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La Croix.jpg  du 6 février 2014

 

Le boycott, instrument de lutte contre la colonisation israélienne

Par Corine Boyer

 

Plusieurs entreprises néerlandaises et le fonds souverain de la Norvège ont cessé de collaborer avec des sociétés israéliennes impliquées dans les colonies, jugées illégales par le droit international. La France fait figure d’exception en Europe, puisqu’elle est le seul pays où les militants qui appellent au boycott sont traduits devant les tribunaux.

 

Chaque année, un rapport interne des diplomates européens en poste à Jérusalem accuse Israël de « miner systématiquement la présence palestinienne dans Jérusalem par le biais de l’expansion continue des colonies ». Israël a proclamé Jérusalem sa capitale « éternelle et indivisible » , alors que les Palestiniens ambitionnent de faire du secteur oriental de la ville, occupé et annexé par Israël après juin 1967, la capitale de leur futur État. L’Union européenne, comme l’ensemble de la communauté internationale, considère Jérusalem-Est comme un territoire occupé et juge illégales toutes les colonies israéliennes au regard du droit international. Elle estime que la colonisation et les restrictions imposées aux Palestiniens en Cisjordanie occupée sapent la viabilité d’un futur État palestinien.

Or, depuis que le secrétaire d’État américain, John Kerry, a relancé des pourparlers de paix entre Israéliens et Palestiniens, le gouvernement de Benyamin Netanyahou a annoncé une série de nouveaux projets de colonisation. Estimant que la diplomatie n’avance pas, certains pays européens ont décidé de prendre des mesures.

Ainsi, le ministère des finances norvégien a annoncé le 30 janvier que le fonds souverain du pays, le plus grand du monde, bannissait deux entreprises ayant participé à la construction de colonies israéliennes à Jérusalem-Est, où la souveraineté revendiquée par Israël n’est pas reconnue par la communauté internationale. Il a invoqué leur « contribution à des violations graves des droits des personnes ».

Le 1er janvier, PGGM, un des plus grands fonds de pension néerlandais, a annoncé qu’il cessait sa collaboration avec cinq banques israéliennes impliquées dans la colonisation. Les montants en cause pourraient s’élever à plusieurs dizaines de millions d’euros. Ce retrait a été décidé à la suite de la décision de plusieurs entreprises aux Pays-Bas et au Royaume-Uni d’arrêter de travailler avec des entreprises participant au développement des colonies en Cisjordanie.

En France, Orange est dans le viseur de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) pour ses accords avec la société Partner qui « possède 176 antennes en Cisjordanie alors que les Palestiniens ne peuvent pas en ériger comme ils le veulent », explique Robert Kissous, membre du bureau national d’AFPS. Pour le militant pro-palestinien, ces récentes annonces sont la conséquence directe de la campagne BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) lancée en 2005 ; soutenue par l’Autorité palestinienne, elle est relayée dans le monde entier par des ONG et vise les produits fabriqués ou cultivés par des sociétés israéliennes en Cisjordanie, à Jérusalem-Est ou sur les hauteurs du Golan, comme certains agrumes, fleurs ou cosmétiques. Elles s’adressent aussi aux entreprises étrangères qui collaborent avec des sociétés israéliennes impliquées dans la colonisation. Enfin, les associations militent auprès des États pour qu’ils prennent des mesures en ce sens.

Les militants BDS s’appuient sur la non-reconnaissance par le droit international des implantations israéliennes dans les territoires palestiniens. Pour Robert Kissous, « il est aberrant de continuer à laisser entrer des produits qui viennent de colonies illégales ». Il insiste par ailleurs sur l’injustice vécue par les Palestiniens, freinés dans leur développement économique et qui représentent un marché captif pour Israël. Pourtant, la Commission européenne a pris de nouvelles lignes directrices pour 2014 selon lesquelles les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens sont illégales au regard du droit international et par conséquent, aucune entité installée dans ces territoires occupés par Israël depuis juin 1967 ne peut bénéficier des subventions, prix et instruments financiers de l’UE. Toutefois, explique Robert Kissous, « ces lignes directrices ne sont pas une directive pour les États membres. » Chacun reste libre de mener des relations commerciales avec Israël et ses colonies.

D’autre part, Israël et la Palestine sont depuis 2005 des partenaires commerciaux privilégiés de l’Union européenne, avec des droits de douane préférentiels. De nombreuses associations ont réclamé que les produits fabriqués dans les colonies israéliennes ne profitent pas de cet accord. L’Union européenne a donc fini par mettre en place une traçabilité des produits par leur code postal. Aujourd’hui, les marchandises en provenance des colonies payent des droits de douane, au grand dépit des patrons israéliens en Cisjordanie qui dénoncent une concurrence déloyale ». Le gouvernement israélien a décidé de les indemniser sur un fonds spécial pour compenser ces droits de douane. Les ONG pro-palestiniennes souhaitent que l’UE aille plus loin et qu’elle impose un double étiquetage des produits pour que les consommateurs puissent différencier le « made in Israël » du « made in colonies », mais Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne, a refusé de se prononcer sur ce sujet délicat, arguant du fait que cela pourrait perturber les négociations de paix en cours.

Certains pays européens, comme le Danemark ou le Royaume-Uni, ont toutefois devancé l’Union européenne en imposant ce double étiquetage des produits. Plusieurs chaînes de distribution sont même allées encore plus loin en retirant les produits issus des colonies de leurs étalages, comme la société britannique Coop. Par ailleurs, certains États membres ont mis en garde leurs sociétés contre le risque de travailler avec des entreprises israéliennes investies dans la colonisation. Il ne s’agit plus seulement de boycotter les produits issus des colonies, mais bien « toute l’infrastructure économique qui accompagne la colonisation : l’eau, l’électricité, le téléphone, les banques », détaille Robert Kissous.

La France est à contre-courant de ses voisins. Non seulement elle ne fait aucune recommandation à ses entreprises et ne se prononce pas sur le double étiquetage, mais elle est « le seul pays qui criminalise le boycott », regrette Robert Kissous, alors que, selon lui, il fait partie de la « liberté d’expression ».

 

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