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Jérusalem: des diplomates européens accablent Trump et Netanyahou 8 février 2018 Par René Backmann Dans leur douzième rapport confidentiel, les chefs
de mission diplomatique de l’UE à Jérusalem et Ramallah dressent un
réquisitoire documenté contre la politique israélienne. Et lancent une double
mise en garde. Contre la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël.
Et contre le projet israélien d’annexer une partie de la Cisjordanie pour
créer le « Grand Jérusalem ». « Jérusalem a une signification
considérable à la fois pour les Israéliens et les Palestiniens et au-delà. La
question du futur statut de la ville est au cœur du processus de paix au
Moyen-Orient. Aussi longtemps que cette question ne sera pas résolue, il sera
impossible d’espérer une paix durable fondée sur la solution à deux
États. » En choisissant d’ouvrir leur rapport 2017 par cette
phrase en forme de rappel à la réalité historique et stratégique, les chefs
de mission diplomatique des pays de l’Union européenne à Jérusalem et à
Ramallah adressent un double message. À
Donald Trump, bien sûr, qui a décidé le 6 décembre 2017 de reconnaître
Jérusalem comme la capitale d’Israël en violation, rappellent-ils, du « consensus
international exprimé par diverses résolutions du Conseil de sécurité de
l’ONU, en particulier la résolution 478 ». À
Benjamin Netanyahou, aussi, dont la majorité a présenté à la Knesset, au
cours de l’année écoulée, « plusieurs projets de loi, qui, s’ils
étaient adoptés provoqueraient des changements unilatéraux au statut et aux
limites de Jérusalem, en violation du droit international ».
Allusion diplomatique, mais transparente aux projets d’annexion des colonies
limitrophes de la ville et de création d’un Grand Jérusalem, dont rêvent
depuis longtemps Netanyahou et ses électeurs (lire
l’article ici). Depuis
qu’un diplomate britannique en a eu l’idée en 2005, les consuls et consuls
généraux des 28 pays membres de l’UE à Jérusalem et dans les territoires
occupés palestiniens rédigent chaque année, pour le Comité politique et
de sécurité (COPS), un état des lieux qui fait le point sur la situation
à Jérusalem. D’année en année, ces documents confidentiels brossent un
tableau factuel, mais réaliste et souvent sévère pour Israël, des conditions
de vie des Palestiniens de Jérusalem. Surtout, ils dessinent les grandes
tendances de l’évolution des rapports de plus en plus difficiles entre les
Palestiniens et l’État d’Israël. Celui
de 2017, que Mediapart s’est procuré (et dont on peut lire le texte intégral
en anglais ci-dessous), est particulièrement riche et accablant. Long de 52
pages, dont 10 pages de statistiques précieuses sur les pertes recensées dans
les deux camps, mais aussi sur les autres formes de violence subies par les
Palestiniens en raison de l’occupation israélienne (démolition de maisons,
déplacements de population, agressions par les colons, détention d’enfants),
le rapport 2017 passe en revue tous les aspects de la vie des Palestiniens.
Et cela, avec une précision et une qualité d’information de nature à désarmer
les dénégations rituelles du gouvernement israélien et de ses partisans, à
domicile comme à l’extérieur. Une
apparente pudeur diplomatique conduit les auteurs du rapport à évoquer encore
le « processus de paix », dont la mort clinique a été
constatée récemment par le président palestinien Mahmoud Abbas en personne,
et la « solution à deux États », délibérément réduite en
cendres par le développement intensif et ciblé de la colonisation
israélienne. Mais s’il est discutable sur sa vision du futur, le rapport ne
l’est pas sur le présent. Solidement documentée, sa description minutieuse du
quotidien des Palestiniens révèle une situation désastreuse, aggravée par
l’absence de perspectives et d’espoir. « De
rapport en rapport, constatent les auteurs du
document, les chefs de mission diplomatique de l’UE ont identifié un
certain nombre de tendances qui ont eu un impact profondément négatif sur la
ville, notamment l’extension des colonies, qui s’est accélérée en 2017, et
l’exclusion politique, économique et sociale, des Palestiniens qui vivent
ici. Globalement, les tendances négatives décrites dans les précédents
rapports ont persisté et la polarisation, l’exclusion, la marginalisation des
Palestiniens sont demeurées aussi terribles que par le passé. En outre, on
constate un certain nombre de développements inquiétants qui affectent le
statut de Jérusalem, c’est-à-dire l’une des questions prévues pour la phase
finale des négociations (les autres étant les frontières, la sécurité et les
réfugiés). » Aux
yeux des diplomates, la décision de Trump – « changement fondamental
dans la politique des États-Unis » – comme les projets d’annexion de
Netanyahou sont aujourd’hui les problèmes dominants pour la recherche d’une
solution au conflit. « S’il était mis en œuvre, estiment-ils, le
charcutage des limites de la municipalité de Jérusalem réduirait de près de
120 000 le nombre des Palestiniens de Jérusalem et ajouterait
140 000 colons israéliens à la population de la ville, réduisant la
part des Palestiniens à 20 % (contre 37 % aujourd’hui). » Selon
les auteurs du rapport, la construction d’au moins 3 000 nouveaux
appartements à Jérusalem-Est a été décidée en 2017, ce qui va encore
accroître « la fragmentation de la Palestine en isolant Jérusalem-Est
du reste de la Cisjordanie ». « Aujourd’hui, notent-ils, près
de 867 000 personnes vivent dans les limites municipales de Jérusalem. On
estime à 215 000, sur près de 615 000 colons le nombre de ceux qui vivent à
Jérusalem-Est, aux côtés de 317 000 Palestiniens. Il y a actuellement 11
grandes colonies à Jérusalem-Est et un nombre croissant de petites enclaves
de colonisation ou de colonies privées dans les quartiers palestiniens de
Jérusalem-Est. » Confirmant
les craintes que les Palestiniens et les observateurs de la colonisation
peuvent nourrir sur l’annexion possible des « blocs » de colonies
de la périphérie, pour constituer le Grand Jérusalem, prévue par les projets
de loi des amis du premier ministre, les diplomates relèvent que dans le seul
premier trimestre 2017, plus de 1 300 nouveaux logements ont été
annoncés dans ces colonies périphériques : 552 à Guivat Zeev, 90 à Maale
Adumim, 402 à Nokdim, 709 à Betar Illit. En outre, au cours de la même année,
le gouvernement a approuvé des projets pour 1 105 à Maale Adumim, 397 à
Guivat Zeev, mais aussi 70 à Betar Illit, 30 à Allon Shvut, 68 à Elazar, 32 à
Efrat, 682, dans le « bloc » d’Etzion. « Tous,
soulignent les diplomates, sont inclus dans les 19 colonies qui
deviendraient des municipalités annexes de Jérusalem selon la loi sur le
Grand Jérusalem. » En
dix ans, le taux de pauvreté à Jérusalem-Est est passé de 64 à 75 % À
côté du développement de la colonisation, avec pour les Palestiniens son
cortège d’expulsions, de démolitions et de déplacements forcés, les
diplomates dénoncent aussi le statut – révocable – de « résident
permanent » – et non de citoyen – accordé aux Palestiniens de
Jérusalem-Est, même lorsque leurs ancêtres sont nés dans la Ville sainte. Car
ce statut est des plus précaires. Largement conditionné par les impératifs
démographiques israéliens, il n’est pas transmissible par le mariage et n’est
pas automatiquement transmis à un enfant si l’un de ses deux parents ne
détient pas la carte de résident. Il peut être révoqué si son titulaire ne
peut prouver que Jérusalem est son « centre de vie », lorsqu’il est
contrôlé. « Entre
1967 et 2016, constatent les diplomates européens, Israël a
révoqué le statut de 14 595 Palestiniens de Jérusalem-Est. Israël,
relèvent-ils, poursuit cette politique de “déportation silencieuse” comme
le montrent les chiffres de 2016 : le ministère de l’intérieur a révoqué
au cours de cette année, le statut de résident de 95 habitants de
Jérusalem-Est, parmi lesquels figuraient 41 femmes et 11 mineurs. » Cette
pratique, qui constitue une violation par Israël de ses obligations de
puissance occupante, telles qu’elles sont définies par le droit
international, et en particulier par la IVe convention de Genève,
n’est que l’un des “outils d’intervention” utilisés par la municipalité de
Jérusalem et le gouvernement israélien pour « préserver une majorité
juive substantielle à Jérusalem », ainsi que le prévoit le plan
directeur Jérusalem 2000, adopté en 2007. Parmi les autres outils dont
l’usage est analysé par les diplomates, le “zonage” de la ville, les
démolitions et les déplacements de population jouent aussi un rôle majeur. Alors
que les Palestiniens représentent 37 % de la population de la ville,
9 % seulement des permis de construire ont été attribués, entre 2010 et
2016, aux quartiers où ils vivent. Et 13 à 14,5 % des terres sont
affectées au développement de ces quartiers, tandis que 35 % de l’espace
est réservé à l’expansion des colonies, qui bénéficient en outre du privilège
de pouvoir s’étendre au détriment des terres originellement affectées aux
espaces verts. Alors
que les démolitions de domicile « par la puissance occupante »
sont proscrites, comme les révocations du statut de résident, par la IVe
convention de Genève, Israël a démoli au cours des dix dernières années
900 bâtiments appartenant à des Palestiniens de Jérusalem-Est. Pour la
seule année 2016, 190 immeubles ont été détruits, provoquant le
déplacement de 114 personnes. Et au cours des 11 premiers mois de 2017,
les 136 démolitions ont provoqué le déplacement de 228 personnes. « Plus
de 22 000 maisons palestiniennes sont aujourd’hui menacées de
démolition administrative, judiciaire ou militaire, sous le prétexte d’avoir
été construites sans permis, relève le rapport. Ce qui expose plus de
144 000 Palestiniens au risque d’être déplacés. » L’effet
désastreux de la politique israélienne sur l’éducation et la santé à
Jérusalem-Est, ainsi que sur l’économie des quartiers palestiniens, explique
aussi en grande partie, selon les diplomates, la polarisation et la
persistance d’un certain degré de violence dans la ville. Le manque de salles
de classe – évalué à près de 2 000 par le rapport –, les difficultés
d’accès aux établissements scolaires, dues notamment au mur de séparation,
pour les élèves et les enseignants, les difficiles conditions de
fonctionnement des six hôpitaux de Jérusalem-Est dont 70 à 80 % des
membres du personnel résident en Cisjordanie et doivent disposer d’un permis
(valable six mois) pour se rendre à leur travail, assombrissent encore un
tableau catastrophique. Quant
à l’analyse de la situation économique, elle révèle un effondrement de
l’activité et du rôle de Jérusalem-Est, asphyxié par l’existence du mur de
séparation et du régime de permis qui l’accompagne, mais aussi par les choix
délibérés du gouvernement israélien. Alors que les Palestiniens représentent
plus du tiers de la population de la ville et contribuent en proportion, par
leurs impôts, aux recettes de la municipalité, leurs quartiers ne bénéficient
que de 10 % du budget municipal. Lesquels souffrent de manques criants
en matière de services publics, d’équipement et de voirie. La seule existence
du mur de séparation provoque, en termes de commerce et d’emploi, une perte
annuelle de 200 millions de dollars pour l’économie palestinienne. Alors
que la part de Jérusalem-Est représentait, avant les accords d’Oslo,
15 % du PNB palestinien, elle n’atteint même plus 7 % aujourd’hui
et le taux de pauvreté à Jérusalem-Est est passé en dix ans de 64 % à
75 %. Dans
leur document, les diplomates relèvent aussi la création d’équipements
touristiques dont la raison d’être est « purement politique »
et ils relaient notamment un rapport de l’Académie des sciences israélienne
qui critique « l’usage politique de l’archéologie et la coopération
étroite entre l’organisation privée de colonisation El’ad et l’Autorité de la
nature et des parcs ». Ils
relèvent enfin, au chapitre « Religion », le caractère hautement
inflammable de la situation sur l’esplanade des Mosquées/mont du Temple où
une mobilisation massive, non-violente et spontanée des Palestiniens de
Jérusalem-Est a mis en échec, l’été dernier, une tentative israélienne de
changer les règles d’accès aux lieux saints. Et constatent que selon un
sondage, 68 % des Israéliens juifs sont désormais favorables à un
changement du statu quo qui, aujourd’hui, n’autorise pas les fidèles juifs à
prier sur l’esplanade des Mosquées. « En 2017, écrivent-ils, on
a vu un accroissement significatif en nombre et en taille des groupes de
juifs religieux qui entraient sur l’esplanade des Mosquées/mont du Temple,
avec l’aide et sous la protection de la police. Entre septembre 2016 et
septembre 2017, près de 22 000 juifs religieux nationalistes sont venus en
visite, ce qui représente une augmentation de 60 % et un record
historique. En mai, le premier ministre Netanyahou a organisé une réunion de
cabinet spéciale, dans les tunnels du Mur occidental [Mur des lamentations]
pour marquer le 50e anniversaire de “l’unification’’ (annexion) de
Jérusalem-Est. » Exceptionnel
par son volume et par son ton, très ferme, ce rapport 2017 qui critique
vigoureusement la politique israélienne à Jérusalem est accompagné de dix
« messages communs » destinés à définir la position politique de
l’UE à Jérusalem-Est et de douze recommandations, très détaillées, soumises
au Conseil européen des affaires étrangères. Les premiers « messages
communs » rappellent, en réponse évidente à Trump, que « la
position de l’UE sur Jérusalem demeure inchangée » et, en réponse
non moins claire à Netanyahou, que « les changements unilatéraux au
statut et aux frontières de Jérusalem constitueraient une violation de la loi
internationale ». Quant aux “recommandations”, dont les premières soulignent la position
constante de l’UE sur le conflit, elles appellent notamment à « rétablir
la présence des institutions palestiniennes à Jérusalem-Est », à « mettre
un terme aux démolitions », à « stopper le développement de
la colonisation » ou à « vérifier que les produits des
colonies ne bénéficient pas du traitement préférentiel prévu par l’accord
d’association Israël-Union européenne ». Le tout est de savoir si
les 28 États de l’UE seront, pour la première fois, capables d’adopter,
au-delà des déclarations de principe rituelles, une position commune ferme
sur le conflit israélo-palestinien et si ce travail salutaire de leurs
diplomates est voué – ou non – au même sort que les douze précédents :
finir oublié au fond d’un tiroir de Bruxelles. |