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DOSSIERS
PRESSE
Les
accords de Genève
L'Initiative
de Genève : une chance pour la paix ?
Michel
Staszewski*
Cet article a été publié dans Points
Critiques. Le Mensuel, l'organe de l'Union des Progressistes Juifs
de Belgique, n° 242, janvier 2004. www.upjb.be
À en
croire les grands médias, la paix et la réconciliation tant attendues
seraient enfin à portée de main. Abandonnant la politique «des petits
pas», des personnalités courageuses, tant palestiniennes qu'israéliennes,
se seraient attaquées à toutes les questions difficiles et auraient
trouvé, pour chacune d'entre elles, et dans les moindres détails, la
meilleure solution possible. Il suffirait que les opinions publiques israélienne
et palestinienne portent au pouvoir des représentants politiques
partisans de l'initiative de Genève pour que ce conflit, vieux de plus
d'un siècle, soit résolu.
Une lecture attentive du contenu de ce projet d'accord me conduit à un
jugement très différent.
Le texte publié est, tout d'abord, très incomplet. Il est dépourvu de
ses très nombreuses annexes censées fournir les détails de chacun de
ses articles. C'est ainsi que manquent des éléments aussi importants que
la délimitation exacte des territoires respectifs ou la composition des
groupes de civils et de militaires chargés de veiller à l'application
des accords. Et le problème essentiel de la répartition des ressources
en eau n'est pas du tout abordé.
D'autre part, le caractère extrêmement déséquilibré de ce document le
rend difficilement acceptable pour la grande majorité des Palestiniens,
qu'ils résident en Palestine, en Israël ou ailleurs. Examinons-en
quelques points.
Le territoire de la Palestine mandataire serait divisé sur base de la
frontière du 4 juin 1967, c'est-à-dire que 78% des terres seraient
attribuées à l'État d'Israël et 22% à l'État de Palestine. Rappelons
que le principe de cette répartition très inégale est officiellement
accepté par l'OLP depuis les Accords d'Oslo de 1993. Les négociateurs
israéliens ont cependant obtenu l'échange de territoires cisjordaniens
fortement peuplés de colons juifs contre un territoire israélien
jouxtant le sud-ouest de la Cisjordanie et une bande de terre longeant la
bande de Gaza. Pour qui connaît un peu la géographie locale, il est
clair que cet échange est très inéquitable du point de vue de la
pluviométrie. Cette inégalité pourrait néanmoins être compensée par
un partage équitable des ressources globales en eau... qui n'est pas du
tout garanti par le texte actuel puisque l'article consacré à la répartition
des ressources en eau reste à rédiger. Un corridor, ouvert en
permanence, sous administration palestinienne mais sous souveraineté israélienne,
relierait la Cisjordanie à la bande de Gaza. Des «barrières de défense»
seraient construites le long de ce corridor, en territoire israélien.
Pour ce qui concerne Jérusalem, le projet prévoit que la ville serait à
nouveau divisée. Le seul endroit où l'on pourrait, en principe, circuler
librement d'une zone à l'autre serait l'intérieur de la vieille ville
(un territoire minuscule en comparaison de l'agglomération entière),
mais à chacune de ses portes serait établi un poste de douane donnant
accès soit à l'État de Palestine soit à celui d'Israël. La répartition
inégale du territoire de la vieille ville - trois quarts pour la
Palestine, un quart pour Israël - ne doit pas faire illusion: dans la
mesure où l'ensemble de la vieille ville se trouve à l'est de la «Ligne
verte»1, c'est bien l'État israélien qui serait gagnant dans l'affaire.
De plus, le grand cimetière juif du Mont des Oliviers, situé à l'est de
la vieille ville, demeurerait sous administration israélienne. Pour le
reste, Jérusalem-Ouest resterait entièrement sous contrôle israélien
alors que les nombreuses colonies juives construites depuis 1967 autour de
Jérusalem-Est seraient annexées à l'État d'Israël.
Environ quatre des six millions de Palestiniens sont des exilés ou des
descendants des exilés de 1948. Le droit au retour des exilés est un
droit humain essentiel reconnu internationalement. Que les Palestiniens
acceptent d'en faire un objet de négociation, prenant ainsi en considération
les angoisses démographiques des Israéliens, devrait être considéré
par ces derniers comme une offre extrêmement généreuse. Or le projet
d'accord implique que les Palestiniens renoncent à leur droit au retour
sans même que soit reconnu le bien fondé de ce droit ni la moindre
responsabilité israélienne dans cette affaire. Le nombre d'exilés
autorisés à se réinstaller en Israël serait «laissé à la discrétion
souveraine d'Israël». L'État d'Israël accepterait néanmoins de
contribuer à un fonds d'indemnisation pour les propriétés
palestiniennes «perdues».
Un article du projet d'accord où apparaît de manière particulièrement
flagrante son caractère déséquilibré (doux euphémisme) est celui qui
concerne la «sécurité». Il semble, à lire les détails de cet
article, que la création d'un État palestinien indépendant à ses côtés,
représente pour l'État d'Israël un danger vraiment terrible. Jugez-en
plutôt. Alors qu'il est prévu qu'Israël conserve la souveraineté
absolue sur son territoire et l'intégralité de son équipement militaire
(rappelons que «Tsahal» est une des armées les mieux équipées du
monde et qu'il est de notoriété publique qu'Israël possède des armes
nucléaires), l'État palestinien, uniquement doté d'une «puissante
force de sécurité» chargée de missions de police, serait démilitarisé
et devrait s'en remettre pour sa sécurité extérieure à une «Force
multinationale». Cette Force, stationnée seulement en territoire
palestinien (y compris sur l'Esplanade des Mosquées/Mont du Temple),
ferait partie intégrante du «Groupe d'Application et de Vérification»,
composé de représentants des États-Unis, de la Russie, de l'Union européenne
et des Nations unies. Sa composition, sa structure et ses effectifs
devraient faire l'objet d'une annexe non publiée à ce jour. Des éléments
de l'armée israélienne resteraient présents dans la vallée du Jourdain
durant 36 mois et dans deux «stations d'alerte lointaine» situées dans
le nord et l'est de la Cisjordanie durant 10 ans. L'aviation militaire
israélienne garderait le droit d'utiliser l'espace aérien de l'État
palestinien. La Force multinationale serait présente aux frontières de
l'État de Palestine avec la Jordanie et l'Égypte ainsi que dans les
ports et les aéroports palestiniens... dans lesquels les Israéliens
pourraient maintenir pendant plusieurs années «une présence discrète».
En Cisjordanie, des «routes désignées», reliant Jérusalem à Tibériade,
la Mer morte, Bethléem et Hébron, seraient contrôlées conjointement
par la police palestinienne et la Force multinationale pour garantir la sécurité
des Israéliens qui les fréquenteraient. La «lutte contre le terrorisme»
serait supervisée par un «Comité de sécurité triangulaire» composé
d'Israéliens, de Palestiniens et... d'Américains.
La situation actuelle des habitants des Territoires occupés est si épouvantable
que la concrétisation d'un tel projet d'accord représenterait pour eux
un progrès considérable. Les exilés y gagneraient, pour leur part, le
droit de s'installer définitivement dans un pays d'accueil ou dans l'État
de Palestine indépendant et seraient indemnisés pour la perte de leurs
propriétés situées sur le territoire de l'État d'Israël. Par contre,
les Palestiniens citoyens de ce même État et les quelques exilés
autorisés à les rejoindre se verraient confirmés dans leur position de
minorité tolérée dans «l'État du peuple juif» (préambule du projet
d'accord). Car, comme l'affirmait récemment Amram Mitzna, l'ancien président
du parti travailliste israélien, en signant un tel accord, les
Palestiniens reconnaîtraient «pour la première fois dans l'histoire»
«l'État d'Israël comme l'État du peuple juif, et ce à jamais.»2 Il
est en effet expressément prévu que la mise en oeuvre de cet accord «mettra
fin à toutes les réclamations des Parties découlant d'événements antérieurs
à sa signature» (art. 1). Et Mitzna d'ajouter: «Ils ont renoncé au
droit au retour en Israël, assurant ainsi que notre État conserverait
une majorité juive stable et solide»3. Pour ce qu'il est convenu
d'appeler la «gauche sioniste», ce projet d'accord représente en effet
une solution de rêve. Non seulement il «bétonne» le caractère
majoritairement juif de l'État d'Israëln, mais il permet d'annexer les
territoires colonisés les plus peuplés de Cisjordanie, permettant ainsi
de réduire considérablement le nombre de colons mécontents d'un tel
accord. De quoi espérer une victoire électorale aux prochaines élections?
L'«Accord de Genève» n'est conforme ni au principe d'équité ni au
droit international. Il est basé sur un rapport de force qui permet de
faire accepter aux négociateurs palestiniens les «lignes rouges» de la
«gauche sioniste». Vu la situation catastrophique de leur peuple et le
rapport de force à ce point en leur défaveur, il est pourtant possible
qu'un accord de ce type (qui prévoit aussi la libération graduelle de
tous les prisonniers politiques) soit un jour accepté par des négociateurs
palestiniens officiels. Mais comme il n'a pas grand-chose à voir avec la
justice, il ne conduira sûrement pas à une véritable réconciliation.
Il ne mettra pas définitivement fin au conflit.
Ceci étant dit, on est aujourd'hui très loin de la conclusion d'un tel
accord. Je crains fortement que l'encensement médiatique de l'«Initiative
de Genève» ne contribue, comme l'avait fait la signature des Accords
d'Oslo (de véritables accords, ceux-là) à occulter la situation sur le
terrain et à démobiliser les opinions publiques face aux crimes qui se
commettent quotidiennement sur ordre du gouvernement israélien. Je
demande à ceux qui dépensent tant d'énergie pour défendre et pour
faire connaître en Europe l'Initiative de Genève, d'en consacrer un peu
pour pousser nos représentants politiques à exercer de réelles
pressions sur le gouvernement israélien, pour qu'il ordonne le démantèlement
de la «clôture de sécurité» qui enferme les populations
palestiniennes dans des ghettos invivables, pour le retrait de l'armée
des villes et villages palestiniens, pour la libération des prisonniers
politiques détenus illégalement, pour que le rapport du Rapporteur Spécial
de l'ONU sur la terrible crise alimentaire qui frappe les Territoires
occupés soit enfin rendu public4, pour soutenir les militaires «refuzniks»
et les autres activistes israéliens qui se battent contre les «attentats
ciblés», les destructions de maisons et de cultures, les confiscations
de terres, les humiliations quotidiennes aux check points, etc. C'est là
que réside la plus grande urgence.
Michel Staszewski
Notes
[1] La Ligne verte est la frontière du 4 juin 1967.
[2] MITZNA, A., Voilà pourquoi M. Ariel Sharon a peur, in Le
Monde Diplomatique,
déc. 2003, p. 19.
[3] Ibidem.
[4] La publication officielle de ce rapport, pourtant disponible depuis le
mois de septembre dernier, n'a pas encore eu lieu, du fait de pressions
efficaces exercées par le gouvernement israélien et ses soutiens extérieurs.
Son texte intégral est néanmoins disponible sur Internet, par exemple
sur la page http://www.reseauvoltaire.net/rapport-ziegler.html.
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