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Le Monde.jpg    30 aout 2014

 

En Israël, Benyamin Nétanyahou sort affaibli du conflit dans la bande de Gaza

Par Hélène Jaffiol - Jérusalem Correspondance

 

L'opinion publique est majoritairement persuadée que la guerre contre le Hamas a été perdue. La presse et l'opposition reprochent au premier ministre israélien son indécision

 

Ils sont venus, ils ont vu, ils ont perdu. " Depuis l'annonce, le 26 août, d'un cessez-le-feu illimité avec la bande de Gaza, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, est confronté à un feu roulant de critiques, à l'image de cette formule sarcastique d'un éditorialiste du quotidien de gauche Haaretz.

La mine grise, les traits tirés, le chef du gouvernement israélien s'est exprimé, mercredi 27 août, devant le pays, qui a observé, le cœur lourd, les scènes de liesse et les discours triomphateurs des chefs du Mouvement de la résistance islamiste à Gaza : " Le Hamas n'a obtenu aucune de ses demandes pour signer le cessez-le-feu, même pas une ", a assuré d'entrée le premier ministre lors de cette intervention publique à Tel-Aviv." Il voulait un port. Il ne l'a pas obtenu. Il voulait un aéroport. Il ne l'a pas eu ", a-t-il insisté pour tenter de convaincre l'opinion publique.

Peine perdue. Selon un sondage réalisé par la chaîne publique Aroutz 2 peu après l'intervention de M. Nétanyahou, 59 % des Israéliens estiment avoir perdu la guerre, et seulement 32 % déclarent soutenir encore le premier ministre. Une chute vertigineuse par rapport au 82 % de soutien dont celui-ci disposait au début de l'opération terrestre à Gaza.

Le jugement des commentateurs politiques n'est guère plus clément : " Benyamin Nétanyahou doit être le seul Israélien convaincu d'avoir remporté la guerre contre le Hamas ", ironise Amir Oren, le spécialiste des questions militaires du quotidien de gauche Haaretz.

" Après cinquante jours d'une guerre pendant laquelle une organisation terroriste a tué des dizaines de soldats et de civils, perturbé la vie quotidienne et plongé le pays dans une situation économique dramatique, nous étions en droit d'attendre bien plus que l'annonce d'un cessez-le-feu ", s'indigne le journaliste Shimon Shiffer dans leYedioth Aharonotle quotidien payant le plus diffusé d'Israël.

L'amertume est d'autant plus grande que les jours qui ont précédé le cessez-le-feu font partie des plus meurtriers pour la population civile. Trois Israéliens, dont un enfant âgé de 4 ans, ont été tués par des obus de mortier, portant à 71 le nombre de victimes israéliennes, civiles et militaires.

Dans ce contexte, le discours de M. Nétanyahou est apparu pour nombre d'Israéliens trop " évasif ", laissant planer une sourde menace sur les communautés situées à la frontière avec Gaza : " A-t-on rempli notre objectif d'un calme durable ? C'est trop tôt pour le dire ", reconnaît lui-même le premier ministre. Beaucoup d'analystes rappellent qu'en janvier 2009, au terme de l'opération " Plomb durci " contre la bande de Gaza, M. Nétanyahou, alors chef de l'opposition, n'avait eu aucune indulgence pour le premier ministre de l'époque, Ehoud Olmert.

Un mois plus tard, lors des élections législatives, il s'était fait élire sous le slogan " Nétanyahou fort contre le Hamas ". Cinq ans après, ce sont les représentants de l'aile dure de sa coalition qui fustigent la " mollesse " du premier ministre face aux " terroristes " du Hamas.

De leur côté, les travaillistes et les partis du centre critiquent l'absence de " main tendue " à Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, partisan d'un règlement pacifique du conflit. Pour Zvi Bar'el, spécialiste des territoires palestiniens au quotidien Haaretz, Benyamin Nétanyahou a reconnu, à l'inverse, avec ce cessez-le-feu " la légitimité du Hamas et du Jihad islamique comme des parties intégrantes de la politique palestinienne ".

Le premier ministre israélien se prépare désormais à livrer deux autres batailles. La première sur le front intérieur, pour éponger le coût colossal du conflit (4,3 milliards d'euros) par de probables coupes sèches dans les budgets de l'éducation et de la santé.

Et la seconde sur le front diplomatique, pour contrer l'offensive que Mahmoud Abbas s'apprête à lancer aux Nations unies. La direction palestinienne a en effet annoncé qu'elle demandera, le 15 septembre, au Conseil de sécurité de l'ONU, le vote d'une résolution imposant un calendrier pour la fin de l'occupation israélienne, avec un retrait sur les frontières de 1967, internationalement reconnues.

En cas d'échec, les Palestiniens menacent de saisir la Cour pénale internationale (CPI) contre Israël.

Cette initiative diplomatique a été validée par Khaled Mechaal, lors de plusieurs rencontres à Doha (Qatar) avec le président de l'Autorité palestinienne, en fin de semaine dernière, au terme desquelles le chef en exil du Mouvement de la résistance islamique a signé la demande d'adhésion palestinienne à la CPI.

Parallèlement, l'Autorité palestinienne a envoyé un courrier au secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, ainsi qu'à plusieurs représentants des pays membres, comme la France et la Grande-Bretagne. Dans cette lettre, le ministre des affaires étrangères palestinien, Riyad Al-Maliki, enjoint les Etats membres à traduire devant leurs instances judiciaires, les soldats israéliens à la double nationalité, coupables de crimes de guerre.

Mais ces nouvelles démarches devant les Nations unies ont peu de chance d'aboutir : " Ce sont des gesticulations diplomatiques, chacun sait à Ramallah que ces démarches n'iront nulle part, souligne un ancien négociateur palestinien. Au Conseil de sécurité, la résolution pour le calendrier se heurtera, comme toujours, au veto américain. Il s'agit surtout de remettre la question palestinienne sur le devant de la scène, et pas seulement Gaza, alors que l'Assemblée générale de l'ONU se profile. "

Le même scepticisme prédomine concernant la saisie de la CPI. Pour un spécialiste du dossier palestinien, la probabilité d'un tel recours est " proche de zéro ". Par cet activisme diplomatique, le leader palestinien, cantonné au rôle de spectateur durant les hostilités, tente surtout de reprendre la main face au Hamas, qui sort renforcé politiquement du conflit.

Au sein du Fatah, le parti du président, certains rêvent même à un retour à Gaza, sept ans après en avoir été chassés par le Hamas. " Notre guerre à nous commence maintenant ", souligne un membre du Fatah à Ramallah.

 

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