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DOSSIERS
PRESSE
Les
accords de Genève
La theorie
du "personne a qui parler"
par Youli Tamir *
22 octobre 2003
L'une des failles des théories holistes, dit Karl Popper, est qu'il
est
impossible de les réfuter, car tout argument qui leur est oppose peut être
modifie pour qu'il épouse la vision du monde désirée (par le refutateur,
ndt). A mesure que s'échauffe le débat autour du pacte de Genève, il
devient
de plus en plus évident que l'hypothèse "il n'y a personne a qui
parler"
appartient à ce que Popper nomme une théorie qui ne peut être réfutée
parce
qu'elle change de forme en fonction de ses besoins.
Exposer les diverses manières de repousser l'argument "il y a
quelqu'un a
qui parler" peut aider a éclairer la nature de l'impasse a laquelle
est
arrive le discours public. Les arguments qui vont suivre surgissent chaque
fois que naît l'espoir qu'il y a quelqu'un a qui parler. le Palestinien
(ou
la Palestinienne) prêt a s'asseoir avec des Israéliens et de parler avec
eux
de l'avenir de la région (appelons-le "l'orateur") est immédiatement
écarté à
l'aide de l'un des arguments suivants, ou d'une combinaison de plusieurs
d'entre eux :
1/ L'orateur est encore vivant. Or, par le passé, quiconque parlait
avec des
Israéliens de problèmes importants, le Dr Issam Sartawi par exemple, était
assassiné par des Palestiniens. Le fait que l'orateur n'est pas mort est
une
preuve de son peu d'importance, et donc, quoi qu'il dise, il ne faut pas
le
prendre au sérieux. Ou alors, il ne dit pas la vérité, ce qui explique
qu'il
n'ait pas été tué.
2/ Si l'orateur s'exprime en anglais, en allemand ou même en hébreu,
il faut
supposer qu'il dit quelque chose d'autre en arabe, et donc il ne faut
écouter que ce qu'il dit en arabe, et ce qu'il dit en arabe est sans
aucun
doute une incitation a la haine.
3/ Si l'orateur publie ce qu'il a dit en arabe, en hébreu et en
anglais, et
qu'il n'a toujours pas été assassiné par des Palestiniens, cela
signifie
qu'il vient de Jérusalem Est et non de la vraie société palestinienne,
que
c'est un intellectuel et qu'il ne représente que lui-même.
4/ Si l'orateur est un personnage clé de la vie publique
palestinienne, mais
qu'il a des opinions et des positions indépendantes, ce qu'il a a dire
n'a
aucune importance. Tout le monde peut déclarer qu'il est pour un accord
de
paix, la question est de savoir qui cela engage.
5/ Si l'orateur est membre de l'actuelle direction palestinienne, qu'il
appartient à l'un des groupes qui en font partie (le Fatah par exemple),
et
que ses déclarations peuvent avoir l'air d'être des engagements, il est
clair alors qu'il opère en tant qu'émissaire d'Arafat, qu'il n'est qu'un
pion entre ses mains, et que ses intentions sont de tromper des gauchistes
naïfs.
6/ Si l'orateur est bien connu, est lié à l'Autorité palestinienne, déclare
qu'il est prêt à aboutir à un accord avec un groupe de représentants
israéliens, le publie en hébreu et en arabe, et tente d'obtenir le
soutien
de l'opinion publique, on nous prévient alors que l'orateur n'a que le
pouvoir de parler, et non de signer. La question, disent ceux qui
critiquent
le processus, est, non de savoir avec qui parler, mais avec qui signer.
7/ Si le monde arabe ne soutient pas les déclarations de l'orateur,
alors
celles-ci ne valent rien, parce que sans un large soutien du monde arabe,
il
n'y a pas d'accord possible.
8/ Si le monde arabe soutient les déclarations de l'orateur, c'est
alors une
preuve qu'il sert les intérêts arabes, et que toutes ses propositions
doivent être rejetées immédiatement.
9/ Enfin, l'argument le plus fort est celui d'Ehoud Barak, qui dit que
les
Palestiniens, comme tous les Arabes, "sont le produit d'une culture
ou le
mensonge ne crée aucune dissonance pour le menteur", et que donc, même
s'ils
parlent et même s'ils signent, il ne faut jamais les croire.
Il faut noter que l'invention et le développement de la théorie
"personne a
qui parler" procède du génie politique. L'hypothèse qui la
sous-tend est que
nous sommes condamnés pour toujours à combattre les Palestiniens, nous,
nos
enfants et les enfants de nos enfants. Elle garantit qu'Israël sera
éternellement sourd à toute voix nouvelle et tout message en provenance
du
camp palestinien, si ces voix et ces messages ne sont pas accompagnés de
bruits de tirs et d'explosions. Et, ce qui est le plus important, elle
permet à l'opinion israélienne de s'accrocher à la théorie "il
n'y a pas
d'alternative" qui dit que, bien sur, nous voulons un accord, mais
qu'il n'y
a pas le choix et que tant que ne viendra pas un interlocuteur digne de ce
nom, nous n'aurons aucune décision a prendre concernant notre avenir,
parce
qu'il n'y a personne à qui parler.
* Signataire du pacte de Geneve, Youli Tamir est deputee travailliste.
Ancien ministre, elle fait partie des fondateurs de Shalom Arshav (La Paix
Maintenant).
http://www.haaretz.com/hasen/pages/ShArt.jhtml
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