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15 janvier 2015 Plus que jamais, il faut combattre l’islamophobie L’attaque contre Charlie Hebdo a suscité une
émotion légitime dans tout le pays. Rien ne justifie un tel crime ; rien ne
justifie que l’on s’en prenne à une rédaction ; rien ne justifie que l’on
assassine des journalistes, des policiers, de simples citoyens, certains
parce qu’ils sont juifs. Nous ne savons pas s’il y aura un « avant » et un «
après » ce 7 janvier, mais il est vital que s’ouvre un débat sur l’avenir commun
que nous voulons. Celui-ci a commencé, mais il s’engage dans
une voie dangereuse, celle d’accuser les critiques de Charlie Hebdo d’être, plus ou moins directement, responsables
des morts du 7 janvier. Écoutons Jeannette Bougrab,
ancienne secrétaire d’Etat sous la présidence de Nicolas Sarkozy : « A force de les pointer du doigt, de dire
qu’à Charlie Hebdo ils
sont des islamophobes, qu’ils détestent l’islam (…). Je pense aux Y’a bon awards et
aux Indigènes de la République, bien sûr qu’ils sont coupables. Je le dis et
j’assume mes propos. » Ce type d’argument est régulièrement
développé par l’essayiste Caroline Fourest. Il a
été repris dans une tribune du Monde (9 janvier) par
Christophe Ramaux, qui insiste sur la
responsabilité des organisateurs et des participants – du Parti des indigènes
de la République à Politis, en
passant par Edwy Plenel
et Attac – à un colloque, le 13 décembre 2014, contre l’islamophobie (auquel Ramaux n’a visiblement pas assisté). Ces attaques cherchent à nous enfermer
tous dans des choix binaires (pour Charlie Hebdo ou pour les terroristes), à criminaliser
ceux qui se mobilisent contre l’islamophobie, ceux qui ont critiqué
l’hebdomadaire satirique, en le traitant de complice des assassins. Elles
reviennent à refuser le droit à la critique, ce qui est pour le moins
paradoxal venant de ceux qui s’érigent en défenseurs de la liberté
d’expression, sans limites ni frontières. Ainsi nous serions responsables des
morts de ce mois de janvier ? Que faut-il dire alors des intellectuels et des
journaux qui ont soutenu l’intervention américaine de 2003 en Irak, qui a
provoqué des dizaines de milliers de morts ? Au-delà de ces polémiques s’ouvrent deux
types de questions qui méritent une discussion approfondie. D’abord,
existe-t-il un rapport entre la politique que mènent les pays occidentaux et
la montée de groupes extrémistes et fanatiques ? Ensuite, quelle est la
réalité de l’islamophobie en France et pourquoi faut-il la combattre ? Aucun
programme politique uni Rappelons un fait simple. En 2003, quand
les Etats-Unis envahissaient l’Irak, Al-Qaida
n’existait pas dans ce pays et était en recul partout ; elle ne disposait
d’aucune base territoriale. Vingt ans après le déclenchement de « la guerre
contre le terrorisme », l’organisation de l’Etat islamique (EI) contrôle
désormais un large territoire en Irak et en Syrie. La coalition mise en place contre l’EI à
l’été 2014 ne présente aucun programme politique uni, mais multiplie les
bombardements. Plusieurs recherches ont confirmé que l’utilisation sur large
échelle de drones au Pakistan, au Yémen et en Somalie créait de nouvelles
générations de combattants extrémistes. Enfin, il y a la Palestine ; point
besoin d’être un extrémiste pour penser, comme le secrétaire d’Etat américain
John Kerry ou le général David Petraeus, que la
poursuite du drame palestinien nourrit l’idéologie des groupes les plus
extrémistes. Et, pourtant, on laisse faire l’occupant israélien et Benyamin Nétanyahou défile à Paris pour… Charlie Hebdo. L’autre débat porte sur l’existence et
l’ampleur de l’islamophobie en France (et plus largement en Europe). Avant
même l’attaque contre Charlie
Hebdo, on assistait à la multiplication d’actes islamophobes ; ceux-ci
se sont accrus depuis. C’était le sens de la réunion internationale du 13
décembre 2014 à Paris (et simultanément à Londres, Amsterdam et Bruxelles). Elle se tenait à un moment où le concept
d’islamophobie a fini par s’imposer, comme le soulignait le dernier rapport
du Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Que
signifie-t-il ? L’accusation d’islamophobie ne vise par ceux qui critiquent
la religion, mais ceux qui attribuent aux musulmans une « identité » qui
découlerait du Coran, qui en font un groupe homogène et porteur d’un projet
cohérent visant nos institutions, nos valeurs. Héritage
de la laïcité Au rebours de cette analyse, nous nous
inscrivons dans l’héritage de la laïcité telle qu’elle a été définie par les
députés qui ont voté la loi de 1905, une séparation des Eglises et de l’Etat,
une neutralité de l’Etat (et non pas des citoyens), le droit de chacun
d’affirmer sa religion dans l’espace privé ou public. Ce dont nous avons
discuté en décembre, c’est du droit des mères a accompagner leurs enfants
lors des sorties scolaires, des réponses féministes à l’islamophobie, du
droit de jeunes filles pratiquantes et voilées à fréquenter l’école publique,
des droits des musulmans a exister comme sujets politiques et à manifester, y
compris pour la Palestine, de leur « droit au travail et leurs droits au
travail », des contrôles au faciès et du rôle de la police. Pourquoi combattre l’islamophobie ? Parce
que cet engagement offre une analyse rationnelle à une jeunesse qui ne
comprend pas pourquoi on la déteste et qui finit par raisonner en termes de «
choc des civilisations ». Cette lutte ne met pas le peuple français aux
prises avec les musulmans, mais des forces politiques progressistes avec des
forces réactionnaires. Plus nombreux seront les antiracistes qui
se joignent à ces mobilisations, plus il sera clair que nous ne sommes pas
engagés dans un conflit identitaire, religieux ou culturel mais politique.
Nous produisons un espoir face à tous les fabricants de désespoir. Nous
mettons en garde, avec l’Union juive française pour la paix, contre
l’essentialisation des juifs et insistons sur le caractère politique,
colonial et non confessionnel du conflit israélo-palestinien. Nous ne défendons pas les musulmans, mais
l’avenir de la société française dans sa diversité. Nous représentons un
espoir que nos détracteurs risquent de détruire. L’essentiel est d’assurer
l’égalité entre tous. «
L’égalité ou rien », proclamait l’intellectuel
américano-palestinien Edward Said. Cette tribune est l’œuvre d’un collectif : Saïd Bouamama, porte-parole du Front uni des immigrations et
des quartiers populaires ; Houria Bouteldja, membre du Parti des indigènes de la République
; Ismahane Chouder, coprésidente
du collectif féministe pour l’égalité ; Alain Gresh,
journaliste ; Michèle Sibony, porte-parole de
l’Union juive française pour la paix, Denis Sieffert,
directeur de Politis. |