piège
tendu à ces hommes à l’entrée de l’établissement : un fossé et une
ligne de barbelés à franchir, pendant que des soldats armés de gourdins
se comportent comme des bouchers dans un abattoir ?
Depuis
plus d’un an, combien de fois a-t-on découvert des traquenards mortels
dans la Bande de Gaza? Par exemple : ces corridors, soi-disant
sécurisés, désignés aux déplacés qui deviennent ainsi des cibles pour les
snipers, les artilleurs et les pilotes de « l’armée la plus morale
du monde » ? Et que penser de ce que subissent les victimes
humiliées, tourmentées, traitées comme des « animaux humains »
dans les cours des écoles où les familles se sont réfugiées? On revoit
évidemment ces images insoutenables du stade de Gaza transformé en centre
de triage : ces hommes en sous-vêtements, agenouillés les yeux
bandés, poings liés… qui finissent dans des camions, entassés
« comme du bétail ».
Il
y a ensuite le déni des crimes commis en 1956 et que les autorités
israéliennes ont transformés en émeutes contre leurs troupes d’occupation
qui ont été forcées de tirer, « un malheureux concours de
circonstances » car les « Arabes se sont montrés
hostiles » (selon Moshe Dayan, devant une commission de la Knesset,
le 23 novembre).Comme aujourd’hui, on voit à l’œuvre la stratégie
exceptionnellement cynique consistant à attribuer la responsabilité des
ses propres crimes aux victimes. Et à mettre en doute le bilan humain,
« des centaines de personnes méthodiquement exécutées »
devenant « quelques dizaines tuées accidentellement »…
Nous
sommes en 2024, les civils assassinés se comptent par dizaines de
milliers, et le concept vicieux de « Pallywood » a été inventé
pour répandre le doute et masquer la réalité du génocide, sans aucun
scrupule.
Enfin,
il faut dire un mot des acteurs extérieurs : en 1956, les
médias occidentaux reprennent la version israélienne évoquant des
« incidents regrettables », des « rumeurs »,
« des milliers d’Arabes apparemment déchaînés »,
« méditant probablement un mauvais coup », face à des
« soldats israéliens [qui] se sont bien comportés dans
l’ensemble » (article du quotidien anglais Times, 18
novembre). Il n’y a aucune trace des « incidents » dans les
archives du journal Le Monde, et un article écrit le 30 octobre
1976 pour commémorer les 20 ans de « L’expédition de Suez » ne
mentionne Gaza que pour la décrire comme un « repaire de
fedayin » [sic] …
Cette
couverture biaisée aux accents coloniaux, rappelle la complicité des
médias occidentaux actuels, qui considèrent leurs sources israéliennes
comme systématiquement fiables, reprenant en cœur des mensonges éhontés,
et dépréciant toute information en provenance des Palestiniens par le
fameux « Selon… ».
Un
autre acteur est l’UNWRA, office de l’ONU de soutien aux réfugiés
palestiniens, créé fin 1949. Dès l’occupation militaire de Gaza et
pendant plusieurs semaines, le personnel de l’office de l’ONU est confiné
de force et certains de ses membres palestiniens auraient « disparu
des camps de réfugiés » après avoir été détenus par les Israéliens…
Nul
besoin de mentionner ici la guerre impitoyable, invraisemblable que subit
aujourd’hui l’UNWRA, dont toutes les institutions sont attaquées,
spécialement les écoles, sous prétexte d’être des « nids
terroristes »…
Pour
conclure : ce texte doit énormément au livre magistral intitulé
« Gaza 1956. En marge de l’Histoire » (2010), écrit et
dessiné par le célèbre journaliste graphique américain Joe Sacco, auquel
il a consacré des années et où il montre comment la guerre
d’anéantissement actuelle trouve ses racines en 1956.
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