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DOSSIERS PRESSE "C'EST
DEJA UN MAUVAIS DEPART POUR LA FEUILLE DE ROUTE" Entretien accordé par Leïla Shahid au journal l'Humanité La déléguée générale de Palestine en France, Leïla
Shahid, était samedi 14 juin 2003 au siège de l'Humanité, où elle était
l'invitée des 2es Assises de notre journal. L'occasion pour elle de faire
le point sur la situation au Proche-Orient. Comment appréciez-vous la situation après
la réunion d'Aqaba et l'attitude israélienne ?
La "feuille de route" est,
pour nous, en elle-même, quelque chose que nous souhaitions depuis
maintenant pratiquement un an. En mars 2002, pour la première fois, un président
américain parle d'une solution basée sur deux États et un État
palestinien viable et souverain. C'est une chose positive. Mais les
discours ne suffisent plus du tout. De mars 2002 à maintenant, les envoyés
spéciaux du " quartet " (États-Unis, Russie, UE et ONU), ont
travaillé sur un document qui réunirait tout ce qui n'a pas été mis en
oeuvre dans les accords d'Oslo, de Wye River, Charm el-Cheikh, dans les
recommandations Mitchell, Tenet, avec la proposition de paix du prince
Abdallah d'Arabie saoudite. Tout ce qui a été officiellement inclus par
les deux parties est inclus dans cette " feuille de route ". Il
y a trois choses nouvelles qui n'étaient pas dans les accords d'Oslo tels
qu'ils étaient rédigés : on donne une finalité à ce processus, une
date très précise qui est 2005 pour la création d'un État palestinien
souverain et indépendant. Deuxièmement, il est spécifié qu'il y a un mécanisme
de mise en oeuvre de surveillance de cette " feuille de route "
qui inclut le " quartet ". Ce mécanisme de surveillance a un
calendrier très précis, vérifier que les Palestiniens et les Israéliens
remplissent leurs obligations et que ces mesures sont prises dans une
simultanéité et un parallélisme total. Mais les Israéliens, lorsqu'ils
ont accepté sur le plan formel la " feuille de route ", ont
bien précisé qu'ils avaient 14 objections, écrites et remises
officiellement à Condoleezza Rice juste avant Aqaba. Les Américains ont
dit qu'ils les prendraient en compte dans la mise en oeuvre... Qu'est-ce que cela signifie ?
Parmi ces réserves on trouve le refus
d'un État souverain et indépendant, le refus du gel des colonies, le
refus de prendre en considération la proposition du prince Abdallah. Donc
des objections qui enlèvent tout intérêt et toute utilité à cette
" feuille de route ". À Aqaba, les Israéliens et les
Palestiniens devaient, d'après la première étape de la " feuille
de route ", chacun ou ensemble, faire une déclaration où ils
reconnaissent l'autre et s'engagent à arrêter la violence. Abou Mazen a
fait ce discours mais pas Sharon. Il ne s'est pas engagé à respecter ce
qu'il doit faire dans la première phase, à savoir le gel de la
colonisation. La chose la plus importante à Aqaba était la présence de
Bush. Le même qui venait de passer deux ans et demi à dire je ne vais
pas m'occuper du Moyen-Orient parce que la priorité c'est l'Irak. S'il
est venu personnellement à un tel sommet c'est que sa stratégie a été
modifiée. Parce qu'il a bien compris qu'il n'arrive pas vraiment à faire
la paix en Irak. Et il ne la fera pas de sitôt. Il a donc besoin d'une
image de faiseur de paix. Le lieu qui continue à être le foyer qui
menace le plus la paix, c'est le conflit israélo-palestinien. Il ne peut
donc pas faire autrement, au moins sur la forme, qu'une tentative de
sommet où il apparaît comme un homme de paix. Jusqu'où ira-t-il dans sa
tentative ? On n'a pas vraiment l'impression que les choses ont changé côté
américain. La feuille de route est issue du
Quartet, pourtant on ne voit que les Américains ? Que se passe-t-il ?
Les sommets de Charm el-Cheikh et
d'Aqaba étaient organisés par les Américains qui n'ont pas souhaité
inviter leurs partenaires du " quartet ". Ce que je regrette énormément.
C'est déjà un mauvais départ pour la " feuille de route ". Si
celle-ci n'est pas supervisée par un mécanisme de surveillance du "
quartet ", elle ne sera jamais mise en oeuvre. Parce que les
Palestiniens n'ont pas confiance dans un mécanisme de surveillance mis en
oeuvre uniquement par les Américains. Ce mécanisme, promu par le "
quartet ", est très développé dans tous ses aspects, que ce soit
la surveillance sécuritaire ou sur le gel des colonies ou sur la levée
du bouclage. C'est un travail sérieux mais il n'a pas encore été rendu
public parce que les Israéliens refusent le " quartet ". De
nombreux ministres israéliens disent d'ailleurs qu'ils n'ont pas accepté
la " feuille de route ". C'est pourquoi au lendemain d'Aqaba,
alors qu'il était convenu qu'il fallait donner une chance aux
Palestiniens pour conclure une trêve politique avec le Hamas, ils ont
tenté d'assassiner l'un de ses dirigeants et ont déclenché ce qui était
inévitable, une vengeance du Hamas. Comme le gouvernement israélien ne
veut pas de la " feuille de route ", il ferme les portes même
si cela se fait au détriment de ses propres citoyens. Qu'est-ce que l'Autorité palestinienne
peut mettre en balance dans ses discussions avec des groupes comme le
Hamas, le Djihad islamique ou les Brigades d'Al-Aqsa, pour obtenir un
accord politique palestinien, apte à arrêter les violences et permettre
la mise en oeuvre de la " feuille de route " ? Avant tout, le fait que la population
palestinienne est exténuée, elle ne croit plus que la résistance
militaire peut suffire pour leur permettre de gagner la bataille
aujourd'hui de la libération des territoires ou de rester dans la
situation actuelle. Le dialogue intérieur palestinien a commencé en
octobre, au Caire. Il y a le Hamas, le Djihad, les brigades Al-Aqsa et le
Front populaire. Ce dialogue repose sur le bien-fondé de la lutte armée
ou non. Parce qu'il est évident qu'après chaque action militaire contre
Israël dans les territoires palestiniens et surtout après chaque action
kamikaze contre des civils israéliens, il y a des conséquences immédiates
contre la population. Celle-ci a donc envie de donner une chance à la
paix si les Israéliens font leur part. Nous sommes entrés, après la fin
de guerre en Irak, dans une phase où les pressions des États arabes sont
importantes. La Syrie ou l'Iran appellent leurs partisans, que ce soit le
Hezbollah ou le Hamas ou le Djihad islamique, à baisser leur pression
militaire parce qu'eux-mêmes, en tant qu'État, sont sous pression américaine.
Il faut une trêve, c'est-à-dire une suspension des hostilités
militaires pour voir vraiment si l'autre est prêt à faire une trêve.
Pendant cette trêve, on voit ce qu'on est capable de mettre en oeuvre
dans la " feuille de route ". C'est exactement le contenu des
discussions qu'Abou Mazen a eu au Caire et à Gaza avec les dirigeants de
tous les mouvements palestiniens. Le Hamas avait dit qu'il était prêt à
annoncer une trêve. C'est pour cela que le premier ministre palestinien
s'est rendu à Aqaba. La tentative d'assassinat du dirigeant du Hamas est
un sabotage par Israël de ce travail de construction d'une trêve entre
Abou Mazen et le Hamas. Israël n'a pas réussi à se débarrasser de
Yasser Arafat et maintenant elle voudrait que la guerre civile éclate au
sein de la société palestinienne. Entretien réalisé par Pierre Barbancey
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