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DOSSIERS
PRESSE
Les
accords de Genève
Point
de vue de Shiko BEHAR et Michel WARSCHAWSKI
le 03 décembre 2003
Le
Directeur de l'Alternative Information Center (AIC), organisation
israelo-palestinienne basée à Jérusalem et Beit Sahour, ainsi que son
vice-président publient le 27 novembre leur position sur « l'accord de
Genève ». Après en avoir tracé les grandes lignes et positivé le fait
que cela « faisait du bruit » en Israël, et montrait qu'il y a bien un
interlocuteur pour la paix du côté palestinien, ils expliquent pourquoi
une telle initiative est, selon eux, vouée à l'échec.
Leçons
d'Oslo
L'analyse de l'impact de ces accords doit tenir compte de l'expérience
des accords d'Oslo de 1993, qui semblaient aussi, promettre la paix, et de
la désintégration de cette initiative dans la seconde moitié des années
90.
Beaucoup de ceux qui ont pensé que les accords d'Oslo produiraient une
paix aussi juste que possible ont limité leurs analyses au texte seul, en
soulignant que cet accord rencontrait les aspirations minimales du peuple
palestinien. Bien que les accords d'Oslo n'aient jamais pu rencontrer ces
aspirations, ils pourraient encore se révéler avoir été un modeste
point de départ pour une paix israélo-palestinienne qui satisferait les
principales aspirations des israéliens et des palestiniens (à Gaza et en
Cisjordanie seulement) à condition que les palestiniens et les israéliens
aient compris ce texte de la même manière et pourvu qu'ils aient conduit
les négociations en toute bonne foi.
Hélas, ce fut bien loin d'être le cas.
Tandis que les négociateurs palestiniens paraissaient vraiment décidés
à atteindre ce qu'ils désignaient comme « un compromis historique »
basé sur la résolution 242 du conseil de sécurité des Nations Unies,
ce qui signifiait de renoncer à rien moins que 78% de leur demande
nationale initiale de toute la Palestine mandataire - les politiciens israéliens
utilisèrent le document d'Oslo pour conforter leur emprise coloniale sur
les vies et la terre palestiniennes. A travers le « processus de paix »
les colonies déjà existantes s'étendaient, d'autres colonies se
construisirent, et le nombre de colons augmentait de plus de la moitié.
Ces faits conduisent à une conclusion toute simple : le premier ministre
Yitzhak Rabin et Shimon Peres voulaient depuis le début exploiter la
balance assymétique des forces entre l'Etat occupant d'Israël et la société
palestinienne occupée, pour imposer à l'autorité palestinienne une
conception de la paix qui consisterait en une domination perpétuelle .
Nombre d'observateurs du processus de Genève ont fermé les yeux sur le
fait que les années 90 en Israël ont essentiellement été une période
gouvernée par le parti Travailliste et le Meretz, parti ami. Et non une période
gouvernée par le Likoud et la droite ultra-nationaliste.
Entre l'élection de Rabin en juin 1992 et la domination de Sharon sur
l'ex premier ministre Ehud Barak en février 2001 il s'est écoulé
presque six ans au cours desquels c'est le parti Travailliste et le Meretz
qui étaient au pouvoir. Contrairement à des idées reçues alors, c'est
la gauche sioniste - et non la droite - qui est principalement responsable
de la faillite du « processus de paix » dans les années 90. Depuis que
les accords de Genève ont émergé, venant de l'école israélienne même
qui a produit le processus d'Oslo, Beilin et ses acolytes auraient pu
augmenter la vigueur politique de leur nouveau processus de Genève.
Encore eût-il fallu qu'ils reconnaissent publiquement leur faillite des
années 90. Ils ne l'ont pas fait, négligeant une fois de plus de donner
au public israélien une explication de l'intifada différente de celle
qui prévaut et veut que les palestiniens « ont choisi « la violence ».
En 1993 , au lieu de convaincre les israéliens qu'une ère nouvelle basée
sur la coexistence pacifique et l'égalité allait commencer, les leaders
de la coalition Labor-Meretz ont assis leur stratégie marketing
uniquement sur la sécurité, la séparation d'avec les palestiniens et la
continuité de la suprématie coloniale d'Israël. Le leadership
Labor-Meretz n'a pas voulu assumer la responsabilité de tous les israéliens
ni celle de l'Etat pré- sioniste dans cent ans de conflit. A la place, ce
leadership a consciencieusement lié le conflit, politiquement aussi bien
que théoriquement au « terrorisme » palestinien et à son rejet
historique permanent.
A écouter attentivement d'importantes personnalités israéliennes liées
aux processus de Genève - surtout quand elles parlent hébreu - il est
facilement perceptible qu'elles n'ont pas oublié, ni rien appris de leur
propre faillite d'Oslo. En fait, la même conduite et les mêmes stratégies
de marketing vis à vis de l'opinion publique israélienne cousent
l'initiative du tissu des accords de Genève.
«
Réalisme » et « Générosité »
Le texte des accords de Genève a peu de sens sorti du contexte politique
et journalistique à l'intérieur desquels on est en train de le vendre au
public israélien. Essentiellement, la véritable substance du processus
est contenue dans l'exégèse verbale et écrite qui environne le texte de
l'accord. Ce contexte explicatif sous-entend déjà le fiasco auquel
semble promis ce texte dans un futur prochain.
Un article publié dans le Guardian par l'un des plus âgés des
participants israéliens au processus de Genève, le romancier et
commentateur internationalement consacré, Amos Oz, illustre bien ce
propos. L'article d'Oz titré « Nous avons fait le GRUNTWORK de la paix
» reposait sur un article en hébreu qu'il avait publié en Israël. Oz
expliquait que les conversations de Genève différaient des contacts israélo-palestiniens
précédents. Par exemple il n'y a plus de discussion à propos « du
droit au retour des réfugiés », mais en lieu et place, « une solution
pour le problème des réfugiés ».
Il n'y a plus de discussion sur « le retour aux frontières de 1967 »
mais « une carte logique qui prend en compte le présent et pas
simplement l'histoire ». Les innocents lecteurs peuvent en conclure que
cette logique est intellectuellement le propre des seuls Sionistes de
gauche et que les israéliens, contrairement aux palestiniens, n'ont
jamais établi aucune de leurs revendications nationales sur l'histoire.
L'argument central du message d'Oz est le suivant : dans les accords de
Genève, les palestiniens ont finalement choisi de se montrer « réalistes
» et de renoncer non seulement à leur droit au retour, mais aussi à
leurs revendications concernant un retour pur et simple aux frontières de
1967.
Gourou important du mouvement israélien « La Paix maintenant », Oz en
remet une louche en répètant que l'obstination des palestiniens a
conduit aux échecs d'Oslo et du sommet de Camp David en 2000. Oz suggère
que le camp israélien de la paix a finalement réussi à convaincre les
palestiniens irrationnels qu'ils devaient accepter les lignes rouges de la
gauche israélienne. Ces lignes rouges, selon l'un des proches d'Oz, représentent
un énorme sacrifice de sa part puisqu'il est « prêt à abandonner rien
moins qu'une partie de ma foi religieuse dans la mesure où je suis prêt
à accepter, le c¦ur brisé, la souveraineté palestinienne sur le mont
du Temple ».
Plus
loin, Oz a recours à un symbolisme de propagande identique, quand il déclare
que « nous rendons la souveraineté d'un certains nombre de lieux de la
Terre d'Israël où gisent nos c¦urs ».
N'ayant pas capacité à l'auto-critique, Oz conforte son propre pharisaïsme
et confisque aux palestiniens la position de victimes en se représentant
lui et Israël comme les vraies victimes. Il ne fait aucun effort pour
comprendre les gigantesques sacrifices faits en contrepartie par les
palestiniens. Sa prose renvoie aux idées qui sous-tendent l'offre « généreuse
» de Barak faite au chef de l'autorité palestinienne, Yassers Arafat, à
Camp David en juillet 2000.
Pour convaincre l'opinion publique israélienne, les israéliens du
processus de Genève ont besoin de montrer - du moins le croient-ils - que
les israéliens ont « gagné » et que les palestiniens ont « renoncé
». Le plus gros défaut de l'accord de Genève c'est qu'Oz et ses compères
ignorent complètement la notion essentielle des droits inaliénables
humains et politiques du peuple palestinien comme ce fut le cas du
processus d'Oslo. A la suite de Barak, Oz remplace la notion de droits par
la notion de charité.- « Si nous leur avions offert en 1967 ce que nous
leur offrons aujourd'hui ». Quand il n'y a pas de place pour les droits
et que le rapport des forces favorise si ouvertement l'occupant illégal,
l'israélien moyen lit ceci : Les palestiniens ont abandonné leur
objectif de destruction (puisque pour Oz et le groupe de Genève «retour
est le mot de code pour la destruction d'Israël ») si bien que nous, le
camp de la paix israélien, avons décidé d'être extrêmement généreux.
Systématiquement
contreproductif
En dehors de toute appréciation morale, l'argumentation « marketing »
contextuelle des participants israéliens à Genève est politiquement
contre-productive en ce qui concerne le but à atteindre qui est
d'engendrer un changement dans l'opinion publique israélienne. Si les
droits politiques et les droits de l'homme n'existent pas et si le conflit
résulte d'une détermination irrationnelle des palestiniens à éradiquer
les juifs, en quoi les israéliens vont-ils croire que les palestiniens
peuvent changer ? Bien plus, si les palestiniens changent uniquement parce
que le camp de la paix israélien a été assez coriace pour s'entendre
avec eux, alors pourquoi ne pas se montrer encore plus coriaces et les
forcer à accepter la domination israélienne sans concession d'aucune
sorte ?
Même les alchimistes politiques du calibre de ceux du groupe de Genève
ne peuvent construire une confiance basée sur des mensonges : pour faire
équipe avec l'opinion publique israélienne certains des participants de
Genève arguent que, cette fois, les palestiniens ont abandonné leur
droit au retour. Une simple lecture de l'article 7 de l'accord révèle
que les participants palestiniens au processus de Genève sont certes prêts
à faire de très remarquables concessions sur les droits des réfugiés
palestiniens, mais ils ne sont pas allés aussi loin que l'abandon du «
droit au retour » tel qu'établi par la résolution 194 des Nations Unies
en 1948, d'autant qu'une telle démarche ruinerait complètement et
instantanément leur légitimité aux yeux du public palestinien.
Ceux qui s'intéressent à une paix durable - une paix qui serait aussi
juste que possible - entre Israéliens et Palestiniens doivent d'abord se
poser la question suivante : pourquoi le groupe de Genève essaie-t-il
d'acheter l'opinion publique israélienne en promotionnant l'exact opposé
de ce que leurs homologues palestiniens disent à leurs propres opinions
publiques précisément si ce n'est pour tirer partie de son soutien à
l'initiative commune ? Le résultat final du processus de Genève est
garanti : faire éclater la différence entre les lectures israélienne et
palestinienne et préparer une fois encore la scène des accusations israéliennes,
très probablement relayées par les doyens du groupe de Genève eux-mêmes,
accusations selon lesquelles les palestiniens ne sont que des menteurs.
Certains des participants israéliens les plus cyniques du processus de
Genève savent parfaitement bien qu'il y a une contradiction explosive
entre la lecture palestinienne de l'agrément et la manière dont ils la
vendent au public israélien. Ces israéliens semblent croire qu'une représentation
viciée de la position palestinienne peut les aider à inciter les israéliens
à ramener le parti travailliste au pouvoir, d'où ils trouveront des
moyens de renforcer cet « accord ».
Mais
le parti Travailliste ne parviendra pas à regagner le pouvoir parce sa
politique n'est qu'une pale réplique des certitudes des partis de droite.
La démission du dernier candidat au poste de premier ministre Amram
Mitzna, en tant que chef du parti, couplé avec la démission des déçus
du parti travailliste que sont Beilin et Yael Dayan pour former un nouveau
parti social démocrate, témoignent de l'impossibilité de réformer sérieusement
le parti. Dans le domaine socio-économique le parti travailliste tient
des positions néo-libérales identiques à celles du Likoud de Benjamin
Netanyahu. En ce qui concerne le conflit israélo-arabe, les
parlementaires du parti Travailliste, comme les généraux Benjamin Ben
Eliezer, Efraim Sneh et Dany Yatom sont probablement pires que certains
des députés du Likoud. La question pour l'électeur israélien moyen
reste inchangée : à quoi bon voter pour une copie (le parti
travailliste) quand on peut voter pour l'original (le Likoud) ?
Ce
qui devrait être fait
S'ils s'intéressent vraiment à une paix viable et durable pour leur
peuple, les politiciens israéliens auront finalement besoin de présenter
un accord de paix capable de gagner le soutien de ceux qui ne forment pas
l'élite palestinienne. A cet effet, l'opinion publique israélienne devra
développer une compréhension autrement plus réaliste de la dynamique
socio-politique qui sous-tend le conflit israélo-arabe. Plutôt que de se
focaliser sur telle ou telle clause du texte de l'accord de Genève, les
israéliens qui désirent obtenir une paix juste et durable doivent immédiatement
se concentrer sur ses franches explications verbales et écrites, nécessaires
pour permettre à ces interprétations d'être constructives.
En premier lieu, les israéliens critiques doivent dire au public israélien
que le conflit n'est pas le résultat du terrorisme palestinien ou du
fanatisme, mais bien le résultat de la dépossession et de l'occupation
israéliennes ; la responsabilité d'Israël dans le conflit doit être établie
par les israéliens. Les droits essentiels, humains et politiques des
palestiniens que dénie la politique d'occupation et de colonisation israélienne
doivent être inscrits dans tout accord destiné à aboutir à une paix
juste. Il doit être clair pour le public israélien que la seule « offre
généreuse » à l'intérieur de l'arène israélo-palestinienne est
celle de l'acceptation de ces palestiniens qui ont renoncé à 78 pour
cent de leur revendications sur leur foyer historique.
Le droit au retour est un droit humain essentiel. Que certains Palestiniens
soient prêts à en faire un objet de négociation, prenant en considération
les angoisses démographiques d'Israël, doit être compris comme une
offre généreuse de plus de la part des Palestiniens.
Les Israéliens
critiques doivent demander à leurs concitoyens - y compris le groupe de
Genève - comment ils s'y prendront pour demander aux Palestiniens
de renoncer au droit du retour avant qu'Israël ait reconnu sa simple
existence ?
Ce qu'on attend à l'avenir des Israéliens
critiques - et in fine des hommes politiques israéliens - c'est de
soutenir avec force la notion positive de paix basée sur la coexistence
et l'égalité entre les hommes. La notion de paix qui doit être catégoriquement
rejetée non seulement parce que c'est une faillite morale, mais parce que
ça n'a aucune chance de marcher, c'est la notion d'Oz et de ses compères
de Genève qui comprennent le mot « paix » comme un moyen pour rejeter
les palestiniens de l'autre côté d'un mur, et pour considérer les
palestiniens comme un danger existentiel.
Comme ce fut le cas avec les accords d'Oslo de 1993, dans les accords de
Genève le contexte est bien loin d'être plus important que le texte, et
c'est toujours comme ça quand l'opinion israélienne est concernée.
(traduction de Carole Sandrel)
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