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L'inquiétant rapport confidentiel de l’Union
européenne sur Jérusalem 13 février 2017 Par René Backmann Mediapart publie le rapport confidentiel des consuls
européens à Jérusalem et Ramallah qui vient d’être transmis à Bruxelles.
Selon ce texte, la situation à Jérusalem n’a jamais été aussi menaçante
depuis 1967. Si la politique de colonisation et de discrimination menée par
Israël se poursuit, les bases mêmes d’une solution pacifique seront
détruites. Mais Netanyahou bénéficie désormais du soutien de Trump. Et
l’Europe ne semble pas entendre les mises en garde de ses propres diplomates. « L’expansion
des colonies et l’exclusion politique, économique, sociale des Palestiniens,
qui ne cesse de s’aggraver, ont un impact négatif sur la situation à
Jérusalem. La polarisation et la violence croissante dans la ville menacent
de plus en plus la viabilité de la solution à deux Etats avec Jérusalem comme
capitale commune. Et le niveau des tensions risque de s’élever encore en 2017
avec le cinquantième anniversaire de l’annexion de la ville compte tenu de ce
que prévoient, à cette occasion, les autorités israéliennes ». C’est sur cet
avertissement très inquiétant que s’ouvre le dernier rapport confidentiel des
chefs de missions diplomatiques de l’Union européenne à Jérusalem et à
Ramallah récemment transmis au Comité politique et de sécurité du Service
européen d’action extérieure – le ministère des Affaires étrangères de
l’Europe. Depuis qu’un
diplomate britannique en a eu l’idée en 2005, les consuls et consuls généraux
représentant les pays de l’UE en Israël et dans les territoires occupés
rédigent chaque année pour leur administration centrale à Bruxelles une sorte
« d’état des lieux » qui fait le point sur la situation à Jérusalem-Est.
Année après année, ces documents dessinent un carcan urbanistique, juridique,
militaire et bureaucratique qui ne cesse de se refermer autour de la
population palestinienne de Jérusalem, parallèlement à ce que l’occupation et
la colonisation imposent aux Palestiniens de Cisjordanie. Depuis
plusieurs années, déjà les diplomates européens, lancent, de manière de plus
en plus alarmante, le même avertissement au gouvernement israélien : le
développement constant de la colonisation, à Jérusalem-Est comme en
Cisjordanie, met en péril mortel la « solution à deux Etats », seule
proposition diplomatique avancée à ce jour pour résoudre, par la négociation,
le conflit israélo-palestinien. Décidé, depuis son retour au pouvoir en 2009,
à préserver le statu quo que protègent son écrasante supériorité militaire et
la tolérance aveugle de la communauté internationale, le premier ministre
israélien Benjamin Netanyahou, soutenu à la Knesset par une majorité de plus
en plus à droite et influencée par les colons fait la sourde oreille à ces
avertissements. Et conduit,
au contraire, une politique d’occupation et de développement de la
colonisation qui transforme les zones de population palestinienne en ilots
menacés au sein d’un espace géographique sous contrôle d’Israël et de son
armée. Cette politique impunie d’Israël vient d’être condamnée, fin décembre
par l’adoption au Conseil de sécurité des Nations Unies de la résolution 2334
qui demande à Israël de « cesser immédiatement et complètement toute activité
de colonisation dans le territoire palestinien occupé, y compris
Jérusalem-Est et de respecter toutes ses obligations légales dans ce domaine
». Résolution
d’autant plus importante qu’elle a été votée avec l’aval de Washington,
protecteur historique d’Israël, qui a décidé, exceptionnellement, de ne pas
faire usage, en la circonstance, de son veto. Conforté apparemment par
l’entrée en fonction, quelques semaines plus tard de Donald Trump, soutien
déclaré d’Israël et de Netanyahou, le gouvernement israélien a réagi en
qualifiant cette résolution de « honteuse » et « antisémite ». C’est
l’application à Jérusalem-Est de cette stratégie israélienne d’occupation et
de colonisation, très largement condamnée, et pourtant à ce jour impunie,
qu’étudie, minutieusement le rapport 2016 des consuls européens, document à
diffusion restreinte que Médiapart s’est procuré et publie en intégralité
(lire le document format PDF en anglais (pdf, 1.1 MB) ). Première
constatation : le mécanisme complexe de règles, de pratiques bureaucratiques,
de lois ad hoc et d’impératifs sécuritaires, véritable machine infernale
contre une paix négociée et pérenne, que met en œuvre Israël, à Jérusalem-Est
obéit à un choix de planification ethnique arrêté en 2007 par la municipalité
de Jérusalem : la population palestinienne de la ville ne doit pas excéder
40% de la population municipale totale. Pour
respecter cet objectif – qui fait bon marché du droit international, tel
qu’il doit être appliqué dans un territoire occupé – les
planificateurs-occupants ont mis au point un arsenal orwellien qui n’épargne
aucun domaine de la vie quotidienne des habitants de Jérusalem-Est.
Rappelant, par exemple, que les Palestiniens de Jérusalem-Est disposent d’une
carte d’identité spéciale qui leur permet de résider à Jérusalem-Est et de
circuler en Israël, mais pas d’y voter lors des élections législatives, les
auteurs du rapport constatent que ce statut est précaire et qu’il et être révoqué
par les autorités si elles estiment que Jérusalem-Est n’est pas le « centre
de vie » du résident. Entre 1967 et
2015, 14 500 Palestiniens ont ainsi perdu leur droit de résidence. En outre,
le statut de résident permanent, déjà difficile à préserver, ne s’applique
pas automatiquement, en cas de mariage aux conjoint(e)s, des résident(e)s et
ne se transmet pas automatiquement aux enfants. Et la procédure «
d’unification de famille » nécessaire pour tenter de régler un telle
situation est longue et coûteuse. Selon le ministère israélien de
l’Intérieur, près de 8000 Palestiniens vivaient ainsi en 2015 à Jérusalem
avec un simple permis de séjour temporaire. C’est-à-dire expulsables du jour
au lendemain. Une bonne partie d’entre eux étaient des enfants dont l’un des
parents possède une carte d’identité de résident à Jérusalem-Est, et l’autre
des papiers d’identité de Cisjordanie. Benjamin Netanyahou l’a admis
publiquement en octobre 2015, rappellent les auteurs du rapport : la
révocation du droit de résidence est l’une des mesures qui peuvent être
prises à titre de punition ou de dissuasion en cas d’escalade de la violence. Le tramway, «détonateur des tensions» Autre
obstacle quotidien à la liberté de mouvement des Palestiniens : le mur ou la
barrière de séparation construite par Israël en Cisjordanie, officiellement
pour des raisons de sécurité, en réalité pour annexer de fait à Israël de
larges sections du territoire palestinien, en particulier celles où se
trouvent les principaux blocs de colonies. En matière de commerce et
d’emplois, le préjudice causé à l’économie palestinienne est évalué par le
rapport à 200 millions de dollars par an. « La barrière de séparation et le
régime de permis qui lui est associé, écrivent les diplomates européens,
continuent d’avoir un impact social, humanitaire et économique très négatif
sur Jérusalem-Est et son arrière-pays palestinien. Elle déconnecte
Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie et sépare, physiquement des
communautés palestiniennes au sein de Jérusalem-Est. Et, en même temps, elle
incorpore des colonies israéliennes, situées au-delà de la Ligne verte de
1967 [limite de la Cisjordanie] dans la ville ». Selon le
document européen, au moins 70 000 Palestiniens résidents de Jérusalem-est
qui vivent dans des zones rejetées en Cisjordanie par les méandres savants de
la barrière ou du mur ont désormais besoin de franchir un check point pour se
rendre à leur travail, ou avoir accès aux services – santé, éducation –
auxquels leur donne droit leur statut de résident et de contribuable de
Jérusalem. Pour les Palestiniens qui n’ont pas de permis de résidence à
Jérusalem-Est, c’est à dire ceux de Cisjordanie, la vie est en encore plus
compliquée relèvent les diplomates. Ils doivent disposer d’un permis, très
difficile à obtenir car soumis à une multitude de conditions. Ils ne sont pas
autorisés à entrer à Jérusalem en automobile et à y passer la nuit. Et ils ne
peuvent entrer que par 4 des 16 check-points qui entourent la ville. Alors que les
316 000 Palestiniens de Jérusalem-Est représentent environ 37% de la
population de la ville, la part du budget municipal affecté à leurs quartiers
ne dépasse pas 10%. Ce qui se traduit par un manque criant de classes dans
les écoles, de services d’urgence médicale, de bureaux de poste, de véhicules
et de personnels pour la collecte des ordures. En matière d’éducation, note
le rapport, Jérusalem-Est manque de 2 672 classes. Plutôt que de mettre en
chantier des classes nouvelles, la municipalité de Jérusalem, s’est limitée,
pour contenir le mécontentement, à louer 800 locaux, pour la plupart mal
adaptés à l’enseignement. Et la
situation n’est pas près de s’arranger : la planification urbaine israélienne
n’affecte pas plus de 2,6% de la superficie de Jérusalem-Est à la
construction d’édifices publics. A ce manque de locaux scolaires s’ajoute,
comme pour les six hôpitaux de Jérusalem-Est un sérieux problème de liberté
de circulation du personnel. Entre 70 et 80% du personnel des hôpitaux de
Jérusalem-Est a besoin d’un permis – renouvelable tous les six mois – pour
entrer en ville. Et le quota d’employés originaire de Cisjordanie, qui est
variable, est notifié verbalement aux directeurs d’hôpitaux. Une centaine de
médecins sont autorisés à entrer à Jérusalem en voiture, les infirmières et
le reste du personnel doivent franchir les check-points à pied. On imagine
que, dans de telles conditions, l’économie de Jérusalem-Est, qui repose
essentiellement sur un tissu de petites ou très petites entreprises vit des
temps difficiles, d’autant que « le secteur du tourisme palestinien ne reçoit
qu’une part très modeste des revenus générés par le tourisme international ».
« En raison de son isolement et du système strict des permis israéliens, la
ville a largement cessé d’être un centre économique et commercial, constatent
les diplomates. Surtout, la contribution globale de Jérusalem-Est au PNB
palestinien a décliné de 15% avant les Accords d’Oslo à moins de 7%
aujourd’hui ». Le taux de chômage avoisine 35% chez les jeunes et 19,9% parmi
les femmes. Et le taux de pauvreté est passé entre 2006 et 2016 de 64% à 75%. Quant aux
infrastructures de transport, « elles servent surtout, constate le rapport, à
renforcer le contrôle israélien sur Jérusalem-Est ». « Le tramway illustre la
politique israélienne qui consiste à relier les colonies israéliennes de
Jérusalem-est avec le centre-ville à Jérusalem-Ouest, affirme le document. A
l’exception de quelques stations, à Shu’afat et Beit Hanina, le tram ne
dessert pas les quartiers palestiniens. La municipalité de Jérusalem prévoit
de doubler pratiquement la longueur de la ligne de tram existante jusqu’à la
colonie de Neve Yaakov, pour relier d’autres colonies (Neve Yaakov, Gilo,
Ramot) à Jérusalem-Ouest ». D’autres infrastructures, notamment un
téléphérique urbain et des routes en construction ou en projet dont la liste
figure dans le rapport illustrent l’intention israélienne de « consolider la
liaison entre les principales colonies israéliennes et Jérusalem ». Cette
stratégie est désormais si claire que « les infrastructures qui contribuent à
la politique de colonisation (ou au « schéma d’unification ») sont de plus en
plus perçues par les Palestiniens comme des instruments de l’occupation,
donc, de plus en plus souvent considérés comme des cibles légitimes, dont la
valeur est équivalente à celle des colonies elles-mêmes. C’est pourquoi, en
dépit d’une diminution des actes de violence depuis le milieu de l’année
2016, le tramway demeure un détonateur des tensions ». Tensions que les
responsables palestiniens ont de plus de plus de mal à contrôler. D’autant
que leur absence a été organisée par Israël. La fermeture par le gouvernement
israélien des principales institutions palestiniennes de la ville – Orient
House, siège de l’OLP, ou la Chambre de commerce – comme le harcèlement dont
sont victimes les institutions culturelles, ou la répression qui se poursuit,
contre toute forme de vie politique palestinienne à Jérusalem-Est ont «
largement contribué à la fragmentation de la société palestinienne, à
l’isolement des communautés locales palestiniennes et à l’affaiblissement de
l’identité collective » Après avoir
rappelé que pour l’UE « les colonies sont illégales au regard du droit
international et constituent un obstacle à la solution à deux Etats et à la
paix », et que 211 000 colons sur les quelque 600 000 implantés dans les
territoires occupés, vivent aujourd’hui à Jérusalem-Est, à côté de 316 000
Palestiniens, les auteurs du rapport passent en revue, les différentes
stratégies employées par Israël pour densifier la population juive de
Jérusalem-Est. Et cela, tout en séparant les quartiers palestiniens les uns
des autres par des colonies urbaines qui bloquent l’extension de l’habitat
palestinien et en coupant la ville de la Cisjordanie par un chapelet de
colonies périphériques qui interdisent tout développement des faubourgs
palestiniens vers le nord, l’est et le sud. Aujourd’hui, constate le
document, 2 500 colons vivent dans des « enclaves » au cœur de quartiers
palestiniens de Jérusaem-Est. Trois Israéliens et 26 palestiniens tués à Jérusalem en
2016 L’une des
stratégies dont l’utilisation a manifestement beaucoup progressé en 2016,
selon le rapport européen est la « récupération » par des colons des
constructions ou des terrains qui avaient appartenu à des juifs avant la
création de l’Etat en 1948. Ce qui a permis d’augmenter significativement le
nombre d’enclaves coloniales israéliennes dans des quartiers palestiniens. «
On notera, indiquent les auteurs du rapport qu’il n’existe, en revanche,
aucune loi permettant aux Palestiniens de récupérer les biens qu’ils
possédaient avant 1948 ». Dans certains
quartiers, comme Silwan, aux pieds des remparts de la Vieille ville et de
l’Esplanade des Mosquées, où les organisations privées de colonisation comme
El’ad ou Ataret Cohanim sont particulièrement actives, ces « récupérations »
de propriétés ont donné lieu à un nombre croissant d’expulsions d’habitants
palestiniens. Selon le rapport, près de 500 Israéliens vivent aujourd’hui
sous haute protection militaire parmi les 10 000 Palestiniens du secteur de
Silwan où le nombre de colons a quadruplé en moins de deux ans. Parmi les
autres procédés utilisés par les planificateurs de la colonisation pour
contenir, voire empêcher le développement des quartiers palestiniens tout
en étendant la présence juive dans Jérusalem-Est, le rapport
examine longuement la multiplication des Parcs nationaux et des espaces
archéologiques qui servent, en outre à établir un « récit historique national
» destiné à exalter « la continuité de la présence juive dans le secteur au
détriment des autres religions et cultures. » L’avantage, pour les autorités
israéliennes est que dans de tels cas, l’autorité sur le terrain est
transférée de la municipalité de Jérusalem à l’Autorité des parcs et des
réserves naturelles, qui n’a aucune obligation à l’égard des habitants
palestiniens et peut donc obtenir leur expropriation et leur expulsion sans
indemnité. « La
planification urbaine de la municipalité de Jérusalem reste une source
d’inquiétude pour l’UE, écrivent les consuls. Elle est utilisée pour empêcher
le développement urbain palestinien en instaurant des restrictions et des
interdictions aux activités de construction en ignorant les besoins qui
découlent de l’accroissement naturel de la population, créant de fait de graves
manques d’infrastructures de base et une pénurie de logements pour les
résidents palestiniens ». Conséquence logique de ces choix : en cinq ans, 14%
seulement des permis de construire délivrés à Jérusalem ont été accordés à
des Palestiniens. Ce qui crée
une situation dans laquelle nombre de Palestiniens construisent sans obtenir
de permis de la municipalité, s’exposant ainsi au risque d’être expulsés.
Aujourd’hui, relève le rapport, le nombre de constructions palestiniennes
menacés de démolition par un ordre administratif, judiciaire ou militaire
s’élève à 24 000, ce qui expose 144 000 Palestiniens au risque d’expulsion. A cette
accumulation d’inégalités, d’injustices, d’abus et d’humiliations,
génératrice de frustration et de révolte s’ajoutent une série d’initiatives
et de déclarations, à propos de la gestion des lieux saints juifs et
musulmans qui visaient à modifier le statu quo vieux de deux siècles, et ont
contribué à accroître la tension sur le terrain. Sous les pressions des
religieux juifs extrémistes et des colons qui exercent une influence
croissante au sein de sa majorité parlementaire, Benjamin Netanyahou a fait
preuve d’une « tolérance accrue » à l’égard de ceux qui entendent modifier le
régime des accès aux lieux saints, au bénéfice des seuls fidèles juifs. « Compte tenu
de l’importance du Haram al-Sharif/Mont du Temple pour les juifs et les
musulmans, écrivent les auteurs du rapport, toute menace ou perception de
menace sur son intégrité ou sur le statu quo ne risque pas seulement de saper
toute reprise du processus de paix, mais a le potentiel de déstabiliser la
région et de provoquer des réactions sur la planète entière tout en
amplifiant la dimension religieuse du conflit ». Cette
politique israélienne, selon les auteurs du rapport, a fortement contribué à
accroitre la polarisation et la violence. Entre le début de l’année et les
premiers jours de décembre, notent les consuls, trois Israéliens et 26
palestiniens ont été tués à Jérusalem. En représailles, certains
Palestiniens, auteurs d’attaques individuelles ont apparemment été tués dans
des situations où ils ne représentaient plus une menace. Parallèlement les
autorités israéliennes ont remis en vigueur la pratique punitive de
démolition des maisons des Palestiniens accusés d’attentats. Approuvée par la
Cour suprême, cette technique de dissuasion, a provoqué la colère des
Palestiniens qui la jugent unilatérale : elle n’a pas été appliquée, en effet
aux trois Israéliens qui avaient tué un jeune Palestinien en juillet 2014. Signe inquiétant
de la stagnation de la situation sur le terrain, voire de sa dégradation au
détriment des Palestiniens, les auteurs du rapport, qui n’ont relevé aucun
progrès notable depuis l’année dernière, mais constaté, au contraire une
aggravation dans plusieurs domaines, reprennent purement et simplement, en
annexe, leurs recommandations de l’année précédente. Ils rappellent notamment
qu’il revient aux Etats membres de l’UE d’appliquer les mesures qui
permettent de distinguer clairement les produits fabriqués en Israël et ceux
en provenance des territoires occupés…On a déjà vu plus audacieux. Mais
peut-on en attendre davantage de l’Union européenne ? |