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DOSSIERS
PRESSE
Les
accords de Genève
Une place pour notre
rêve
par Mustafa Barghouti
16 juillet 2003
Alors que les disputes
liées à la feuille de route se poursuivent, et alors que le peuple
Palestinien se trouve confronté à de nouvelles formes d'horreur, il peut
s'avérer nécessaire de laisser de côté momentanément cet aspect
horrible de la question et de tracer un aperçu générale de la
situation.
Le processus d'Oslo a vu une trêve de sept années. Mais c'était, à
quelques exceptions près, une trêve pour un seul camp, avec d'un côté
les Palestiniens sous observation quasi-permanente pendant que le côté
israélien poursuivait ses attaques contre nos intérêts et contre nos
terres, détruisant de fait toute recherche de la paix.
Ces agressions continuelles se sont développées à trois niveaux.
Tout d'abord, Israël a été gouverné par la droite depuis l'assassinat
de Rabin. Il y a eu bien sûr Barak dans l'intervalle entre Netanyahu et
Sharon, mais une fois au pouvoir Barak a suivi une politique en conformité
complète avec les intérêts de la droite. Il a en particulier tout fait
pour que soit déconsidérée la légitimité de l'Autorité Palestinienne
(AP) en répandant le mythe selon lequel l'AP aurait rejeté "l'offre
généreuse" qui leur avait été faite, car en vérité l'AP serait
déterminée à détruire Israël. Ce mythe est devenu une litote de la
droite sioniste dans sa volonté d'empêcher la création d'un Etat
Palestinien Indépendant.
Deuxièmement, dans la période d'Oslo, la construction de colonies s'est
poursuivie sans interruption. Depuis la signature de ces accords, c'est
environ une centaine d'implantations qui ont été mises en place, et le
nombre de colons israéliens dans les territoires occupés a doublé. Il
ne s'agissait pas d'une augmentation spontanée, "organique". C'était
le résultat d'une tentative délibérée et programmée de modifier le
status quo par une extension sans équivalent durant les 27 années
d'occupation qui ont précédé. La seule période durant laquelle la création
de colonies s'est ralentie de façon significative a été juste avant la
signature des accords d'Oslo en 1993, accords qui avaient suivi l'Intifada
qui s'était enflammée en 1987.
L'expansion coloniale post-1993 a été un processus très élaboré. Non
seulement les colonies se sont étendues sur une grande échelle, mais
elles ont aussi entraîné la mise en place de toute une imbrication de réseaux
routiers dont l'objectif est de relier ces colonies entre elles et à Israël.
Le but n'était pas de créer simplement des habitations pour y loger une
population israélienne, mais surtout de modifier la géographie économique
et politique des territoires occupés. Par le biais de ses activités de
colonisation Israël a cherché à transformer la Cisjordanie en
territoire ethniquement israélien, dans lequel les villes et villages
palestiniens ne seraient rien de plus que des avant-postes isolés.
Entre 1987 et 1993 Israël a multiplié les états de fait sur le terrain,
et en particulier à Jérusalem. Durant la trêve d'Oslo, ils ont tenté
de transformer les caractères géographiques des territoires occupés
dans leur ensemble, de façon à proclamer que ces territoires leur étaient
destinés. Même si ce n'est pas une découverte, il faut rappeler que
c'est exactement ce qu'Israël a réalisé en Galilée, dans le Néguev et
à Jaffa en changeant les données démographiques. Les territoires occupés
représentent cependant pour Israël un problème plus complexe parce que
les Palestiniens se sont accrochés à la terre qui est la leur.
Depuis 1987, les demandes palestiniennes ont progressivement diminué
alors que celles des Israéliens ont sans cesse augmenté. Les
Palestiniens étaient préparés à accepter uniquement 22% de la
Palestine historique, au lieu des 45% que leur concédait le plan de
partage des Nations Unies en 1947. Dans la foulée des accords d'Oslo
l'illusion d'une solution basée sur la coexistence de deux états
respectant les frontières de 1967, s'est rapidement évaporée.
L'essentiel des négociations portait sur la façon dont la Cisjordanie
elle-même pouvait être morcelée entre les deux côtés. De ce point de
vue les propositions de Barak dans le cadre d'Oslo ne sont pas très différentes
en substance de celles de Sharon aujourd'hui.
Il y a encore un troisième élément. La destruction systématique de
l'Autorité Palestinienne a fatalement fortement affaibli sa capacité à
se structurer et à poursuivre son objectif de création d'un Etat indépendant.
De plus, Israël a su exploiter la fragmentation du monde Arabe et une
situation internationale complexe pour reformuler son conflit, non
seulement vis à vis des Palestiniens mais aussi à travers toute la région.
Suite au déclenchement de la seconde Intifada [septembre 2000 - N.d.T],
Israël a commencé à utiliser de façon très efficace les moyens de
communication à l'échelle mondiale pour modifier la perception générale
des réalités historiques et contemporaines de son conflit avec les
Palestiniens. Le principal objectif de cette offensive n'était pas
seulement le déni des droits des réfugiés, mais aussi de distordre
l'interprétation de ces droits - de façon à ce quiconque réclamant ces
droits apparaisse comme voulant la destruction d'Israël. A l'occasion de
cette campagne vers les medias, les territoires occupés se sont vus
qualifiés de "territoires disputés", l'Intifada a été réinventée
en conflit militaire entre deux camps de force égale, et le mot
"occupation" lui-même a été exclu du vocabulaire. Sharon
semble se voir comme l'homme chargé de terminer la besogne entamée en
1948 par Ben Gourion.
Dans ces conditions, pourquoi chacun fait-il encore référence à la
feuille de route ? Pourquoi Sharon lui-même accepte-t-il apparemment l'idée
d'un Etat Palestinien ? Et pourquoi Israël n'annexe-t-il pas les
Territoires Occupés comme il a fait de Jérusalem et du Golan ?
Le problème de la démographie
La première raison qui
fait hésiter Israël à annexer les territoires occupés, est
quantitative. Malgré tous ses efforts, Israël n'a pas encore trouvé de
solution au problème démographique posé par les Palestiniens. Ayant
assimilé la dure leçon de 1948, les Palestiniens vivant encore sur leur
terre ont refusé de partir. Le simple fait de leur présence dans cette région
du monde est le plus important des succès de la lutte du peuple de
Palestine. Et cette présence maintenue n'est pas seulement un résultat
numérique, comme c'était le cas avant 1967. Aujourd'hui, cette présence
palestinienne est dynamique, consciente, et liée à la résistance. Cette
présence maintenue est coûteuse pour Israël; en effet, Israël est tout
simplement incapable de supporter le coût de l'occupation.
L'opinion publique israélienne est extrêmement sensible au coût de
l'occupation en vies humaines. De plus, la société et l'économie israéliennes
ne peuvent soutenir longtemps une confrontation dont la durée est indéterminée.
C'est la raison pour laquelle Israël s'est obstiné à vouloir stopper la
première puis la seconde Intifada.
L'effondrement que vit l'économie israélienne, soumise aux pressions générées
par la seconde Intifada, est clair à tout point de vue. Israël subit
aujourd'hui la récession la plus forte de son histoire, accompagnée d'un
taux record de chômage et d'une fuite de capitaux jamais vus. Israël a
perdu depuis le début de la seconde Intifada près de 23 milliards de
dollars. Le revenu moyen par tête a diminué de 12 %.
Israël doit faire également face à d'autres difficultés concrètes et
immédiates pour mener à bien une annexion pure et simple. Il n'y a en
effet pas de solution militaire pour mettre fin à l'Intifada et à la
lutte des Palestiniens. Israël a plus d'une fois tenté la voie
militaire, mais toujours sans succès. Il est impossible d'imposer aux
habitants des territoires occupés qu'ils quittent leurs maisons - l'infâme
"transfert" à propos duquel Sharon a longtemps fantasmé.
L'ultime chance pour Israël de procéder à une telle déportation, s'est
présentée au moment de la guerre contre l'Irak, mais même à ce
moment-là aucune tentative ne put être faite. Il se trouve des limites
au-delà desquelles la force reste sans effet, même si cette force est écrasante.
S'il ne peut donc résoudre son problème par une annexion des
territoires, qu'est-ce que peut bien vouloir le gouvernement israélien ?
Pour répondre de façon simple, ce gouvernement veut une nouvelle trêve
- un deuxième Oslo qui lui donnerait tout le temps nécessaire pour découper
ce qu'il reste des territoires occupés et briser ce qu'il reste du
Mouvement National Palestinien. Le gouvernement israélien veut une
nouvelle période de cessez-le-feu, lequel durera le temps qu'il ne
s'appliquera qu'aux Palestiniens. Ils veulent un semblant de paix, et pas
une vraie paix. Ils veulent que les Palestiniens acceptent le status quo,
avec l'espoir qu'affaiblis par nos divisions et usés par les difficultés
économiques et quotidiennes, nous en arriverions à céder.
C'est ainsi qu'est apparue l'idée d'un Etat intermédiaire, ou plutôt
d'un Etat dont les frontières seraient provisoires. Et c'est pourquoi
Israël fait des objections à la feuille de route (même s'il invoque un
Etat intermédiaire), puisque celle-ci imposerait le gel de la
colonisation durant la première phase.
En tant que Palestiniens, nous devons tirer les leçons de nos erreurs.
Les accords d'Oslo, parrainés par les Etats-Unis et disposant de
garanties internationales, demandaient le redéploiement de l'armée israélienne
et l'évacuation dès 1999 de toutes les zones de la Cisjordanie et de
Gaza, avec les exceptions notables des zones frontières, des colonies et
de Jérusalem. Ceci signifiait que Israël se retirait de près de 90 % de
la Cisjordanie et de Gaza, en échange du report de la question des réfugiés,
des frontières et de Jérusalem.
Ces questions devaient cependant être résolues dans le cadre de négociations
devant se conclure la même année. Or en Septembre 2000, Israël s'était
retiré de seulement 18% des territoires et n'avait en rien résolu, ni même
simplement abordé, les questions de Jérusalem, des réfugiés et de Jérusalem.
La seule chose qui a réellement progressé pendant cette période, ce
sont les colonies et leur réseau routier, leur présence ne faisant
qu'augmenter, comme celle de l'armée et des check points.
Alors pourquoi Israël continuerait-il à proposer un Etat intermédiaire
puisqu'il n'y a aucune volonté d'accepter un jour un véritable Etat ? Il
est possible de discerner plusieurs raisons derrière cette apparente
attitude contradictoire.
Tout d'abord, un Etat provisoire permettra aux Israéliens de faire une
nouvelle fois durer éternellement les discussions sur des sujets aussi
importants que les frontières, les réfugiés, les colonies et Jérusalem.
Leur souhait bien évidemment c'est qu'avec le temps ces questions
deviennent insolubles, et ainsi la recherche d'une solution serait
simplement abandonnée.
Ensuite, un Etat intermédiaire leur serait utile par rapport à leur
volonté de reformuler les termes du conflit palestino-israélien de façon
à ignorer les droits élémentaires des Palestiniens. L'objectif ici est
de trouver une solution qui soulagerait les Israéliens du fardeau démographique
en cas d'annexion, tout en permettant d'aller plus avant dans l'annexion
des terres. C'est la raison pour laquelle ils proposent un Etat sur 42 %
des territoires, ce qui réduirait effectivement un Etat Palestinien
"indépendant" à une collection d'enclaves géographiquement déconnectées
les unes des autres - un Etat sans souveraineté et sans frontières. Les
Palestiniens seraient autorisés à vivre dans des ghettos. Il pourrait y
avoir un système donnant aux habitants le pouvoir de se gouverner - et éventuellement
de se persécuter - eux-mêmes. Ils pourraient être responsables de leur
nourriture, de leur santé et de leur économie. Mais ils n'auraient
aucune souveraineté sur leur terre et aucune perspective de pouvoir
transformer leurs ghettos en un Etat viable.
Les Palestiniens sont conduits progressivement vers ce terrible avenir,
cette potion amère devant être avalée sous le prétexte que la
situation serait seulement "temporaire". Mais d'après ce que
nous avons vu après Oslo, c'est que le "temporaire" se
transforme rapidement en "permanent"; il y aura en permanence
des prétextes à ne pas aller de l'avant, et les questions de Jérusalem
et des réfugiés seront toujours présentées comme des obstacles
insurmontables et non pas comme des sujets de négociations.
A présent, Sharon demande aux Palestiniens d'abandonner le droit au
retour pour les réfugiés, et de déclarer la fin du conflit. En échange,
il ne propose rien aux Palestiniens, si ce n'est quelques ghettos exigus
pour y vivre. La solution de Sharon est la judaïsation et l'annexion du
maximum de territoires en Cisjordanie et à Gaza, et il demande aux
Palestiniens de faire des concessions historiques afin de lui faciliter le
travail. Son objectif est que les Palestiniens abandonnent leurs droits et
aillent vivre dans un esclavage permanent sous le pire système
d'apartheid et de racisme que l'histoire ait connu. Ainsi qu'il l'a fait
à propos de la feuille de route, Sharon veut sélectionner les éléments
qui vont dans son sens et rejeter ceux qui ne lui plaisent pas. C'est
pourquoi il a procédé à une centaine de modifications de ce texte,
classées sous 15 rubriques. Il veut mettre un terme à la lutte des
Palestiniens, tout en refusant de geler la colonisation. Il veut faire
disparaître le droit au retour, tout en refusant de discuter la question
de Jérusalem.
Les cartes [des projets sionistes - N.d.T] montrent que Sharon n'est qu'un
élément de plus dans la chaîne sioniste. Ces cartes montrent combien
les frontières de ce soi-disant Etat Palestinien seront étriquées,
jusqu'à ce qu'un mur consacrant la ségrégation raciale soit terminé et
que les territoires occupés soient morcelés en parcelles minuscules. La
partition de la Palestine en 1947 donnait 45 % de leur pays aux
Palestiniens, alors que la solution de deux Etats, basée sur les frontières
de 1967 ne leur en attribuait plus que 22 %. La proposition de Sharon
reviendrait à leur en concéder un simple 9%. Les cartes parlent
d'elles-mêmes, mais ce qui importe réellement c'est la tendance
sous-jacente.
Alors que les Palestiniens perdent de plus en plus d'espace après chaque
confrontation, leur résistance n'a pourtant cessé de grandir. Ils ont
refusé de partir, leur nombre n'a cessé d'augmenter, et ils se sont
engagés dans une vie de combat, afin de renforcer leur structure
institutionnelle, de développer leur conscience nationale et des droits
qui s'y attachent, et de rallier un soutien international. A travers tous
ces éléments, tel un fil conducteur s'impose le fait que le facteur
humain est notre principal atout.
Par le passé nous avons employé, et parfois épuisé nos propres
ressources humaines. Nous n'avons pas su, en particulier depuis Oslo,
organiser et employer le potentiel que représentent les Palestiniens
vivant à l'étranger. Y parvenir est un des principaux objectifs que
s'est donné l'Initiative Palestinienne Nationale et Démocratique [PNDI :
Palestinian National Democratic Initiative].
La feuille de route est vouée à l'échec car ainsi le veut Sharon, et
les Etats-Unis ne sont pas en situation d'exercer des pressions à son
encontre pour imposer qu'il l'accepte. Le scénario le plus probable est
que la feuille de route soit altérée dans le sens des réserves émises
par Sharon. Ceci placerait les Palestiniens dans une situation de danger
sans précédent. Le conflit ne sera plus alors un conflit à propos du
pourcentage de terre que nous serions autorisés à conserver, mais ce
sera un conflit à propos de notre droit à survivre en tant que nation,
avec une cause pour laquelle vivre et avec une identité à conserver.
Il est essentiel que notre lutte ne soit déformée ou réduite au point
de vue israélien. Le conflit entre les Palestiniens et l'occupant israélien
n'est pas une dispute entre deux parties égales; ce n'est pas un désaccord
concernant les conditions d'un Etat réel. Il n'est pas concevable de
mettre sur un même pied l'opprimé et l'oppresseur, ou les occupants avec
ceux qui vivent sous l'occupation. La lutte des Palestiniens est celle
d'une nation privée de sa liberté, de son indépendance et de sa patrie
depuis 55 ans, et soumise à l'occupation depuis 36 ans. C'est la lutte
d'un peuple pour l'exercice du droit à l'autodétermination - un droit
communément exercé par toutes les nations, y compris par les Israéliens.
La route devant nous
Face aux projets de
Sharon, et en particulier face à son plan de résoudre la question démographique
en Palestine par un système de ghettoïsation et d'apartheid, nous avons
besoin de déployer cinq grands axes, parmi ceux qui sont à notre portée.
1 - Une direction
nationale unitaire.
La première étape est
la mise en place d'une direction nationale servant de cadre à
l'organisation d'une participation collective définissant une stratégie
de résistance nationale et impulsant les différentes formes de lutte et
d'action politique, y compris les négociations. L'écart existant entre
l'Autorité Palestinienne (AP) et le mouvement de libération nationale a
deux issues possibles : il peut provoquer une rupture catastrophique, ou
il peut être résolu par la fusion des deux parties sous une direction
nationale unifiée. Bien évidemment l'actuelle situation peut simplement
se prolonger telle qu'elle est. Même si cela permettrait d'éviter une
rupture, cela priverait cependant notre nation de la possibilité de
transformer ses sacrifices et son dévouement en réalisations concrètes.
Les Palestiniens ne sont pas le seul peuple avec des désaccords dans
leurs rangs. La seule voie pour résoudre ces désaccords ce sont des élections
démocratiques. Nous devons accepter le point de vue de la majorité, tout
en réaffirmant le droit pour la minorité de continuer à défendre ses
propres vues.
Cette proposition peut paraître irréaliste. On peut se demander comment
le mouvement islamique, l'Autorité Palestinienne et les démocrates ne
pourraient jamais parvenir à des positions communes concernant les négociations.
La réponse cependant, est simplement que c'est ce qu'ils ont à faire
s'ils oeuvrent pour le bien commun de leur peuple plutôt que pour les intérêts
des factions qu'ils représentent. Dans tous les cas, ce qui est proposé
est uniquement une direction nationale provisoire qui n'empêchera quelque
partie que ce soit de défendre publiquement son propre programme lors des
élections qui suivront.
Le succès de cette formule dépendra cependant d'un consensus sur deux
points : ces élections seraient complètement débarrassées de toutes
les fraudes dont nous avons été témoins lors des élections précédentes
- et toutes les factions respecteront les règles du jeu démocratique,
accepteront la décision de la majorité et auront compris les mérites du
pluralisme politique et de l'alternance de pouvoir par des voies
pacifiques.
Le Hamas et l'Autorité Palestinienne (AP) ont eu des contentieux par le
passé. A présent le problème est que le Hamas et l'AP, ou au moins une
partie de l'AP, nourrissent encore des suspicions. Une partie des
dirigeants de l'AP veulent l'unité mais ne sont pas préparés à
impliquer d'autres personnes dans les prises de décision. Ils veulent
qu'on les soutienne, mais sans rendre de comptes; ils veulent une légitimité
mais sans élections régulières, et le droit de négocier au nom de la
Nation sans que le peuple leur ait donné un mandat clair par des voies démocratiques.
Il faut mettre un terme à tous ces comportements, lesquels doivent être
remplacés par des principes de participation et d'engagement.
Enfin, un mandat électoral démocratique est nécessaire afin de donner
une réelle crédibilité à tout Palestinien qui négocie. Un tel mandat
rétablirait un certain équilibre dans les négociations, qui sont depuis
longtemps asymétriques. Sharon est capable de négocier avec une majorité
écrasante d'une Knesset élue derrière lui, alors que Abu Mazen, comme
Yasser Arafat avant lui, n'ont derrière eux qu'un gouvernement
minoritaire ne représentant qu'un cinquième de la population
palestinienne, et ne peuvent s'appuyer que sur un Conseil Législatif dont
le mandat électoral basé sur une seule fraction du peuple Palestinien a
expiré en 1999.
Le président Arafat, malgré tout son poids politique et malgré le fait
qu'il ait été démocratiquement élu, doit retourner devant les
instances nationales pour renforcer le soutien politique aux décisions
prises. Abu Mazen est en permanence dans une position de faiblesse. Il n'a
pas été élu pour occuper le poste qu'il occupe habituellement et il lui
manque la stature d'Arafat vis à vis du Fatah et de l'Organisation de Libération
de la Palestine (OLP). Plus qu'aucun autre gouvernement de l'AP, le
gouvernement d'Abu Mazen a besoin d'un centre de décision national et
unifié, jusqu'à ce que des élections puissent être organisées. Et
aucun atermoiement de devra être toléré quant à la tenue des élections.
Sinon le gouvernement n'obtiendra jamais la légitimité dont il a besoin
pour conduire les négociations. Il aurait au contraire à renégocier séparément
chacune des décisions prises avec les différentes factions, un procédé
aussi injustifié dans son principe qu'insoutenable dans la pratique.
Dans cette conjoncture, le peuple Palestinien doit réaliser quatre
objectifs : a) préserver notre unité nationale et ne permettre à
quiconque de mettre à l'épreuve l'intégrité de notre vision des
choses, b) surpasser toute tentative de semer la discorde dans nos rangs,
c) renforcer notre légitimité nationale et notre capacité à prendre
des décisions de façon indépendante, alors que tant de nations même
puissantes semblent incapables de le faire, et d) introduire de véritables
réformes dans notre mouvement de façon à libérer notre direction de
toute inefficacité et irresponsabilité.
Au niveau politique, nous avons besoin : - de libérer notre système
politique de restrictions hors du temps, - d'ouvrir ce système à une
participation pleine et entière, particulièrement à l'égard des femmes
et des jeunes, - de redistribuer nos ressources de façon à épauler le dévouement
des pauvres et sans privilèges ainsi que leur capacité à rester dans
leur patrie, - et de développer au maximum nos ressources humaines (la
principale ressource dans notre combat).
2 - Des élections
libres
Les Palestiniens ont
droit à des élections libres et démocratiques, facilitées par une présence
internationale qui remplacerait les forces israéliennes. Nous devrions être
en mesure d'élire des personnes en qui nous ayons confiance pour négocier
tous les aspects d'un règlement définitif. Ce sera le seul moyen de
mettre fin à la marginalisation du peuple Palestinien et de nous
permettre de façonner notre propre futur.
Les élections renforceraient la résistance populaire et fortifieraient
l'appareil d'un Etat indépendant. Elles ne seraient pas complexes à
organiser. En effet, les élections figurent dans la feuille de route; un
comité indépendant a déjà été formé afin de les superviser, et le
financement européen a déjà été réservé. Ces élections sont le
seul moyen de rétablir la balance entre les demandes israéliennes et
palestiniennes.
Il est difficile d'imaginer que soit créé l'appareil d'un Etat
Palestinien sans que se soient d'abord tenues des élections pour des
conseils municipaux, un Conseil Législatif et une Présidence. Tous ces
points sont urgents. Les élections pour les conseils municipaux ne se
sont plus tenues depuis 1976. Le mandat du Conseil Législatif a expiré
en 1999, et comme résultat logique, ce Conseil manque de légitimité
morale et politique pour ratifier quelque règlement pour une paix finale.
Le Conseil National Palestinien, qui est apparemment la principale source
de légitimité de l'OLP (Organisation de Libération de la Palestine) a
été en service pendant une décade et il n'est pas prévu que des élections
se tiennent dans un avenir proche. En termes plus directs, beaucoup de ses
pouvoirs lui ont déjà été retirés. Ceci est vrai également pour
d'autres structures de l'OLP, dont les pouvoirs ont été déplacés vers
l'Autorité Palestinienne. En conséquence la vie démocratique à l'intérieur
de l'OLP se retrouve paralysée.
3 - Le refus de
solutions partielles
En tant que
Palestiniens, nous devons résister à toutes les tentatives de sabotage
de ce qui est l'essence même de notre indépendance nationale. Nous
devons refuser en particulier d'être entraînés dans ce long et obscur
tunnel des "solutions partielles et transitoires". Nous devons
insister au contraire sur la mise en place d'un Etat indépendant avec une
complète souveraineté, disposant d'un contrôle réel sur ses frontières,
ses ressources naturelles et ses réserves en eau. Nous devrions donc
considérer avec précaution toute étape définie comme "Etat intérimaire"
ou comme un Etat avec des frontières provisoires.
Nous devrions insister sur le fait que toutes les questions ayant trait au
règlement final doivent être formulées et résolues, à savoir les
colonies, les frontières, Jérusalem et les réfugiés.
Dans le lexique israélien, "temporaire" signifie
"permanent". De véritables mesures temporaires peuvent être
prises pour soulager une pression et ajourner une crise de façon à la résoudre,
comme cela a pu se produire sous Oslo. Ce qui est nécessaire, c'est une
attitude collective de rejet de toute solution partielle ou transitoire en
insistant sur l'obligation d'inclure les quatre questions fondamentales :
les réfugiés, les frontières, Jérusalem et les colonies. La seule
solution réaliste est la création d'un Etat démocratique et indépendant
avec une vraie souveraineté et une complète maîtrise de ses frontières,
de sa terre, de son espace aérien et de ses ressources naturelles.
Les Palestiniens ont le droit et aussi la capacité de résister à toute
idée d'un Etat intérimaire. Je n'ai pas rencontré quelque émissaire
que ce soit, américain ou européen, qui soit séduit ou même simplement
tenté par l'idée d'un accord sur un Etat intermédiaire. Pour la simple
raison que cette idée est intenable de façon simplement évidente. Elle
est inclue cependant dans la feuille de route, mais certainement
uniquement sous la pression israélienne. En réponse à ce type de
chantage, nous devons exiger un Etat Palestinien avec une totale
souveraineté. En d'autres termes nous devons exiger une paix réelle et définitive
afin de mettre un terme aux souffrances des deux peuples.
4 - l'aide aux plus démunis
Le PNI (Palestinien
National Initiative) milite pour le développement de toutes les
potentialités du peuple Palestinien et pour l'utilisation de tous ses
moyens dans la lutte pour la libération et pour l'indépendance. Pour y
parvenir, nous devons apporter une aide suffisante à ceux qui travaillent
et vivent sans soutien dans les territoires occupés. Et nous devons
trouver le moyen de mobiliser les Palestiniens expatriés au profit de
notre cause et de resserrer leurs liens avec le reste de la nation. Ceci
peut être fait par le renouveau de notre projet national et par plusieurs
voies de lutte publique et civile contre l'occupation.
Un cessez-le-feu et la fin des opérations militaires, même trop tardive,
libérerait l'Intifada de ses associations militaires, renforcerait l'intégrité
morale de la cause palestinienne et ouvrirait grand la porte aux masses
pour s'engager de façon plus large dans des formes de lutte civile contre
l'occupation.
Un cessez-le-feu ne signifie en rien l'arrêt de la lutte, et les négociations
à venir reflèteraient l'élan que prendrait cette lutte, surtout que
l'objectif ne serait pas simplement la poursuite de cette lutte mais au
contraire de parvenir à une escalade. On peut imaginer comment la lutte
se développerait en observant les plans de Sharon pour de nouvelles
colonies et pour la judaïsation de Jérusalem. Le refus de Sharon de négocier
sur Jérusalem et sur les réfugiés est un cas d'espèce.
5 - Gagner la
solidarité internationale
Nous devons gagner
l'appui du mouvement grandissant de solidarité internationale. L'Histoire
considérera peut-être un jour que le premier résultat de la seconde
Intifada aura été de faire revivre le mouvement de solidarité
internationale en faveur du peuple Palestinien, mouvement qui s'était
affaibli du fait de notre propre incapacité à promouvoir nos droits et
suite à la fausse impression produite par Oslo selon laquelle la paix était
accomplie, alors qu'en réalité les griffes de l'occupation et de la
colonisation n'avaient cessé de déchirer la terre palestinienne.
La création de la Campagne Civile Internationale pour la protection des
Palestiniens (GIPP : Grass-roots Internationale campaign to protect the
Palestinians) a été une brillante étape dans la reconstruction du
mouvement international de solidarité. Et ce mouvement de solidarité
peut encore s'étendre. Malgré nos défiances du début, ce mouvement est
à présent une place forte dans la lutte du peuple Palestinien. Si nous réussissons
à combiner ce mouvement de solidarité avec notre propre résistance
nationale, nous pourrions créer une force comparable à celle qui a
combattu l'apartheid en Afrique du Sud, une force capable de mettre en
pleine lumière les malheurs liés à l'occupation et aux colonies et
capable d'aider à mettre un terme à l'occupation et au racisme dont
notre peuple a tant souffert.
La réalisation de ces objectifs serait une réparation partielle pour
notre peuple après un siècle, si ce n'est des siècles, de souffrance.
Depuis des générations nous n'avons connu que la loi étrangère, et
avons eu à supporter les persécutions et l'injustice. Depuis des siècles
nous n'avons pas pu nous diriger nous-mêmes, définir notre propre futur,
organiser nos vies, et vivre librement et avec fierté. Mais malgré tout
cela, nous avons été capables de dépasser nos souffrances, de bannir
toute tendance à la victimisation, et de nous fixer sur notre
perfectionnement (self-improvement -N.d.T] et notre éducation. La lutte
nationale sur le plan scientifique et professionnel est devenue pour
chacun de nous un moyen de rendre hommage à notre Palestine bien-aimée.
Les Palestiniens ont aidé à la construction de douzaines de pays et
contribué au succès de nombreux mouvements de libération nationale. Le
moment est venu pour nous d'avoir notre propre Etat et d'accéder à la
liberté. Ceci représenterait un succès majeur non seulement pour les
Palestiniens mais aussi pour le reste de l'humanité, pour la cause de la
paix et de la justice à travers le monde. Ce serait aussi un succès pour
les israéliens eux-mêmes qui sauraient alors voir le monde d'un point de
vue différent, et non plus seulement à travers les canons des pistolets
et les tableaux de bord des hélicoptères Apache.
Les Israéliens doivent être conscients du fait qu'une nation qui en persécute
et en occupe une autre ne peut pas elle-même être libre.
[traduit de
l'anglais par Claude Zurbach]
(Mustafa Barghouti est secrétaire général du Palestinian
National Initiative et président du Palestinian Medical Relief Committies.)
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