Le calvaire
étouffé des Palestiniennes
Par Meriem Laribi, le 8 mars 2024
Le
4 mars, l’ONU a publié un rapport sur les
viols et agressions sexuelles commises le 7 octobre contre des
Israéliennes. Si ce texte a rencontré un vaste écho médiatique, il n’en
va pas de même pour un autre rapport des Nations unies qui concerne cette
fois le traitement des Palestiniennes, en particulier les viols et les
agressions sexuelles subies depuis le début de la guerre contre Gaza.
Huit
expertes de l’ONU ont sonné l’alarme le 19 février.
Dans un communiqué, elles expriment leurs « plus vives
inquiétudes » à propos des informations obtenues de « différentes
sources ». Elles dénoncent des exécutions sommaires, des viols,
des agressions sexuelles, des passages à tabac et des humiliations sur
les femmes et les jeunes filles palestiniennes de Gaza, comme de
Cisjordanie. Elles évoquent « des allégations crédibles de
violations flagrantes des droits humains », dont les femmes et
les filles palestiniennes « sont et continuent d’être victimes ».
Selon
les témoignages, les informations et les images qu’elles ont pu recouper,
des femmes et des filles « auraient été exécutées arbitrairement
à Gaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants ».
« Nous sommes choquées par les informations faisant état du
ciblage délibéré et de l’exécution extrajudiciaire de femmes et d’enfants
palestiniens dans des lieux où ils ont cherché refuge ou alors qu’ils
fuyaient », parfois en tenant, bien en évidence, des tissus
blancs, en signe de paix. Une vidéo diffusée par Middle East Eye
et ayant beaucoup circulé montre notamment une grand-mère palestinienne
abattue par les forces israéliennes dans les rues du centre de la ville
de Gaza, le 12 novembre, alors qu’elle et d’autres personnes
tentaient d’évacuer la zone. Au moment de son exécution, cette femme,
nommée Hala Khreis, tenait par la main son petit-fils qui brandissait un
drapeau blanc.
Des
centaines de femmes seraient également détenues arbitrairement depuis le
7 octobre, selon les expertes onusiennes. Parmi elles, on compte des
militantes des droits humains, des journalistes et des travailleuses
humanitaires. En tout, « 200 femmes et jeunes filles de
Gaza, 147 femmes et 245 enfants de Cisjordanie », sont
actuellement détenus par Israël, selon Reem Alsalem, rapporteuse spéciale
sur les violences faites aux femmes auprès de l’ONU.
Elle évoque des personnes « littéralement enlevées » de
leurs maisons et qui vivent des circonstances de détention « atroces ».
Nombre d’entre elles auraient été soumises à des « traitements
inhumains et dégradants, privées de serviettes hygiéniques, de nourriture
et de médicaments », détaille encore le communiqué de l’ONU. Des témoignages rapportent notamment que des
femmes détenues à Gaza auraient été enfermées dans une cage sous la pluie
et dans le froid, sans nourriture.
Viols et agressions sexuelles
Viennent
ensuite les violences sexuelles. « Nous sommes particulièrement
bouleversées par les informations selon lesquelles les femmes et les
filles palestiniennes détenues ont également été soumises à de multiples
formes d’agression sexuelle, comme le fait d’être déshabillées et
fouillées par des officiers masculins de l’armée israélienne. Au moins
deux détenues palestiniennes auraient été violées et d’autres auraient
été menacées de viol et de violence sexuelle », alertent les
expertes. Ces Palestiniennes seraient « sévèrement battues,
humiliées, privées d’assistance médicale, dénudées puis prises en photos
dans des situations dégradantes. Ces images sont ensuite partagées par
les soldats », selon Reem Alsalem. « Des rapports
inquiétants font état d’au moins un bébé de sexe féminin transféré de
force par l’armée israélienne en Israël, et d’enfants séparés de leurs
parents, dont on ne sait pas où ils se trouvent », dénonce le
communiqué.
Tous
ces faits présumés ayant été perpétrés « par l’armée israélienne
ou des forces affiliées » (police, personnel de prison, etc.).
Le groupe d’expertes exige une enquête israélienne ainsi qu’une enquête
indépendante, impartiale, rapide, approfondie et efficace sur ces
allégations dans laquelle Israël coopère. « Pris dans leur
ensemble, ces actes présumés peuvent constituer de graves violations des
droits humains et du droit international humanitaire, et équivalent à des
crimes graves au regard du droit pénal international qui pourraient être
poursuivis en vertu du Statut de Rome », préviennent-elles. « Les
responsables de ces crimes présumés doivent répondre de leurs actes et
les victimes et leurs familles ont droit à une réparation et à une
justice complètes », ajoutent-elles.
Dans
une interview à UN News, Reem Alsalem déplore le
mépris des autorités israéliennes face aux alertes.
Nous
n’avons reçu aucune réponse, ce qui est malheureusement la norme de la
part du gouvernement israélien qui ne s’engage pas de manière constructive
avec les procédures spéciales ou les experts indépendants.
Elle
précise ensuite que « la détention arbitraire de femmes et de
filles palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza n’est pas nouvelle ».
Ces
allégations ont été fermement rejetées par la mission israélienne de l’ONU qui affirme qu’aucune plainte n’a été reçue par les
autorités israéliennes et dénigre sur X un « groupe de soi-disant
expertes de l’ONU ». « Il est
clair que les cosignataires ne sont pas motivées par la vérité mais par
leur haine envers Israël et son peuple », peut-on lire.
Pourtant
un rapport de 41 pages de l’ONG israélienne
Physicians for Human Rights Israel (PHRI), daté
de février et intitulé « Violation systématique des droits de
l’homme : les conditions d’incarcération des Palestiniens depuis le
7 octobre » corrobore les dénonciations de l’ONU.
On peut y lire de nombreux témoignages décrivant des « traitements
dégradants et des abus graves », y compris des cas non isolés de
harcèlements et d’agressions sexuelles, de violence, de torture et
d’humiliation. Selon PHRI, le nombre de Palestiniens
détenus par le service pénitentiaire israélien (Israel Prison Service)
est passé d’environ 5 500 avant le 7 octobre à près de
9 000 en janvier 2024, dont des dizaines de mineurs et de
femmes. Près d’un tiers des personnes détenues sont placées en détention
administrative sans inculpation ni procès : une prise d’otage, en
somme. Le rapport de l’ONG confirme que l’armée
israélienne a arrêté des centaines d’habitants de Gaza sans fournir
aucune information, même quatre mois plus tard, sur leur bien-être, leur
lieu de détention et leurs conditions d’incarcération.
Embrasser le drapeau israélien
Dans
le rapport de l’ONG israélienne PHRI,
des témoignages de Palestiniens attestent notamment que des gardes de
l’Israel Prison Service (IPS) les ont forcés à
embrasser le drapeau israélien et que ceux qui ont refusé ont été
violemment agressés. C’est le cas de Nabila, dont le témoignage a été
diffusé par Al-Jazeera. Cette femme qui a passé 47 jours en
détention arbitraire qualifie son expérience d’« effroyable ».
Elle a été enlevée le 24 décembre 2023 dans une école de l’UNRWA de la ville de Gaza où elle avait trouvé refuge.
Les femmes ont été emmenées dans une mosquée pour être fouillées à
plusieurs reprises et interrogées sous la menace d’armes, si violemment
qu’elle affirme avoir pensé qu’elles allaient être exécutées. Elles ont
ensuite été détenues dans le froid dans des conditions équivalentes à de
la torture.
Nous
avons gelé, nous avions les pieds et les mains attachés, les yeux bandés
et nous devions rester agenouillées […] Les soldats israéliens nous
hurlaient dessus et nous frappaient à chaque fois que nous levions la
tête ou prononcions un mot.
Nabila
a ensuite été conduite au nord d’Israël, dans la prison de Damon, avec
une centaine de Palestiniennes parmi lesquelles des femmes de
Cisjordanie. Battue à plusieurs reprises, elle est arrivée à la prison le
visage plein d’hématomes. Une fois au centre de détention, les choses ne
se sont pas arrangées pour les otages palestiniennes. Lors de l’examen
médical, il a été ordonné à Nabila d’embrasser le drapeau israélien. « Quand
j’ai refusé, un soldat m’a attrapée par les cheveux et m’a cognée la tête
contre le mur », raconte-t-elle.
L’ONG israélienne affirme que des avocats ont présenté
des plaintes de violence aux tribunaux militaires. Les juges ont pu voir
les signes d’abus sur les corps des détenus mais « à part prendre
note des préoccupations et informer l’IPS, les
juges n’ont pas ordonné de mesures pour prévenir la violence et protéger
les droits des personnes détenues », précise l’ONG
israélienne. Pourtant, « des preuves poignantes de violence et
d’abus assimilables à de la torture ont été portées à l’attention de la
Cour suprême par PHRI et d’autres [...]
Cependant, cela n’a pas suscité de réaction substantielle de la part de
la Cour », regrette encore l’organisation.
L’un
des témoignages rapporté par PHRI fait état
d’agressions sexuelles qui se sont produites le 15 octobre, lorsque
des forces spéciales sont entrées dans les cellules de la prison de
Ktzi’ot (au sud-ouest de Bersabée), et ont tout saccagé tout en insultant
les détenus par des injures sexuelles explicites comme « vous
êtes des putes », « nous allons tous vous baiser »,
« nous allons baiser vos sœurs et vos femmes », « nous
allons pisser sur votre matelas ». « Les gardiens ont
aligné les individus nus les uns contre les autres et ont inséré un
dispositif de fouille en aluminium dans leurs fesses. Dans un cas, le
garde a introduit une carte dans les fesses d’une personne. Cela s’est
déroulé devant les autres détenus et devant les autres gardes qui ont
exprimé leur joie », est-il rapporté. Il n’est toutefois pas
précisé si ce témoignage concerne des hommes ou des femmes.
Sous-vêtements féminins et inconscient colonial
Les
soldats israéliens se sont illustrés sur les réseaux sociaux posant avec
des objets et des sous-vêtements féminins appartenant aux femmes
palestiniennes dont ils ont pillé les maisons. Des images qui ont fait le
tour du monde et provoqué l’indignation générale. Violation de
l’intimité, dévoilement du corps, viol des femmes colonisées : la
domination sexuelle a toujours été une arme majeure caractéristique des
empires coloniaux. « Prendre le contrôle d’un territoire, la
violence politique et militaire ne suffit pas. Il faut aussi s’approprier
les corps, en particulier ceux des femmes, la colonisation étant par
définition une entreprise masculine », explique l’historienne
Christelle Taraud, codirectrice de l’ouvrage collectif Sexualités,
identités & corps colonisés (CNRS
éditions, 2019).
Les
Palestiniennes payent un très lourd tribut au génocide en cours à Gaza.
L’ONU évalue à 9 000 le nombre de femmes
tuées depuis le 7 octobre 2023. Celles qui survivent ont
souvent perdu leurs enfants, leur mari et des dizaines de membres de leur
famille. Il faut évoquer la condition des femmes enceintes qui étaient
plus de 50 000 au moment du déclenchement des hostilités et qui
accouchent, depuis, sans anesthésie et, le plus souvent, sans assistance
médicale. De nombreux nouveau-nés sont morts d’hypothermie au bout de
quelques jours. Les femmes dénutries ont du mal à allaiter et le lait
infantile est une denrée rare. Les chiffres évoluent chaque jour
cependant au 5 mars, au moins 16 enfants et bébés sont morts de
malnutrition et déshydratation à Gaza en raison du siège total et du
blocage de l’aide humanitaire par Israël.
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