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du 2 avril 2020 Coronavirus :
dans les hôpitaux israéliens, les Arabes aux avant-postes Par Louis
Imbert Le système de santé de l’Etat hébreu est un îlot d’intégration
réussie pour la minorité, qui prend une part essentielle à la lutte contre
l’épidémie. En Israël, les
héros en blouse blanche sont, pour une large part, des Arabes. En ces temps
d’épidémie, ils représentent une proportion essentielle des personnels
soignants dans les hôpitaux. Selon des chiffres du ministère de l’intérieur
obtenus par le quotidien Haaretz, 17 % des médecins et un
quart des infirmiers sont issus de la minorité arabe, ainsi que près d’un
pharmacien sur deux – et c’est compter sans les personnels d’entretien,
fonctions à bas salaires dont ils occupent l’écrasante majorité. Sans eux, le système de santé national
s’écroulerait. L’ironie,
c’est que les parlementaires issus de cette minorité, descendants d’Arabes
restés sur leurs terres après la création de l’Etat israélien, en 1948,
font l’objet, au même moment, d’attaques d’une extrême violence à la Knesset. Après les
législatives du 2 mars, ils ont apporté leur soutien à l’opposition au
premier ministre, Benyamin Nétanyahou. Depuis, la droite instruit leur procès
en déloyauté, les qualifiant de « soutiens du terrorisme ». « Nous
combattons deux virus : celui du corona et celui du racisme. Le corona,
nous le vaincrons. Pour le racisme, cela prendra plus de temps… », résume
Ahmad Tibi, député de la Liste unie des partis arabes, qui ne rate jamais une
occasion de rappeler qu’il est l’unique médecin (gynécologue) à siéger au
Parlement. Dans sa salle
de garde de l’hôpital Hadassah, fondé à l’époque du mandat britannique sur le
mont Scopus de Jérusalem, Naela Hayek, 49 ans, suit ces débats sur les
sites d’information, sur son téléphone portable. Ce qu’elle lit
l’effare. « Ça me heurte, mais ils peuvent dire ce qu’ils
veulent, ça n’a pas d’influence à l’hôpital. J’y suis chez moi et nous
luttons tous ensemble », dit-elle. Mme Hayek
dirige les infirmiers du service de soins intensifs. Depuis des semaines,
elle prépare 250 confrères juifs et arabes à faire face à la pandémie.
Le Covid-19 est ici en retard sur l’Europe. Les autorités israéliennes
dénombrent plus de 6 200 cas de contagion et 31 morts, les hôpitaux
ne sont pas encore surchargés. Mais Mme Hayek et ses
collègues s’attendent à être bientôt en première ligne. La
politique n’entre pas à l’hôpital Naela Hayek
appartient à cette classe moyenne arabe qui désire ardemment vivre une vie
« normale ». Elle est mariée à un policier, leurs enfants ont fait
leur primaire dans une école mixte de Jérusalem. L’an passé, le couple a
déménagé dans un quartier juif. Comme nombre de ses collègues, Mme Hayek
tient l’hôpital pour une bulle, où la politique n’entre pas. Elle-même n’en
parle guère. Le racisme s’exprime parfois dans les couloirs, dit-elle, mais
c’est par la voix de patients qu’elle refuse de juger. « Ils
sont dans un état critique, leur famille est sous pression », excuse-t-elle. « A
l’hôpital, les carrières progressent au mérite, sans distinction. J’en suis
la preuve », dit le docteur Nimer Assi, patron du département de médecine
interne de l’hôpital de Nahariya, en Galilée. Dans cette région à majorité
arabe, il organise « la veillée d’armes » avant
que n’affluent les malades. Chrétien, la cinquantaine, habitant un village
voisin de 3 000 âmes, M. Assi a étudié à l’étranger, comme
nombre de confrères arabes de sa génération. Après l’Université catholique de
Louvain, en Belgique, il a fait ses spécialisations en Israël. Professeur à
l’université Bar-Ilan, près de Tel-Aviv, il se dit volontiers plus israélien
que palestinien. « J’appartiens à ce pays, j’y paie mes impôts,
je suis affilié à la Sécurité sociale, énumère-t-il. J’espère
juste que la majorité juive finira par trouver cela normal, elle
aussi. » Il n’a pas
échappé à M. Assi que la « majorité juive » a voté
à droite, le 2 mars. Selon les sondages, elle demeure massivement
opposée à la formation d’un gouvernement soutenu par la Liste unie des partis
arabes. M. Assi a voté pour cette liste, qui avait fait un grand pas en
s’associant au leader de l’opposition, le général Benny Gantz. Peine
perdue : le 26 mars, M. Gantz a renoncé à
« décontaminer » ces alliés embarrassants. Il a préféré négocier sa
place dans un gouvernement d’union dirigé par M. Nétanyahou. A bien des
égards, l’hôpital demeure une exception. Un peu partout ailleurs en Israël,
la minorité arabe est sous-représentée. En 2017, elle comptait pour
6,8 % des fonctionnaires, selon une étude du Centre d’action religieuse
d’Israël (Irac). « Nous avons peu d’autres options : il y a
des tas de jobs dans les hautes technologies ou dans l’ingénierie qui nous
sont inaccessibles, à cause des liens des entreprises avec l’armée »,
note Osama Tanous, 34 ans, pédiatre à Haïfa, la grande ville mixte du
Nord, et engagé à gauche. « Médecin, c’est un métier stable,
bien payé, qui attire les minorités dans un marché du travail globalement
raciste. C’était aussi le cas autrefois pour les juifs d’Europe. » Creuset
d’identités Cette
ouverture du système de santé a un prix : le silence. Dans la plupart
des hôpitaux du pays, l’intégration des minorités, la question palestinienne
et la politique en général sont des sujets tabous. Ainsi à l’hôpital
Shaare-Zedek de Jérusalem, « aucune directive n’interdit
explicitement d’en parler, mais ce n’est pas encouragé. Je dis toujours que
la politique s’arrête à la porte de l’hôpital », dit le
président de l’institution, Jonathan Halevy. A ce titre, le service de
médecine interne de l’hôpital Sourasky, à Tel-Aviv, fait figure d’exception.
Son patron, Giris Jacob, la cinquantaine, y encourage l’expression libre et
ne craint pas une saine engueulade. Chrétien,
M. Giris est ancré à gauche, il vote pour le parti Meretz
(« Energie », gauche, laïque). « Tous les jours, on me
demande si je suis palestinien, arabe palestinien, arabe israélien… Mais moi,
je ne sens pas la politique sur ma peau », soupire-t-il. Marié
à une Italienne, il se préoccupe de sa fille établie à Rome, dans cette
Italie où le virus se déchaîne. Né dans un
quartier pauvre de Haïfa, M. Giris a embrassé l’élitisme du haut corps
médical. Il préfère ce creuset d’identités à toutes les assignations
communautaires. Quitte à se revendiquer d’une vieille élite de gauche et
laïque, historiquement juive ashkénaze, que la droite ne cesse de
pourfendre. « Il y a en Israël de nombreux intellectuels dans
les universités, dans les cours de justice et les hôpitaux, qui tiennent le
pays debout, qui donnent encore le ton. Il y a aussi parmi eux des Arabes et
même des gens de droite », dit-il, pas sectaire. |