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PRESSE
Les
accords de Genève
La ruée vers Genève
Denis Sieffert
POLITIS 4 déc 2003
Beaucoup a été dit déjà sur
cette initiative de Genève présentée en grande pompe lundi en présence
de nombreuses personnalités venues du monde entier. Son incommensurable
mérite est de rendre l'espoir à une région plongée depuis trois ans
dans la nuit. Car, au fond, Yossi Beilin, l'Israélien, et Yasser Abed
Rabbo, le Palestinien, ne nous apprennent rien que nous ne sachions déjà
: à savoir, que la solution de ce conflit est à la fois politiquement
compliquée et intellectuellement simple. Pour mettre fin à une guerre
coloniale, il suffit de décoloniser.
Voilà le message de Genève. Ce ne sont donc pas tant les cartes, le
tracé millimétré d'une frontière retrouvée au milieu des méandres de
l'Histoire et de la religion qui doivent forcer l'admiration, que la
portée politique du discours. Les forces vives existent. Les
interlocuteurs aussi. Et les volontés ne manquent pas. Par contraste,
Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo ont mis en évidence la honteuse
lâcheté de la communauté internationale, qui aurait pu et dû depuis
longtemps produire son " initiative de Genève ", et se donner
les moyens de l'appliquer. Ils ont aussi souligné les mensonges d'une
propagande émanant hélas d'une certaine gauche israélienne qui s'est
employée, il y a trois ans, à délégitimer les partenaires palestiniens
les mieux disposés au compromis, pour favoriser les extrémistes. Ils ont
anéanti le discours de Camp David visant à faire accroire que tout avait
été généreusement offert à Arafat, le partage de Jérusalem, et
l'État palestinien viable, et que le vieux leader, irascible, mégalomane
et violent, avait tout balayé d'un revers de main. Il en découlait que
Sharon était une fatalité, et qu'il était vain de vouloir entraver son
action. Ce mensonge-là a fait trois mille six cents morts.
Du coup, avouons un certain malaise devant la composition de la
délégation française. Bien sûr, il y avait là Simone Veil, Hubert
Colin de Verdière, secrétaire général du Quai d'Orsay, et l'ancien
ministre Hubert Védrine, tout trois indiscutables et légitimes. Mais la
ruée sur Genève des intellectuels médiatiques qui ont répandu avec
constance et opiniâtreté le discours israélien de l'après Camp
David ce discours qui fit le socle idéologique de la politique
d'Ariel Sharon laisse au minimum perplexe.
Ont-ils voulu se faire pardonner ? Regrettent-ils aujourd'hui d'avoir
été "
de gauche " avec Fouad Ben Eliezer, ce travailliste sans états
d'âme qui fut ministre de la Défense de Sharon au plus fort de la
répression ? Ou s'agit-il d'une simple manœuvre de récupération ? On
le saura assez vite. Car l'initiative de Genève est menacée par deux
périls. Elle risque bien sûr d'être torpillée par la
violence de Sharon ou de groupes extrémistes palestiniens ; mais elle
risque aussi d'être étouffée sous les louanges d'une partie de ses faux
amis. La paix virtuelle mise au point par MM. Beilin et Rabbo serait alors
transformée en icône tandis qu'on laisserait, sans piper mot, M. Sharon
construire son mur, étendre ses colonies, raser des maisons, tuer et
provoquer en retour la violence palestinienne. Le Premier ministre
israélien n'a d'ailleurs pas attendu pour mettre à l'épreuve les
nouveaux " pacifistes" de la délégation française de Genève.
Lundi, déjà, tandis que l'on se congratulait sur les bords du lac Léman,
les chars israéliens entraient dans Ramallah, faisant quatre morts dont
un enfant de 9 ans. Sans raison apparente, mais au moment même où
l'Autorité palestinienne se préparait à rencontrer les dirigeants du
Hamas et du Jihad pour négocier une nouvelle trêve. À nos nouveaux
amis, nous disons donc ceci : soutenir la dynamique de Genève, ce n'est
pas s'en retourner la conscience repue de s'être trouvé un alibi ; c'est
exiger la destruction du mur, le gel des colonies, et s'opposer à tout ce
qui participe d'une annexion des
territoires palestiniens. MM. Finkielkraut, BHL, et autres dirigeants
socialistes qui avez approuvé bruyamment l'initiative de Genève,
bienvenus dans ce combat !
Pour autant, il ne faut pas se cacher les limites intrinsèques du plan
qui part à la conquête des opinions publiques israélienne et
palestinienne. La question des réfugiés en constitue assurément le
point faible. Elle est moins bien traitée ici que lors des discussions de
Taba, en janvier 2001. Ce n'est d'ailleurs pas tant affaire de chiffres
que de principe et de droit. Il n'a jamais été dit (sauf par
quelques-uns des intellectuels cités plus haut) que trois millions huit
cent mille réfugiés devaient submerger Israël et transformer
l'État hébreu en république islamique. Il avait été dit, en
revanche, que le droit devait être reconnu et son application négociée
afin (c'était l'expression même d'Arafat) que " l'équilibre
démographique "
d'Israël ne soit pas remis en cause. À Genève, la logique est
inversée. Le droit n'est plus vraiment reconnu, mais certaines de ses
applications seront mises en oeuvre. Les dirigeants palestiniens auront
bien du mal avec cette clause qui touche au plus profond du traumatisme
originel de tout un peuple. Mais s'il arrivait que le plan de Genève soit
un jour mis en oeuvre, la dynamique positive pourrait bien soulever des
montagnes.
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