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Témoignage de Nabila, responsable du "Centre
de soins psychologiques pour enfants" de Beit Lahiya, au nord de la Bande de Gaza 12 juin 2018 Déjà, il faut dire que l'agression israélienne
ne s'est jamais arrêtée! On
parle actuellement de la Grande marche, des martyrs et des blessés, mais
l'agression implicite (c'est-à-dire psychologique) ou explicite avec les
armes est permanente et encore pire quand il y a des évènements pareils. Ce
n'est pas facile à Gaza d'avoir une nuit de repos sans entendre les drones
qui tournent au-dessus de nos têtes, ou la radio israélienne qui donne
des messages de menace, annonçant que la guerre va arriver, ou les raids
israéliens… Cela entretient un stress permanent. On
a beau prendre du recul, connaitre ça par cœur, mais cela nous revient
parfois en pleine face combien ces menaces et agressions permanentes nous
marquent. Ce
qui dérange les Gazaouis, c'est que l'on parle de leurs souffrances « quand
il y a des évènements » comme la Grande Marche. Mais
la souffrance pour nous est beaucoup moins forte pendant les évènements, car
il y a la solidarité et la flamme pour la Palestine. On est debout, on est
là! On
marche pour la Palestine, on meurt pour la Palestine. Et
après, on voit les brûlures, on comprend les dégâts. Tout reprend, le peuple
palestinien a un truc extraordinaire : il reprend vie! Mais la tristesse
sort facilement. Le
siège dure depuis 12 ans et imprime tous les esprits. C'est une souffrance
quotidienne quand tu respires et que tu sais qu'il y a des gaz lacrymogènes, que
tu cherches du travail et que toutes les entreprises sont fermées, que les
étudiants ne trouveront aucun emploi...c'est guillotiner les rêves des gens. On
est exposés à n'importe quel moment d'être détruit physiquement ou
psychologiquement. Les
drones sont tellement présents que parfois cela donne la sensation qu'ils
sont là contre notre propre personne. Les
habitants souffrent à l'intérieur de leurs maisons, car ils n'ont pu
reconstruire qu'un abri pour dormir alors qu'ils avaient une maison, un abri
même pas fini. La
dépression est partout. Le sentiment d'être oubliés alors que des conventions
internationales existent qui devraient les protéger. Que les grandes
organisations existantes pour protéger l'humain ignorent les Palestiniens. Tout
cela est à l'intérieur des gens et les déprime, c'est une combinaison entre
l'intérieur et l'extérieur qui détruit la psychologie palestinienne. Il
n'y a plus de classe moyenne à Gaza depuis la coupure des salaires. Il y a eu
une année à 70% du salaire et depuis 3 mois plus rien, ça tue! Il y a aussi
tous les cas de malades qui n'arrivent pas à se soigner à Gaza et qui ne
peuvent sortir. Et
la déception récurrente par rapport à la question de la réconciliation et
tous les jeux politiques qui viennent embrouiller l'élan. La
souffrance est triplée dans les zones frontalières, au nord comme au sud. Les
populations sont beaucoup plus exposées aux attaques et aux pertes de toutes
sortes, et aucune association n'y travaille. A
Gaza, et au centre de la bande de Gaza, il y a beaucoup d'associations qui
travaillent: théâtre, activités de toutes sortes. Mais aucune ne vient vers
les zones frontalières, où il n'y a pas non plus d'antennes de l'ONU ou de
l'UNICEF qui s'installent dans les endroits plus prestigieux. Au
nord, il n'y a que l’association Amani! Les
enfants dans la bande de Gaza connaissent toutes les informations sur ce qui
se passe, alors qu'ils ne savent pas encore écrire leur nom, ils sont
branchés sur ce qui se passe. Aujourd'hui tous les enfants ont dessiné des
bateaux, même les enfants qui ont une vie plus facile: une fillette a fait un
bateau palestinien et un bateau israélien qui lui tire dessus et des gens
dans la mer qui crient STOP! et elle a ajouté: "Ils nous attaquent même
sur la mer!" Les enfants qui viennent au Centre Amani, au bout d'un
moment ne parlent plus tout le temps des informations, mais avec la reprise
de la marche, ça a recommencé. C'est pour tout cela que les gens vont aux frontières. Ce ne
sont pas des frontières d'ailleurs, mais des zones tampons où on a le droit
d'aller mais où l'on se fait tirer. C'est comme un rassemblement pour se
défouler. Les populations veulent
que le monde entier entende. Il y a tellement de souffrance qu'ils veulent la
chanter ensemble. Les gens ne vont pas là pour mourir, mais pour vivre, parce
que cela fait vivre quelque chose à l'intérieur. Un
homme handicapé qui avait perdu deux fois une jambe et qui était là: "Même
comme cela, je vais là-bas pour dire que j'existe! Et
malgré tout cela, il y a une sorte de bonheur, un transfert d'amour, de
chaleur d'être là! |