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PRESSE
Les
accords de Genève
Les limites des
Accords de Genève
JALAL AL HUSSEINI
13 novembre 2003
Dans quelques jours, ils seront
annoncés en grande pompe sur les rives du Léman. Mais ces Accords de
Genève ressemblent davantage à un exercice académique de haut-vol qu'à
un plan de paix viable. Explications
La Suisse vient ainsi d'entrer dans la très (trop?) médiatique scène du
processus de paix. Les officieux Accords de Genève, signés par des
membres du gouvernement palestinien et des figures de l'opposition
israélienne au mois d'octobre en Jordanie, représentent l'aboutissement
d'une série de pourparlers que la diplomatie suisse a encouragés en
sous-main depuis 2001. Ils seront annoncés en grande pompe sur les rives
du lac Léman dans le courant de ce mois de novembre.
De ces Accords, on ne connaît encore que les grandes lignes. Dans
l'essentiel, ils concrétisent avec force cartes et détails la démarche
«pragmatique» qui avait inspiré les négociateurs israéliens et
palestiniens à Taba, peu de temps avant l'arrivée de Sharon au pouvoir
en février 2001 et le renvoi des négociations de paix. Cette démarche,
basée sur le principe de la coexistence pacifique, prévoyait la
création d'un Etat palestinien ayant pour capitale Jérusalem-est, le
démantèlement des colonies juives de peuplement et le règlement de la
question des réfugiés, par la compensation et la réinstallation
essentiellement.
Pour l'heure, ces Accords de Genève semblent bénéficier du soutien de
l'ensemble des «faiseurs de paix». Tant l'Union européenne, les Nations
Unies, les Etats-Unis ou les pays arabes voisins, à l'exception de la
Syrie, ont tenu à se féliciter de leur avènement. A juste titre: au
moment où l'Intifada reprend de plus belle, il était utile de rappeler
aux «faiseurs de guerre» ainsi qu'à des opinions locales radicalisées
que les espoirs de paix ne sont pas morts.
Mais de quelle crédibilité ces Accords bénéficient-ils réellement?
Là s'arrête pour l'instant le souffle d'espoir qu'ils avaient
déclenché. Malgré la caution internationale dont ces accords
bénéficient, un nombre grandissant d'observateurs en Palestine et en
Israël les assimilent déjà plus à un exercice académique de haut-vol
qu'à un véritable plan de paix viable.
C'est notamment la personnalité des négociateurs en chef qui est mise en
cause. L'Israélien Yossi Beilin, le principal protagoniste des
discussions de Taba de janvier 2001, est considéré jusque dans les rangs
travaillistes comme un «fou de la paix», voire comme un dangereux
opportuniste prêt à tout pour se faire remarquer. Quant au négociateur
palestinien, Yasser Abed Rabbo, on se plaît à dire en Palestine qu'il
est l'homme des coups foireux, c'est-à-dire ceux que le Président Arafat
considère sans lendemain. Il est vrai que l'intéressé ne fait pas parti
de l'oligarchie du Fatah, le mouvement créé par Yasser Arafat à la fin
des années 1950, et qui n'a cessé présider aux destinées de l'OLP puis
de l'Autorité palestinienne depuis sa création en 1994.
Mais au-delà de ces considérations personnelles, les Accords de Genève
pêchent par leur manque de contextualisation politique. Ils ne se
positionnent pas clairement vis-à-vis de la «feuille de route», ce plan
de paix international lancé au printemps sur l'initiative du Quartet (les
Etats-Unis, la Russie, l'Union européenne et les Nations Unies).
En outre, comment les Accords de Genève s'inscrivent-ils par rapport à
l'initiative officieuse lancée en juin dernier par deux personnalités de
la société civile, soit Sari Nusseibeh (doyen de l'Université de
Jérusalem) et Ami Ayalon (ancien chef du Shin Bet)?
Cette initiative prend la forme d'une pétition populaire et s'inspire,
elle aussi, des termes des pourparlers de Taba. Elle a déjà recueilli
plus de 100'000 signatures en Israël et 60'000 signatures en Palestine.
Désagréablement surpris par l'avènement des Accords de Genève, les
milieux proches du tandem Ayalon-Nusseibeh ont estimé que l'initiative
parrainée par la Suisse ne faisait que créer une confusion funeste à
l'heure où leur pétition était en train de prendre une ampleur
politique et médiatique susceptible de convaincre les leaderships
palestinien et israélien de reprendre le chemin des négociations.
Pour en revenir à des questions de substance, tant les Accords de Genève
que la pétition Ayalon-Nusseibeh rencontrent déjà de sérieuses
résistances au sein de la société palestinienne.
On leur reproche notamment leur traitement inique du dossier des
réfugiés. Le problème n'est pas tant qu'ils écartent toute mise en
oeuvre d'un retour inconditionnel de plus de cinq millions de réfugiés
à leurs foyers originels. Comme l'ont récemment montré plusieurs
sondages effectués en milieu réfugié dans les différents pays du
Proche-Orient, seule une petite minorité de réfugiés (moins de 10%)
considère encore sérieusement, plus de cinquante ans après l'exode, de
retourner au village d'origine.
Pour l'écrasante majorité, la réinstallation et la compensation sont
les seules options envisagées. Ce que demandent avant tout l'ensemble des
réfugiés est la reconnaissance par Israël de sa responsabilité dans
leur exode, ainsi que le principe du droit au retour.
En négligeant de soulever ces questions de morale et de droit,
probablement dans l'idée de contourner un problème réputé
inextricable, les protagonistes des Accords de Genève se sont aliéné
une frange importante de la population palestinienne.
Les réfugiés constituent en effet la moitié de la population totale
dans les territoires occupés et en Jordanie. Comment ceux-ci
réagiraient-ils à la conclusion d'un accord qui, en négligeant leurs
revendications les plus basiques, saperait jusqu'aux fondements mêmes de
leur dignité? C'est la stabilité et l'avenir de ces régions qui
pourrait être compromise
Il ne faudrait pas déduire de tout cela que les Accords de Genève sont
inutiles ou peu pertinents. Ce dont le processus de paix a aujourd'hui le
plus besoin, c'est d'une approche concertée et coordonnée regroupant
l'ensemble des initiatives de paix régionales et internationales. C'est
aussi d'une prise en compte lucide de réalités locales, malheureusement
difficilement discernables du haut des chalets suisses ou depuis les
hôtels de luxe de la mer morte.
En attendant, les barrières physiques et mentales entre peuples
israélien et palestinien sont vouées à s'allonger jour après jour.
Jalal Al Husseini, 36 ans, est docteur en science politique et chercheur
en relations internationales. D'origine suisse et palestinienne, il est
domicilié à Amman
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