|
|
|
Les " martyrs " d'Ahlam Shibli créent une polémique Les perturbations se
multiplient autour de l'exposition de la Palestinienne
au jeu de Paume Par Claire Guillot Mardi
18 juin, une alerte à la bombe, suivie d'une évacuation et d'une intervention
de la police, a perturbé le centre d'art du Jeu de paume, à Paris. "
Nous en avons déjà eu une première vendredi 14 juin, soupire la
directrice, Marta Gili. Nos équipes se font
harceler ". Dimanche 16 juin, des perturbateurs avec des drapeaux israéliens
avaient déjà tenté de pénétrer de force sur place. Une plainte a été déposée
après des menaces de mort. La directrice se dit " choquée de
voir que des gens peuvent utiliser la violence pour fermer une exposition
". Elle souligne que l'exposition " Foyer fantôme " a déjà
été présentée au MACBA de Barcelone (Musée d'art contemporain) sans problème. Les
images sont celles d'Ahlam Shibli,
artiste palestinienne qui a ouvert son exposition le 28 mai. Organisée autour
de la notion de " foyer ", sa présentation montre six séries
d'images, prises dans différents pays. Mais c'est la dernière, intitulée
" Death ", faite en Cisjordanie, qui a
mis le feu aux poudres. Dans
les salles, la photographe montre en 68 images comment les Palestiniens
vivent avec le souvenir des combattants qui ont disparu - qu'ils soient
prisonniers, tués dans des combats avec l'armée israélienne, morts après
avoir commis des attentats suicides. Elle photographie leurs représentations,
faisant planer en permanence sur les vivants des ombres morbides : posters
immenses placardés dans les habitations ou dans la ville, photos sur les
tombes, autels, objets et lettres. Dans
une lettre à la ministre de la culture, le 5 juin, le Conseil représentatif
des institutions juives de France (CRIF) dénonçait une exposition faisant "
l'apologie du terrorisme ". En cause, les images, mais aussi les
légendes écrites par l'artiste, où elle utilise le terme de "
martyr ", sans guillemets. Ce à quoi Marta Gili
rétorque en citant le texte d'introduction, où Ahlam
Shibli évoque les auteurs d'attentats suicides qui
se font exploser " pour assassiner des Israéliens ". "
C'est un mot très fort, l'assassinat est un meurtre avec préméditation
". " Travail psychanalytique " Pour
Marta Gili, le travail est surtout "
documentaire, et non militant. Ahlam Shibli ne fait pas de propagande. Les gens ne savent pas
lire les images ". Interrogée sur place le 24 mai, avant la
polémique, l'artiste déclarait : " Je ne mets pas mes opinions
dans mon travail. J'essaie de mettre en lumière des situations ".
Quant à la série " Death ", elle disait,
en évoquant le lien entre la patrie et la mère dans l'esprit des combattants
:" Ce n'est pas un travail politique, mais plutôt psychanalytique.
" Devant
toutes les réactions négatives, pétitions
et appels à manifester, la ministre de la culture a publié le 14 juin un
communiqué qui ménage la chèvre et le chou : réaffirmant le principe de la
liberté d'expression, il admet que l'exposition peut " choquer
et donner lieu à de mauvaises interprétations puisqu'elle n'explique pas le
contexte des photographies qui n'est pas seulement celui de la perte mais qui
est aussi celui du terrorisme. " Et de conseiller au Jeu de
paume de prendre ses distances avec les mots de l'artiste. L'avertissement affiché
depuis à l'entrée de l'exposition ne semble pas avoir apaisé les esprits. La
situation ressemble beaucoup à celle vécue en 2010 par le Musée d'art moderne
de la Ville de Paris, avec l'exposition de Kai Wiedenhoffer,
consacrée aux victimes des bombardements israéliens à Gaza. Le Jeu de paume,
qui a reçu plusieurs soutiens, dont celui de la philosophe Marie-José Mondzain, se dit prêt à organiser un débat, mais pas sur
place, et " avec des gens qui soient prêts à discuter ". |