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Le
boycott, instrument de lutte contre la colonisation israélienne
Par
Corine Boyer
Plusieurs
entreprises néerlandaises et le fonds souverain de la Norvège ont cessé de
collaborer avec des sociétés israéliennes impliquées dans les colonies,
jugées illégales par le droit international. ‣ La France fait figure
d’exception en Europe, puisqu’elle est le seul pays où les militants qui
appellent au boycott sont traduits devant les tribunaux.
Chaque
année, un rapport interne des diplomates européens en poste à Jérusalem
accuse Israël de « miner systématiquement la présence palestinienne dans
Jérusalem par le biais de l’expansion continue des colonies ». Israël a
proclamé Jérusalem sa capitale « éternelle et indivisible » , alors que les
Palestiniens ambitionnent de faire du secteur oriental de la ville, occupé
et annexé par Israël après juin 1967, la capitale de leur futur État.
L’Union européenne, comme l’ensemble de la communauté internationale,
considère Jérusalem-Est comme un territoire occupé et juge illégales toutes
les colonies israéliennes au regard du droit international. Elle estime que
la colonisation et les restrictions imposées aux Palestiniens en
Cisjordanie occupée sapent la viabilité d’un futur État palestinien.
Or,
depuis que le secrétaire d’État américain, John Kerry, a relancé des
pourparlers de paix entre Israéliens et Palestiniens, le gouvernement de
Benyamin Netanyahou a annoncé une série de nouveaux projets de
colonisation. Estimant que la diplomatie n’avance pas, certains pays
européens ont décidé de prendre des mesures.
Ainsi,
le ministère des finances norvégien a annoncé le 30 janvier que le fonds
souverain du pays, le plus grand du monde, bannissait deux entreprises
ayant participé à la construction de colonies israéliennes à Jérusalem-Est,
où la souveraineté revendiquée par Israël n’est pas reconnue par la
communauté internationale. Il a invoqué leur « contribution à des
violations graves des droits des personnes ».
Le
1er janvier, PGGM, un des plus grands fonds de pension néerlandais, a
annoncé qu’il cessait sa collaboration avec cinq banques israéliennes impliquées
dans la colonisation. Les montants en cause pourraient s’élever à plusieurs
dizaines de millions d’euros. Ce retrait a été décidé à la suite de la
décision de plusieurs entreprises aux Pays-Bas et au Royaume-Uni d’arrêter
de travailler avec des entreprises participant au développement des
colonies en Cisjordanie.
En
France, Orange est dans le viseur de l’Association France Palestine
Solidarité (AFPS) pour ses accords avec la société Partner qui « possède
176 antennes en Cisjordanie alors que les Palestiniens ne peuvent pas en
ériger comme ils le veulent », explique Robert Kissous,
membre du bureau national d’AFPS. Pour le militant pro-palestinien, ces
récentes annonces sont la conséquence directe de la campagne BDS (Boycott,
désinvestissement, sanctions) lancée en 2005 ; soutenue par l’Autorité
palestinienne, elle est relayée dans le monde entier par des ONG et vise
les produits fabriqués ou cultivés par des sociétés israéliennes en
Cisjordanie, à Jérusalem-Est ou sur les hauteurs du Golan, comme certains
agrumes, fleurs ou cosmétiques. Elles s’adressent aussi aux entreprises
étrangères qui collaborent avec des sociétés israéliennes impliquées dans
la colonisation. Enfin, les associations militent auprès des États pour
qu’ils prennent des mesures en ce sens.
Les
militants BDS s’appuient sur la non-reconnaissance par le droit
international des implantations israéliennes dans les territoires
palestiniens. Pour Robert Kissous, « il est
aberrant de continuer à laisser entrer des produits qui viennent de
colonies illégales ». Il insiste par ailleurs sur l’injustice vécue par les
Palestiniens, freinés dans leur développement économique et qui
représentent un marché captif pour Israël. Pourtant, la Commission
européenne a pris de nouvelles lignes directrices pour 2014 selon
lesquelles les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens sont
illégales au regard du droit international et par conséquent, aucune entité
installée dans ces territoires occupés par Israël depuis juin 1967 ne peut
bénéficier des subventions, prix et instruments financiers de l’UE.
Toutefois, explique Robert Kissous, « ces lignes
directrices ne sont pas une directive pour les États membres. » Chacun
reste libre de mener des relations commerciales avec Israël et ses
colonies.
D’autre
part, Israël et la Palestine sont depuis 2005 des partenaires commerciaux
privilégiés de l’Union européenne, avec des droits de douane préférentiels.
De nombreuses associations ont réclamé que les produits fabriqués dans les
colonies israéliennes ne profitent pas de cet accord. L’Union européenne a
donc fini par mettre en place une traçabilité des produits par leur code
postal. Aujourd’hui, les marchandises en provenance des colonies payent des
droits de douane, au grand dépit des patrons israéliens en Cisjordanie qui
dénoncent une concurrence déloyale ». Le gouvernement israélien a décidé de
les indemniser sur un fonds spécial pour compenser ces droits de douane. Les
ONG pro-palestiniennes souhaitent que l’UE aille plus loin et qu’elle
impose un double étiquetage des produits pour que les consommateurs
puissent différencier le « made in Israël » du « made in colonies », mais
Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne, a refusé de se
prononcer sur ce sujet délicat, arguant du fait que cela pourrait perturber
les négociations de paix en cours.
Certains
pays européens, comme le Danemark ou le Royaume-Uni, ont toutefois devancé
l’Union européenne en imposant ce double étiquetage des produits. Plusieurs
chaînes de distribution sont même allées encore plus loin en retirant les
produits issus des colonies de leurs étalages, comme la société britannique
Coop. Par ailleurs, certains États membres ont mis en garde leurs sociétés
contre le risque de travailler avec des entreprises israéliennes investies
dans la colonisation. Il ne s’agit plus seulement de boycotter les produits
issus des colonies, mais bien « toute l’infrastructure économique qui
accompagne la colonisation : l’eau, l’électricité, le téléphone, les banques
», détaille Robert Kissous.
La
France est à contre-courant de ses voisins. Non seulement elle ne fait
aucune recommandation à ses entreprises et ne se prononce pas sur le double
étiquetage, mais elle est « le seul pays qui criminalise le boycott », regrette
Robert Kissous, alors que, selon lui, il fait
partie de la « liberté d’expression ».
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