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ABOU
MAZEN N'EST PAS A ENVIER
Texte (2) de Uri Avnery sur Abou Mazen
Ma
première impression d'Abou Mazen a été celle d'un introverti, sérieux,
méthodique, quelque peu distant. Il me faisait penser à un proviseur de
lycée, très différent d'Arafat, l'extraverti impulsif, enclin aux
attentions personnelles, apportant la chaleur tout autour de lui.
J'ai rencontré Abou Mazen pour la première fois il y a environ 28 ans.
Nous étions secrètement à Tunis pour rencontrer Yasser Arafat. Nous étions
trois : Matti Peled, un général de réserve, Yaacov Arnon, un ancien
directeur général des Finances, et moi. Nous avons d'abord rencontré
Abou Mazen pour préparer des propositions pratiques d'actions communes
que nous devions soumettre au "Vieil Homme", comme on appelait
Arafat - alors âgé de 54 ans.
J'avais entendu le nom d'Abou Mazen pour la première fois neuf ans
auparavant, lors de mes premiers contacts secrets avec des représentants
importants de l'O.L.P. qui m'ont dit que la direction du Fatah avait nommé
un comité de trois personnes pour des contacts avec les Israéliens. C'étaient
les "trois Abou" (comme je les appelais) : Abou Amar (Yasser
Arafat), Abou Iyad (Salah Halaf) et Abou Mazen (Mahmoud Abbas).
Abou
Mazen était directement responsable des contacts engagés en 1974. Dans
la première phase, ils étaient menés avec moi personnellement, mais, à
partir de l'automne 1976, le partenaire israélien était le "Conseil
israélien pour une paix israélo-palestinienne". Les Palestiniens
qui nous ont rencontrés étaient Saïd Hamami et Issam Sartaoui - qui ont
tous deux été assassinés par l'archi-terroriste palestinien soutenu par
l'Irak, Abou Nidal, un ennemi mortel d'Arafat.
Quand Arafat et Abou Mazen étaient présents ensemble aux rencontres avec
nous, je pouvais me faire une idée claire de leur position respective.
Les discussions détaillées étaient conduites par Abou Mazen, qui avait
une bonne connaissance des choses israéliennes, mais c'est Arafat qui, à
la fin, prenait les décisions. Plus d'une fois j'ai eu l'impression que
les principaux dirigeants de l'O.L.P. étaient très contents de laisser
à Arafat la responsabilité des décisions courageuses, dangereuses et
impopulaires qui ont conduit à l'accord avec Israël.
Nous nous trouvons maintenant dans une situation nouvelle. Arafat a été
d'accord pour nommer Abou Mazen Premier ministre. (Le fait même que le
monde entier, y compris Israël, ait bien accueilli le
"gouvernement" et le "Premier ministre" palestiniens
est un grand pas vers l'établissement de l'État de Palestine. À Oslo,
Israël a toujours vigoureusement combattu l'emploi de termes comme
"Président", "gouvernement" et "Parlement"
pour les Palestiniens.)
Abou
Mazen a pris une grande responsabilité vis-à-vis de son propre peuple et
du monde. Il s'est mis dans une situation quasi impossible.
Sharon & Cie demandent que tout d'abord il mette fin au
"terrorisme" ("lutte armée" en langage palestinien),
qu'il liquide les "organisations terroristes", qu'il ramasse
leurs armes et prévienne "l'incitation à la violence". Ce
n'est qu'après la réalisation totale de tout ceci que des négociations
réelles pourront commencer. Le gel de la construction de colonies, bien sûr,
ne devrait même pas être mentionné à ce stade.
Les Palestiniens, quant à eux, demandent tout d'abord que l'armée israélienne
quitte les villes palestiniennes, mettant fin aux "assassinats ciblés",
à l'activité de colonisation, à la démolition de maisons et à tous
les autres actes d'oppression, et que de vraies négociations pour l'établissement
de l'État de Palestine soient entamées.
On risque là de se retrouver dans une impasse.
Si les États-Unis et l'Europe exercent une forte pression sur Sharon,
comme ils ont fait pression sur Arafat, on pourrait sortir de l'impasse.
L'armée israélienne se retirerait, la situation dans les Territoires
palestiniens changerait complètement, les Palestiniens pourraient de
nouveau respirer et Abou Mazen apparaîtrait comme un dirigeant ayant déjà
obtenu un grand succès. La popularité des organisations extrémistes déclinerait.
Même le cas échéant, Abou Mazen ne pourrait pas envisager de procéder
à des arrestations massives, de détruire les organisations et de
confisquer leurs armes. Il n'y a rien que les Palestiniens craignent plus
qu'une guerre fratricide. Cependant, la pression de l'opinion publique
palestinienne conduirait au moins à un armistice effectif. Même les
organisations extrémistes sont sensibles à l'opinion publique - si
celle-ci veut le calme, il y aura le calme. C'est déjà arrivé dans la
première période après les accords d'Oslo.
Envisageons cette hypothèse. Les attentats s'arrêtent presque complètement
(il y aura toujours quelques individus et groupes locaux qui considéreront
qu'ils doivent agir de leur propre chef). Le gouvernement Abou Mazen
fonctionne bien dans les villes et les villages palestiniens. Et après ?
Après la publication de la Feuille de route, Sharon proposera des
dizaines de "correctifs". Déjà maintenant, la
"feuille" penche fortement du côté de Sharon. Alors que les
Palestiniens ont donné, à Oslo, 78% de leur pays, accepté de construire
leur propre État sur les 22% restants, et déclaré qu'ils veulent vivre
en coexistence pacifique avec Israël, Sharon parle de "concessions
douloureuses" sans préciser ce que cela veut réellement dire.
Si les "correctifs" de Sharon sont acceptés, même
partiellement, le plan perdra l'essentiel de ce qui lui reste de
substance. Abou Mazen restera les mains vides, les négociations
stagneront comme les précédentes. Petit à petit, les Palestiniens
seront amenés à la conclusion qu'ils ne peuvent rien obtenir sans
violence, les organisations combattantes reprendront l'initiative, et la
lutte armée recommenceront.
Sharon et Bush accuseront les Palestiniens, bien sûr. Ils diront qu'Abou
Mazen "n'a pas rempli son contrat". Les Palestiniens, pour leur
part, diront qu'Abou Mazen est naïf, qu'il est tombé dans le piège américano-israélien.
Il démissionnera, le prestige d'Arafat atteindra de nouveaux sommets.
On peut prévoir le prochain chapitre. Les fondamentalistes chrétiens et
les néo-conservateurs sionistes, qui contrôlent actuellement Washington,
demanderont qu'on laisse les mains libres à Sharon. Les Palestiniens
s'embarqueront dans la troisième Intifada, plus radicale que les deux précédentes.
Sang et feu et colonnes de fumée.
Il pourrait en être autrement. Par exemple : les États-Unis cessent de
traiter le Quartette avec mépris, on fait pression sur Sharon, Bush n'est
pas réélu, les négociations sont fructueuses, le camp de la paix gagne
en Israël, l'État palestinien est fondé dans la paix.
En Terre Sainte, il y a déjà eu des miracles.
Mais en attendant, Abou Mazen n'est pas à envier.
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