« Le sol était couvert de
sang. Je sentais la peur traverser mon corps comme de l’électricité. Je
savais exactement ce qui allait arriver. »
https://aurdip.org/le-sol-etait-couvert-de-sang-je-sentais-la-peur-traverser-mon-corps-comme-de-lelectricite-je-savais-exactement-ce-qui-allait-arriver/
Par Jonathan Pollak le 22
janvier 2025 dans Haaretz (source)
De
brutaux passages à tabac, des maladies, la faim — mes amis palestiniens
de Cisjordanie qui ont passé du temps dans les prisons israéliennes
depuis la fin 2023 en sont revenus avec des rapports épouvantables sur ce
qui ne peut être décrit que comme de la torture systématique
Quand
je suis retourné en Cisjordanie l’an dernier, après la longue période de
détention et d’assignation à résidence qui a suivi mon arrestation à une
manifestation dans le village Beita, la Cisjordanie était très différente
de ce que j’avais connu auparavant. L’assassinat de civils, les attaques
par des colons opérant en tandem avec l’armée, des arrestations à large
échelle. La peur et la terreur à chaque coin de rue. Et le silence, un
silence glaçant, sinistre…
J’ai
rapidement senti que quelque chose d’horrible se passait dans les prisons
où les prisonniers politiques palestiniens étaient détenus. Au cours de
l’année dernière, alors que je retrouvais ma liberté, d’innombrables
Palestiniens, dont beaucoup de mes amis et connaissances, avaient été
arrêtés par Israël. Quand quelques-uns d’entre eux ont commencé à être
relâchés et à revenir dans le monde, ils ont fait des récits qui peignaient
une image épouvantable de torture systématique.
Des
passages à tabac brutaux sont un motif récurrent dans tous les récits.
Ils ont lieu pendant les appels nominatifs, pendant les fouilles des
cellules, à chaque fois que les détenus étaient déplacés d’un endroit à
un autre. L’année passée, les audiences aux tribunaux ont eu lieu pour la
plupart via des conférences vidéo avec les prisons, sans que les prévenus
soient amenés physiquement au tribunal. Mais la situation est si mauvaise
que quelques-uns des prisonniers demandent de leurs avocats que leurs
audiences aient lieu in absentia, parce que même le chemin entre
la cellule et la pièce dans laquelle la caméra est installée est une Via
Dolorosa de mauvais traitements physiques et d’humiliation.
Aucun
des récits qui suivent ne révèle quoi que ce soit d’inconnu auparavant.
Tout, jusqu’au moindre détail, remplit déjà volume après volume des
rapports des organisations de défense des droits humains. Mais ce que
j’ai à raconter n’est pas un recueil des témoignages dans un rapport,
mais le produit de conversations intimes, sincères, avec des gens dont je
savais qu’ils avaient survécu à l’enfer. Aucun d’entre eux n’est la
personne qu’il était auparavant. Ce que j’ai entendu de mes amis est
aussi le sort de plusieurs milliers d’autres et je le rapporterai en
changeant les noms et en brouillant des détails d’identification par
crainte de vengeance, ce qui revenait dans chaque conversation.
Passages
à tabac et sang
Je
suis allé voir Malek quelques jours après sa libération…. Malek a été
emprisonné pendant 18 jours. Il a subi trois interrogatoires et à chaque
fois on l’a interrogé sur des sujets tout à fait insignifiants…
Khaled,
un des mes plus proches amis, a aussi souffert de violences entre les
mains des gardiens. Quand il est sorti de prison après huit mois de
détention administrative, son fils ne l’a pas reconnu de loin….
J’ai
entendu un autre témoignage de Nazar, qui a été un détenu administratif
même avant le 7 octobre et qui est passé depuis par plusieurs prisons,
dont l’établissement Megiddo...
Tawfiq,
qui a été relâché de la prison Gilboa cet hiver, m’a dit que pendant une
inspection de son aile par les officiers de la prison…
Munther
Amira – la seule personne à apparaître ici avec son véritable nom – a été
libéré de manière inattendue avant la fin prévue pour sa détention
administrative... dès qu’il a été libéré, Amira est allé devant une
caméra et s’est exprimé sur la catastrophe dans les prisons — les
appelant des « cimetières pour les vivants »…
Faim
et maladie
...
Mais le traitement médical aussi était un luxe. Je ne comprends pas ce
qui se passe effectivement dans les infirmeries des prisons de nos jours,
mais du point de vue des détenus, elles n’existent pas…
Le
viol et les attaques sexuelles sont évoquées presque uniquement comme une
rumeur, quelque chose qui est arrivé à d’autres. La seule personne qui
m’en a parlé explicitement a été Burhan. Il était à la prison Ketziot,
dans le Neguev, et il y a eu un raid dans son aile…
Épilogue
Sde
Teiman, un camp de détention de l’armée près de la frontière de Gaza,
était clairement le pire endroit pour être emprisonné et c’est
probablement pourquoi il a été fermé et transformé en un centre de
rétention temporaire. De fait, il est difficile de penser aux
descriptions des horreurs et des atrocités qui ont émergé de cet enclos
de torture sans penser qu’il a été conçu pour servir de centre au
neuvième cercle de l’enfer. Mais ce n’est pas par hasard que l’État a
accepté de transférer ceux qui y étaient détenus vers d’autres endroits,
principalement Ketziot et Ofer, qui ne sont pas beaucoup mieux.
Sde
Teiman ou pas, Israël retient des milliers de Palestiniens dans des
enclos de torture ; au moins 68 ont été tués depuis le 7 octobre. Parmi
eux, au moins quatre détenus sont morts rien que depuis le début décembre
(2024). L’un d’eux, Mohammed Walid Ali, 45 ans, du camp de réfugiés de
Nur Shams, près de Tul Karm en Cisjordanie, a été tué seulement une
semaine après avoir été emprisonné.
Toutes
ses formes de torture – faim, humiliation, attaques sexuelles, passages à
tabac, assassinats et la contrainte de vivre dans des cellules
surpeuplées — ne sont pas des actes de pure coïncidence. Vues comme un
tout, comme elles doivent l’être, ces actes constituent une politique de
la part d’Israël.
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