|
|
|
Israël face à la
menace grandissante du boycott La
polémique qui a suivi les propos du PDG d'Orange s'inscrit dans un contexte
d'isolement croissant de l'Etat hébreu Par Piotr Smolar Un communiqué de quatre
lignes, calibré à la virgule près. Voilà comment le ministre des affaires
étrangères français, Laurent Fabius, a tenté d'éteindre l'incendie Orange,
vendredi 5 juin. " S'il appartient au président du
groupe Orange de définir la stratégie commerciale de son entreprise, la
France est fermement opposée au boycott d'Israël. La France et l'Union
européenne ont par ailleurs une position constante et connue de tous sur la
colonisation. " Ce communiqué est un baume. Il vise à faire
baisser la fièvre provoquée par Stéphane Richard, le PDG d'Orange, lors de
son déplacement au Caire deux jours plus tôt. Celui-ci a
laissé entendre que sa société romprait dès " demain
" avec son partenaire israélien, la société Partner, si, en
faisant cela, Orange n'encourait pas le risque de lourdes pénalités
financières. Ce retrait hypothétique semblait donner des gages aux ONG qui
exercent des pressions depuis plusieurs années sur l'opérateur français. Dans
un rapport publié récemment, ces organisations, parmi lesquelles la
Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), mettaient
en cause les profits réalisés par Partner dans les colonies. "
Elle a construit et possède une centaine d'antennes sur des terres
privées palestiniennes confisquées, offre ses services aux colons et à
l'armée israélienne, et tire profit des restrictions à l'économie
palestinienne ", expliquait le rapport. Dans les
heures qui ont suivi les propos de M. Richard, les médias israéliens se sont
enflammés. Le premier ministre, Benyamin Nétanyahou,
a exigé une clarification de Paris. Le gouvernement français lui a donné satisfaction ; à moins de trois semaines d'une
visite importante de M. Fabius en Israël et en Cisjordanie, le parasitage
tombait mal. M. Richard a, quant à lui, accordé un entretien au
quotidien Yedioth Ahronothpour
se confondre en excuses – " J'aime Israël ! "
–, assurant que ses propos " n' - avaient
- rien à voir avec une campagne anti-israélienne ". Voilà
l'offensé rassuré. " Suite à ces explications, commente le
porte-parole du ministère des affaires étrangères israélien, Emmanuel Nahshon, on peut conclure que ses propos reflétaient
une très grande maladresse et la volonté de plaire à une audience arabe au
détriment des bonnes relations avec Israël. " Des coups
d'éclat salués L'incident
est clos. Mais la fièvre ne risque pas de retomber. L'affaire Orange
s'inscrit dans un contexte plus large, l'isolement d'Israël et la dynamique
dont bénéficie un mouvement multiforme appelé " BDS ",
comme " boycott, désinvestissement, sanctions ". Lancé
en 2005, il a pour objectifs la fin de l'occupation et l'obtention de
droits égaux pour les Arabes israéliens. Longtemps, le gouvernement a méprisé
ceux qui voulaient porter atteinte à ses intérêts et placer l'Etat hébreu sur
le banc des accusés. Israël était concentré sur des menaces traditionnelles : l'Iran, le Hezbollah libanais, le
Hamas. Mais, depuis plusieurs mois, une attention inédite est prêtée au BDS,
dans un contexte très défavorable. Même les
alliés d'Israël s'irritent de la mauvaise volonté du gouvernement et de
l'extension des colonies. L'Etat hébreu a eu des sueurs froides, fin mai,
lorsque sa fédération de football est passée à deux doigts d'un vote sur sa
suspension, lors du congrès de la FIFA. Mi-avril,
les ministres des affaires étrangères de seize des vingt-huit membres de
l'Union européenne (UE) ont demandé à la haute représentante, Federica Mogherini, de
promouvoir l'étiquetage des produits fabriqués dans les colonies
israéliennes. Ce petit pas, destiné à éclairer les consommateurs-citoyens,
est inédit. Il n'a pas été souhaité par l'Allemagne, signe des divisions au
sein de l'UE. " Pour les Européens, les sanctions contre
Israël relèvent quasiment de la pornographie ", relève un
diplomate européen. Mais ce
n'est pas au niveau des Etats que la menace BDS se précise. Elle prend racine
dans les sociétés occidentales. Agriculture, banque, littérature, recherche,
sport… Les initiatives locales se font écho entre elles. Internet leur
fournit une caisse de résonance bien au-delà du nombre réel de personnes
engagées. Parfois, les activistes se réjouissent de coups d'éclat. En juin
2014, l'Eglise presbytérienne, aux Etats-Unis, a annoncé son retrait de
trois sociétés dont les produits sont utilisés par Israël dans les colonies.
La même année, PGGM, le fonds de pension hollandais, s'est retiré
des cinq banques israéliennes en raison de leurs activités dans les
territoires occupés. Fin mai, M.
Nétanyahou a dénoncé une "
campagne internationale pour noircir "Israël. "
Ce n'est pas lié à nos actions, mais à notre existence même
", a-t-il ajouté. Telle est la ligne de défense officielle : ceux qui soutiennent le BDS veulent
délégitimer l'Etat hébreu. Certains n'hésitent pas :
les activistes du BDS seraient des antisémites du XXIe siècle drapés
dans les droits de l'homme. Cette dramatisation, relayée par certains médias
comme le Yedioth Ahronoth, a
deux conséquences : la mise sous tension
patriotique ; le déni de la question de fond, l'occupation. L'université,
lieu-clé de la bataille L'importance
réelle du BDS, elle, est débattue. " Ça ressemble à un
tsunami politique, mais, en réalité, ses militants sont actifs dans pas plus
de dix ou douze endroits dans le monde, la plupart en Europe, souligne
l'expert Eran Shayshon,
qui a beaucoup travaillé sur le BDS au sein du Reut
Institute, à Tel-Aviv. Ils sont d'abord à Londres, Bruxelles ou Madrid,
et puis dans la zone de San Francisco ou à Johannesburg. Ils ont réussi à
créer une atmosphère d'hostilité au sein des cercles libéraux progressistes,
qui ne donnent plus le bénéfice du doute à Israël. " Selon
Emmanuel Nahshon, derrière cette formation se
trouverait " une trinité malsaine entre l'extrême gauche,
l'extrême droite et des activistes musulmans, tous unis contre Israël.
". Mais ce n'est là qu'une partie de la réalité. Le BDS est
un outil de mobilisation, aussi bien pour la gauche israélienne, épuisée par
sa propre rhétorique sur la paix, que pour les Palestiniens engagés, désespérés
par l'atrophie de leur système politique. Cofondateur
du BDS en Cisjordanie, Omar Barghouti se félicite de l'ampleur prise par le
mouvement, hors des structures partisanes. " Notre stratégie
d'isolement du régime oppressif israélien a été assez efficace dans les
sphères académiques et culturelles, et de plus en plus également dans la
sphère économique ", dit-il. Omar Barghouti balaie les
soupçons d'antisémitisme et de délégitimation de
l'Etat hébreu. " Si la liberté, la justice et les droits
égaux pour tous devaient détruire Israël, qu'est-ce que cela dit d'Israël
? Est-ce que l'égalité a détruit le sud des Etats-Unis
? Ou l'Afrique du Sud ?
"L'activiste souhaiterait que l'UE suspende son accord
d'association avec Israël et impose un embargo militaire, en plus d'une
interdiction stricte de toutes les importations de produits fabriqués dans
les colonies. Sur le plan
économique, l'impact du BDS est, pour l'heure, plus symbolique que réel. Mais
chaque campagne ciblant un grand groupe étranger, un supermarché, un
annonceur, un opérateur, pour l'inciter à ne plus investir en Israël est
perçu comme un coup de hache dans la proue du navire. La réaction s'organise.
Ce week-end, a rapporté la presse, une réunion de crise se tiendra à Las
Vegas, aux Etats-Unis. L'hôte sera le magnat des casinos, Sheldon Adelson, par ailleurs soutien indéfectible de Benyamin Nétanyahou. D'autres riches représentants de la
communauté juive américaine seront là, avec des organisations d'influence,
pour discuter de la stratégie à adopter pour contrecarrer le mouvement BDS. L'un des
lieux-clés de cette bataille de communication est le milieu universitaire. Le
chef de l'Etat israélien, Réouven Rivlin, a reçu, il y a quelques jours, les présidents
d'université. Il a estimé que le BDS était une " menace
stratégique " pour le pays. Président du prestigieux institut
de technologies Technion, à Tel-Aviv, Peretz Lavie craint que le
pays " se retrouve isolé ". Il se dit "
inquiet devant la campagne qui se développe sur les campus américains,
que ce soit à Berkeley, UCLA ou Michigan. Les syndicats d'étudiants
considèrent Israël comme un régime d'apartheid, soupire-t-il. Or ces
jeunes deviendront sénateurs, gouverneurs ou avocats. Tout cela repose sur
une ignorance totale. En dix ans, à Technion, le
nombre d'étudiants arabes est passé de 7 % à 20 % ! » Selon Peretz Lavie, le BDS gagne du
terrain en silence, dans le monde académique. " Sans dire
pourquoi, certains scientifiques refusent de venir en Israël pour des
conférences, d'autres de signer des lettres de recommandation. Mais nos
universités ne sont pas responsables de la politique du gouvernement !
" |