Lettre ouverte d'un
Palestinien au Président de la République française
suite à l'hommage
national rendu à Stéphane Hessel
Par Majed Bamya - jeudi 7 mars 2013
Monsieur le Président,
Des millions de personnes ont
suivi l'hommage rendu par la France à l'un de ses citoyens, qui a réussi par
ses actes et ses paroles à raviver des valeurs universelles en manque
d'incarnation, et à donner corps aux aspirations d'une jeunesse en quête de
repères. Vous avez compris qu'au cœur du combat de Stéphane Hessel, il y
avait la liberté, et sans doute la dignité humaine. Ce combat, il l'a mené
comme résistant, comme diplomate, comme militant, comme écrivain. Il n'a
jamais déposé les armes et a continué à défendre jusqu'à son souffle ultime
cet absolu, faisant face aux fatalistes, aux résignés, aux frileux.
Parmi ses combats
multiples, un lui a tenu particulièrement à cœur ces dernières années, la
Palestine. Peut être avait-il compris qu'à toute époque, un combat symbolise
plus que tout autre cette lutte permanente contre l'injustice? Le résistant
de la libération pouvait-il être autre chose que le pourfendeur de
l'occupation? Stéphane Hessel a défendu la Palestine, au nom du droit, de la
justice, de la liberté, du devoir de solidarité. Il l'a toujours fait en se
conformant aux valeurs universelles qui lui ont servi de boussole, et non
seulement d'étendard. Il l'a fait au nom de la paix qui ne peut être fondée
que sur la fin de l'injustice et non sa perpétuation. Pourquoi, alors, Monsieur
le Président, ce besoin de vous distancer d'un homme dans un combat honorable
comme celui-ci?
Monsieur le Président,
Stéphane Hessel refusa en permanence d'être le témoin de l'histoire, fut-il
privilégié, pour assumer avec détermination le rôle d'acteur. Il a refusé de
se laisser intimider par les surenchères, les mensonges, les pressions. Ce
qui fait de lui un grand homme n'est pas seulement ce qu'il a accompli mais
le chemin qu'il a pavé pour nous, afin que nous puissions à notre tour
défendre ce même idéal qu'il a voulu nous léguer. Car l'œuvre majeur de
Stéphane Hessel, celle qui est aussi au cœur de son ouvrage, est ce devoir de
transmission. « Indignez-vous! » nous a-t-il lancé, nous rappelant
que le salut venait d'abord de la capacité à défier l'injustice. L'esclavage
fut aboli, l'apartheid s'effondra, le colonialisme céda. Tant reste pourtant
à faire pour fonder la justice politique et sociale que cette génération
appelle de ses vœux, et pour laquelle elle s'est soulevée aux quatre coins du
monde.
En rendant hommage à
Stéphane Hessel, la France aurait dû se parer sans nuances de cet idéal. La
France est loin d'avoir été toujours exemplaire, mais en dépit de ses
tergiversations, elle sut contribuer à la définition de cet idéal humaniste
dont Stéphane Hessel est devenu l'une des figures les plus emblématiques.
Oui, la France s’est parfois reniée. La France coloniale, la France de Vichy,
la France de l’extrême droite. Mais chaque fois qu’elle s’est hissée à la
hauteur de l’histoire, elle s’est montrée capable d’être un grand pays, en
dépit d’une géographie étroite. C’est la France de la République qui défie
des siècles de monarchie absolue. C’est la France qui fait, à la sortie de la
seconde guerre mondiale, le choix de l’Europe, barrant la voie aux
nationalismes exacerbés. C’est la France qui fonde sa démocratie sociale au
moment où le pays en ruine aurait pu être abandonné aux égoïsmes. C’est la
France qui dit non à la guerre contre l’Irak alors que ses intérêts à court
terme auraient pu troubler son jugement.
Sur la question
palestinienne, le peuple français n'a jamais été aussi clair, il soutient la
liberté, la justice, le droit contre ces maux terribles que sont
l'occupation, l'oppression et l'indifférence. La France a souvent été sur
cette question à l'avant garde, osant adopter des positions courageuses qui
nous ont permis d'avancer vers la reconnaissance des droits du peuple
palestinien. En ce sens, Stéphane Hessel a incarné une certaine vision de la
France et d'un humanisme qui trouvent leurs racines dans les leçons tirées
des ténèbres, et dans l'idéal qui fonda les lumières. Le premier Ambassadeur
de France, l'un des rédacteurs de la déclaration universelle des droits de
l'Homme, ce citoyen engagé du monde a toujours été fidèle aux principes qui
ont fondé la République: la liberté, l'égalité, la fraternité.
Monsieur le Président, vous
aviez l'occasion de vous démarquer de ceux qui, en France et ailleurs, ont
décidé de défendre l'indéfendable: l'occupation d'une terre et l'oppression
d'un peuple. Vous avez choisi de vous démarquer de celui qui se rangea, comme
toujours, du coté de la liberté et de la justice, au nom des valeurs
universelles, et d'un principe qui se trouve au cœur de la révolution
française: « les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en
droit ». Aucune formule ne saurait mieux expliquer l'essence de notre
lutte. Si la cause palestinienne est légitime, et elle l'est comme vous le
reconnaissez, alors votre incompréhension ne l'est pas.
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