Testaments de martyrs
de Gaza
(Lus à la commémoration de la Nakba
le 15 mai 2025 à Lille)
Refaat Alareer
Refaat est un poète palestinien,
professeur de littérature anglaise, assassiné dans la nuit du 6 au 7
décembre 2023 avec 7 membres de sa famille par une frappe israélienne qui
a visé sa maison. Il avait perdu 50 proches depuis le 7 octobre avant
d’être assassiné à son tour. Il a cofondé l’organisation “We are not
numbers” (Nous ne sommes pas des nombres) pour promouvoir l’écriture
comme moyen de refuser l'indifférence face aux crimes commis contre le
peuple palestinien, l’écriture pour donner vie aux morts, pour
transmettre l’histoire des victimes, éveiller les consciences et stopper
le massacre.
Parce que Refaat, comme tous les
martyrs que nous commémorons ne sont pas des nombres, voici son
témoignage en poème, un écrit qui lui redonne vie :
« Si je dois mourir
Tu dois vivre
pour raconter mon histoire
pour vendre mes affaires
pour acheter un morceau de tissu
et quelques ficelles
(fais-le blanc avec une longue traine)
Pour qu’un enfant quelque part à Gaza
regardant le paradis dans les yeux
en attendant son papa parti en fumée –
sans dire adieu à personne
pas même à sa chair
pas même à lui-même
vois le cerf-volant
mon cerf-volant que tu as fait
s’envolant tout là-haut
et pense un instant
qu’un ange est là
ramenant l’amour
Si je dois mourir
que ce soit porteur d’espoir
que ce soit un conte »
Hossam Shabat
Âgé de 23 ans, Hossam a été tué le
24/03/25 dans son véhicule par un drone israélien alors qu'il effectuait
un reportage à proximité de l'Hôpital Indonésien à Beit Lahia. Il a été
l’un des rares journalistes à rester dans le nord de la bande de Gaza
pour documenter l’ampleur des massacres et des crimes perpétrés par
l’armée israélienne, et ce malgré le danger extrême.
A sa mort, Hossam n’était pas encore
diplômé, son université, comme toutes les autres, avait été bombardée. Il
était étudiant mais a su être une école de courage et de dévouement dans
l’exercice de sa profession.
« Si
vous lisez ceci, cela signifie que j'ai été tué. J'ai été tué, très
probablement ciblé, par les forces d'occupation israéliennes. Quand tout
cela à commencé, j'avais seulement 21 ans, j'étais un étudiant avec des
rêves, comme n'importe qui d'autre. Ces 18 derniers mois, j'ai consacré
chaque instant de ma vie à mon peuple. J'ai documenté les horreurs dans
le nord de Gaza minute par minute, déterminé à montrer au monde la vérité
qu'ils ont essayé d'enterrer. J'ai dormi sur des trottoirs, dans des
écoles, dans des tentes, partout où je pouvais. Chaque jour était une
bataille pour survivre. J'ai enduré la faim pendant des mois, mais je
n'ai jamais abandonné mon peuple. Par Dieu, j'ai accompli mon devoir de
journaliste. J'ai tout risqué pour rendre compte de la vérité, et
maintenant, je suis enfin en paix, ce que je n'ai pas connu ces 18
derniers mois. J'ai fait tout cela parce que je crois en la cause
palestinienne. Je crois que cette terre nous appartient, et le plus grand
honneur de ma vie a été de mourir en la défendant et en servant son
peuple. Je vous le demande désormais : n'arrêtez pas de parler de Gaza.
Ne laissez pas le monde détourner le regard. Continuez à lutter,
continuez à raconter nos histoires, jusqu'à ce que la Palestine soit
libre.
Pour la
dernière fois, Hossam Shabat, depuis le nord de Gaza. »
Dr. Adnan El-Bursh
Le Dr Adnan Al-Bursh, chirurgien
orthopédiste responsable du service d’orthopédie à l'hôpital Al-Shifa à
Gaza, a été arrêté le 5 décembre 2023 par l’armée israélienne à l'hôpital
Al-Awda, au Nord de Gaza, où il travaillait temporairement. Dr El-Bursh
était père de 5 enfants, il était joyeux et aimé de tous comme en
témoignent ses collègues. Il était conseiller sportif de l’équipe
nationale de football palestinienne. Il a choisi de rester pour s’occuper
des blessés lorsque l’armée israélienne menaçait et chassait malades et
soignants des hôpitaux.
Après quatre mois de détention, il est
mort sous la torture le 19 avril 2024 à la prison d'Ofer.
« On meurt debout et on ne s'agenouillera
pas, et comme j’ai dit : rien ne restera dans la vallée excepté ses
pierres et nous sommes ses pierres. »
Fatima Hassouna
Fatima avait 25 ans. Jeune diplômée en
multimédia photojournaliste, elle documentait le génocide en cours, la
vie quotidienne des Palestiniens à Gaza, soutenait les enfants
traumatisés par la guerre en animant des ateliers d’écriture.
Fatima est au centre du documentaire
sélectionné au festival de Cannes 2025 « Put your soul on your hands
and walk ». Tuée le 16 avril 2025 avec 10 membres de sa famille dans
le bombardement israélien de la maison familiale dans le quartier
d’Al-Tuffah au nord-est de Gaza.
« Si je meurs, je veux une mort
retentissante. je ne veux pas faire l’objet d’une brève ou être un numéro
parmi d’autres. Je veux une mort dont le monde entier entendra parler. Je
veux laisser une trace qui dure et des photos éternelles que le temps
n’enterrera pas. Mon appareil photo est mon fusil. Souvent, je dis à mes
amies: tu vois, comme on met des balles dans un fusil, moi je mets la
carte mémoire dans mon appareil. C’est la balle de l’appareil, n’est ce
pas?
Je change le monde, je me défends, je
montre au monde ce qui m’arrive et ce qui arrive aux autres à Gaza. C’est
comme ça que je considère mon appareil photo : une arme pour me
défendre. »
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