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Récit
d’un génocide répété Par Ziad Medoukh Le 27 septembre
2014 C’est
difficile pour moi, Palestinien de Gaza, de parler, de témoigner et
de retracer cette nouvelle offensive militaire israélienne qui a
duré plus de 50 jours en juillet-août 2014. C’était terrible! J’aurais besoin
de pages et de pages pour décrire ce carnage, ces crimes et ces massacres
israéliens contre les civils de Gaza. Mais je vais essayer le plus
succinctement possible de narrer une partie de mon vécu pendant les
événements horribles qu'a subi toute la population de la bande de
Gaza. Je
ne vous cache pas que, bien que les bombardements soient arrêtés depuis
plus d’un mois, je suis toujours, comme tout mon peuple, sous le
choc, et que je ne réalise pas que je suis encore vivant, car
c’était vraiment un génocide, personne n’était à l’abri, et
tout le monde attendait son tour d’être tué par le missile d’un
avion militaire israélien ou l’obus d’un char ou d'un tank. Personnellement,
je n’attendais pas le début de cette agression commencée le 8 juillet,
car on était en plein mois de Ramadan, un mois sacré avec des rituels
spéciaux. Mais, avec ce gouvernement d’extrême droite et cette
occupation israélienne illégale, rien n’est sacré. Ils attaquent à
n’importe quel moment. Je
me souviens du début de cette agression, le mardi 8 juillet 2014, vers
11h. J'étais au département de français de l'université avec
mes étudiants et une solidaire française. Ils échangeaient avec elle,
quand, soudain, les bombardements ont commencé, on a décidé de
continuer bien que l’université ait évacué ses étudiants. On est
resté jusqu’à 12h, puis on a quitté à cause de l’intensification
des tirs. Je suis retourné à mon domicile. Sur le chemin, des ambulances
et le bruit des missiles qui tombaient partout. En arrivant chez moi, j’ai
demandé des nouvelles de tout le monde. En fait, les écoles avaient déjà
été évacuées et chacun était rentré chez soi. Dans
l’après-midi, premier appel téléphonique d’un journaliste
français qui voulait des témoignages directs, puis j'ai commencé à
envoyer le premier bilan du début de cette nouvelle agression israélienne aux
amis et aux solidaires, sur internet et sur Facebook,
une première nuit terrible suivie de 49 jours encore plus difficiles: le
début de la troisième offensive militaire israélienne contre la bande de Gaza
en 5 ans!... Cette
offensive militaire contre notre peuple était différente de celles de 2008 et
de 2012, bien que la guerre c’est la guerre, mais la particularité de cette
attaque se résume en 7 points : -
Sa longue durée, plus de 50 jours de bombardements et d’attaques sanglantes,
l’armée d'occupation a mené plus de 7000 raids. -
Le nombre de victimes, 2200 morts palestiniens, parmi eux plus de 500
enfants, et 11000 blessés. -
La destruction massive, notamment des quartiers entiers effacés
de la carte, partout des tours et des centres commerciaux
détruits -
Les attaques sanglantes qui ont visé des écoles abritant les réfugiés, le
centre de la ville de Gaza soit disant sécurisée, où
personne dans aucun lieu n'était à l’abri. -
La résistance militaire palestinienne acharnée, les factions ont lancé des
roquettes jusqu’à la dernière minute avant le cessez le feu -
La résistance exemplaire de notre population civile, solidarité familiale et
unité nationale. -
La forte mobilisation internationale et les manifestations de soutien à la
population de Gaza et contre les crimes israéliens, partout dans le monde. Pendant
cette guerre, l’armée de l’occupation a semé la terreur et l’horreur
dans une région qui subit déjà un blocus inhumain et illégal, depuis plus de
sept ans. Le
véritable objectif israélien est de casser la volonté remarquable de cette
population civile résistante qui, malgré ce blocus et deux guerres
passées, continue de résister et d’exister. Pour
moi, j’ai vécu cet évènement comme toute ma population avec un
quotidien particulier : bombardements- missiles qui tombent toutes les
trois quatre minutes-attaques-peur-inquiétude- pénurie d’électricité et
d’eau-isolement-manque de médicaments et de produits alimentaires. Mais
avec cette particularité que j’ai été sous pression et débordé.
Primait mon devoir de rédiger un compte rendu quotidien et un
bilan de l’agression israélienne et de l’envoyer via internet et les
réseaux sociaux à tous les amis solidaires, aux associations de soutien à la
Palestine et aux médias francophones, une tâche difficile, notamment à
cause des coupures d’électricité permanentes et de la situation de
guerre. Il faut ajouter à cela mes témoignages de tous les jours,
voire de toutes les heures à plusieurs chaînes de radio, de
télévision et aux journaux francophones qui me sollicitaient sans
cesse. Sans exagération, je devais répondre par jour à 30 à 40
appels téléphoniques qui venaient de tous les pays francophones. Je
peux dire que durant cette guerre, ma seule joie était le retour du
courant électrique, ne serait-ce que deux ou trois heures par jour,
pour envoyer les nouvelles et charger mon portable. C’était très important
pour moi ce bilan quotidien, car je tiens beaucoup à la solidarité populaire
avec notre cause de justice, notamment devant le silence complice
de la communauté internationale officielle et la brutalité de
l’agression israélienne. Quand
le courant électrique revenait à n’importe quel moment de la journée,
le matin, le soir, à l’aube, même à 2h ou 3h du matin, un état
d’urgence était décrété chez moi, personne dans la maison n’avait
le droit de me parler ou de me demander quoi que ce soit, la
priorité était d’envoyer mon compte rendu, et j’ai laissé tomber
beaucoup d’obligations familiales, car je suis convaincu de l’importance de
cette solidarité internationale. Je voulais informer sur notre quotidien et
le bilan de l’agression. Je profitais au maximum du courant
électrique Je regroupais les photos et les informations de plusieurs
sites et sources médicales pour les envoyer, je n’avais pas le temps de
m’occuper de mes enfants et de ma famille, et même quand on a reçu chez nous
des familles et des proches qui venaient d’autres régions menacées, ils
n'osaient me parler quand l'électricité revenait Pendant
les premiers 24 jours du carnage israélien, j’ai réussi à envoyer mon bilan
quotidien à des milliers de personnes, et même si je n’avais pas le temps de
lire et de répondre à tous les messages qu'ils m’adressaient, combien
j’ai été conforté de savoir le soutien sans relâche de ces gens de
bonne volonté. Et maintes fois, malgré le risque et les bombes qui
tombaient, je suis allé chez des voisins et chez des amis qui avaient de
l’électricité pour envoyer mon bilan journalier, car je voulais que tout le
monde connaisse notre souffrance et notre douleur suite à ce
nouveau génocide israélien. Vous
ne pouvez imaginer ma tristesse et ma frustration quand la centrale
électrique de Gaza a été totalement détruite par l’aviation israélienne
fin juillet 2014. Pendant 8 jours, aucun foyer de Gaza n'a eu
d’électricité, j’étais isolé, je ne pouvais pas sortir de chez moi, car
c’était la ville de Gaza qui était visée. Heureusement qu’il y avait le
portable , les amis m’appelaient, je ne voulais pas répondre afin
de ne pas décharger ma batterie mais
les dizaines d’appels de ceux qui s’inquiétaient pour moi, eux et des
centaines de personnes qui demandaient de mes nouvelles, m’ont rassuré. Cinq
amis de France, Belgique, Algérie et Maroc ont décidé de m’appeler tous
les jours pour avoir des informations sur moi et sur la situation
à Gaza, afin de rassurer sur internet les autres amis qui étaient très
inquiets de mon silence. Le
moment le plus difficile durant cette agression fut quand je ne pus
sortir de chez moi pendant une semaine, quand le centre de la ville de Gaza
soit disant sécurisé fut bombardé- même mon quartier a été visé ,
3 maisons ont été détruites, et 4 voisins tués- Le seul endroit où
je pouvais aller était la maison de mon voisin qui a un générateur, pour
charger mon portable, trente minutes seulement tous les deux jours. Mon
voisin comme beaucoup de mes amis me parlait souvent de cette mobilisation
pour Gaza, notamment en France, et de la volonté des gens de manifester dans
les rues, malgré l’interdiction officielle. Pendant
les 50 jours, je n’ai pas dormi, même pas deux heures par jour,
j’ai quelquefois passé deux ou trois jours sans dormir, pas seulement
par inquiétude de ces bombardements aveugles, mais pour répondre aux appels
téléphoniques qui venaient de beaucoup de pays, en particulier du Québec,
avec le décalage horaire. Pendant
cette agression israélienne, j’avais comme tout mon peuple plusieurs
sentiments : fierté, confiance, force, courage, peur, inquiétude et
soulagement. Mon
quotidien durant cette guerre a été très difficile et très particulier :
aller au marché tous les deux, trois jours avec beaucoup de risques,
acheter de quoi nourrir ma famille, demander des nouvelles aux
voisins, appeler les amis et les proches quand il y avait des bombardements
dans leurs quartiers, puis rester tout le temps chez moi pour suivre
les informations, notamment à partir des radios qui fonctionnent à
l'aide de batterie, et quand le courant électrique revenait, l’installation
devant mon ordinateur pour écrire mon bilan et garder le contact avec
le monde. Cette situation m'était particulière car je n’ai pas l’habitude de
rester chez moi, je restais souvent tard au département de
français. J’ai profité des jours de trêve pour aller à mon
travail préparer la rentrée prochaine. Lors
de l’écriture de mes témoignages quotidiens et de leur envoi à mon
réseau, trois éléments m’ont marqué : -
J’étais gêné quand les amis et les solidaires me remerciaient, je
n’avais pas besoin de remerciements, je faisais mon devoir d’informer, et ce
n'est rien par rapport aux sacrifices de nos martyrs et de nos blessés qui
ont donné de leur sang pour que vive la Palestine et pour que Gaza reste
digne, l’information fait partie de la résistance. -
Le soutien de ces amis et solidaires à Ziad Medoukh, c’était un soutien à Gaza, ce sentiment me
rendait fier, mais responsable devant ces milliers de personnes que je
devais informer au jour le jour sur la situation -
Le regret de ne pas avoir le temps de répondre à tous les messages:
j’ai découvert plus de 20000 messages sur ma boite email et sur Facebook venant de centaines d’amis et de solidaires. Un
aspect très positif, j’ai gagné beaucoup de nouveaux amis- plus de 3000
nouveaux qui m’ont ajouté sur Facebook-, j’ai
découvert des personnes extraordinaires, de vrais solidaires, des gens de
bonne volonté, qui veulent soutenir Gaza et la Palestine. Ces personnes de
beaucoup de pays étaient très inquiètes quand je ne pouvais pas envoyer mon
bilan, leurs messages si sincères et si proches me rendent plus déterminé que
jamais, ces gens ont gardé le contact avec moi et on
continue d'échanger. J’ai
parlé en direct à 15 manifestations en France et en Suisse, les cris
des solidaires du slogan « Palestine vivra, Palestine vaincra !»
me rendent fort et m’encouragent à résister, car derrière nous il
y a des millions de personnes dans le monde qui expriment leur colère contre
les crimes israéliens et pour soutenir les Palestiniens de Gaza. Un
aspect qui m'a frappé dans les appels et les messages de
beaucoup de personnes de différentes nationalités et de différentes
confessions est que tout le monde prie pour moi : les amis musulmans,
les chrétiens, les juifs, même les non croyants et les athées, j’ai été très
ému par le nombre de messages mais surtout par leur contenu. Parmi ceux
qui m’ont vraiment touché: 1-« Et
j'écrirai votre nom Ziad Medoukh et
celui de Gaza dans une prière spéciale pour vous, que les sources d'eau pure
jaillissent en grand nombre à Gaza. » 2- :
« Je l'ai écouté hier, en pleine circulation... j'ai
failli emboutir la voiture qui était devant moi. Entendre le témoignage
de Ziad Medoukh , alors que j'ai plutôt l'habitude de le
lire... Entendre sa voix triste énoncer l'horreur absolue... :'( » 3-:
« Je ne souffle que quand tu nous écris Ziad Medoukh mais à
mon grand malheur dès que je te lis je suis encore plus
anéantie ». 4-«
Avec toi, Ziad j'ai eu
peur, avec toi, j'ai pleuré, avec toi, j'ai espéré!
» 5-« Nous
sommes tous des Palestiniens, nous sommes tous des Gazaouis » Parmi
les moments douloureux de cette guerre, celui où j’ai composé
mon poème : « Ne pleure pas maman si je tombe en martyr ».
J’attendais mon tour comme tous les civils de Gaza, avec les bombardements
intensifs et aveugles. Ce poème a suscité beaucoup de
réactions chez mes amis malgré sa tristesse, mais il montre l’état
d’esprit de ce danger qui touche tout le monde à Gaza. J’ai
profité de la trêve pour aller au département préparer la rentrée
prochaine et établir un programme de soutien pour mes
étudiants. A propos de ceux-ci, j’ai été fier d’eux : ils ont
écrit et informé leurs amis sur les réseaux sociaux de ce que se passe
à Gaza, ces jeunes étudiants de 19-20 ans qui témoignaient tous
les jours, écrivaient des articles et répondaient aux questions
des journalistes malgré une situation de guerre, et malgré leurs deux ou
trois ans de français, quel courage ! J’ai
pleuré plusieurs fois, je me suis senti impuissant devant les corps des
enfants massacrés, mais je n’ai jamais montré mes larmes ni à ma famille, ni
aux amis quand ils m’appelaient pour avoir de mes nouvelles, eux qui
pleuraient au téléphone. En
dépit de notre vécu tragique pendant ces 50 jours de terreur où Gaza a
supporté l’insupportable, les deux éléments qui m’ont rassuré
sont : -
la volonté remarquable et la patience exemplaire de notre population civile
malgré l’ampleur de cette guerre. -
la mobilisation internationale et le soutien populaire partout dans le monde,
toute la population a apprécié cette solidarité qui a participé à faire
pression contre les gouvernements. On
peut dire qu’aucun objectif israélien de cette nouvelle offensive n’a été
réalisé, notre population digne est toujours débout. Un
mois après l’arrêt de cette nouvelle agression, de ce nouveau génocide contre
notre peuple, rien n’a changé à Gaza, le blocus est toujours là. Tant que les
crimes israéliens ne sont pas jugés et tant que dure l’impunité
d’Israël, un nouveau génocide se prépare. La
forte mobilisation pour Gaza partout dans le monde pendant l’agression
israélienne, très appréciée par notre population civile, devrait être
poursuivie, car, avant et après cette agression, la situation est toujours
marquée par le blocus israélien, la fermeture des frontières et l’interdiction
d’acheminer beaucoup de produits et de matériel. Après
tout, malgré toutes les pertes humaines et la destruction
massive, malgré ces 50 jours de terreur, je suis plus que jamais
déterminé à continuer ma résistance quotidienne dans la
bande de Gaza à travers l’éducation et le travail avec mes jeunes pour une
ouverture sur le monde, avec le soutien des solidaires de notre cause juste
pour une Palestine de liberté et de paix durable, une paix qui passera avant
tout par la justice. |