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DOSSIERS
PRESSE
"Les
Israéliens, j'en suis sûr, feront capoter la feuille
de route
".
Entretien avec Ahmed
Yassine,
fondateur et chef
spirituel du Hamas
Quel a été
le message d'Abou Mazen lors de ses rencontres avec le Hamas, à Gaza, en
avril ?
Il
nous a exposé sa vision, ce en quoi il croit. Il veut arrêter l'Intifada
et la résistance, puis attendre ce qu'Israël voudra bien concéder aux
Palestiniens. Nous avons répondu que nous ne déposerons jamais les armes
tant que nos droits n'auront pas été reconnus. Nous avons beaucoup
appris avec Oslo : dix ans pour zéro résultat, c'est tout de même une
expérience !
Dans son discours de politique générale,
le premier ministre palestinien a expliqué qu'il n'y aurait désormais
qu'une seule autorité pour les Palestiniens et que le Hamas, s'il veut
s'exprimer, devrait se contenter du jeu politique et des élections. Qu'en
pensez-vous ?
C'est
un programme destiné à des gens vivant dans un pays libre, mais cela ne
peut pas s'appliquer ici dès lors qu'il y a l'occupation, les massacres,
les destructions, les arrestations, les assassinats... Quand nous aurons
un Etat palestinien indépendant, nous serons les premiers à déposer les
armes, mais pas avant.
A
quelles conditions êtes-vous prêts à accepter un cessez-le-feu avec
Israël ?
Une
trêve ne me pose aucun problème. C'est possible si Israël accepte l'évacuation
des zones occupées depuis 1967, l'établissement d'un Etat palestinien
sur Gaza et la Cisjordanie, avec Jérusalem comme capitale.
Et si Abou Mazen décidait
d'imposer au Hamas une trêve par la force, comme cela a été le cas après
les attentats de 1996, par exemple, quelle serait votre réaction ?
Ce
serait contre l'avis des Palestiniens et ils s'y opposeraient, notamment
pour ce qui concerne les confiscations d'armes. Nous ne voulons pas d'un
affrontement avec l'Autorité palestinienne : c'est notre position et nous
n'en changerons pas ; mais nos militants - qui se souviennent de la répression
de 1996 - n'ont pas du tout envie d'en faire à nouveau les frais.
Voyez-vous
des différences entre Abou Mazen et Yasser Arafat ?
Bien
sûr, sinon ils -les Israéliens et les Américains- n'auraient pas
autant insisté pour qu'Abou Mazen occupe cette fonction de premier
ministre. Mais il doit savoir qu'il risque de servir leurs intérêts, et
certainement pas les nôtres.
Craignez-vous des pressions exercées
par les États-Unis envers la Syrie, où sont installés des responsables
de votre mouvement ?
Ce
ne serait pas la première fois que nous en subirions. Nous y sommes
habitués. Nous étions installés dans le passé en Jordanie. Nous avons
dû partir pour le Qatar, puis pour la Syrie. Ce n'est pas cela qui nous
handicapera. Les Etats-Unis ont démantelé un régime en Irak, mais détruire
un peuple, c'est une tout autre affaire. Pour l'instant -lundi 4 mai-,
nous n'avons d'ailleurs pas reçu d'informations précises quant à une éventuelle
fermeture de notre bureau à Damas.
Quel
futur prédisez-vous à la "feuille de route"?
Un
échec, bien sûr. C'est un document qui ne traite que de la sécurité
d'Israël. Il prévoit la réorganisation des Palestiniens dans le sens
voulu par les Israéliens. En échange, que doivent consentir ces derniers
? On n'en sait rien, ce n'est pas clair du tout. Les Israéliens vont
jouer avec cette "feuille de route" et, à la fin, il n'en
restera plus rien. Il y a une partie qui traite du démantèlement des
colonies construites sous le gouvernement Sharon, mais de quel
gouvernement faudrait-il parler ? Du dernier ou de ceux du passé ?
N'est-ce pas, pourtant, la première
fois qu'un plan évoque précisément un État palestinien, les frontières
de 1967, et une date-butoir, 2005 ?
Croyez-moi,
on parle de 2005 pour le moment, mais les Israéliens passeront vite à
2010, puis à 2020. D'ailleurs, ils n'ont pas accepté ce document
puisqu'ils veulent le discuter.
Les membres du Quartet n'ont-ils pas précisé que le texte n'était
pas amendable ?
Ce ne sont pas eux qui comptent. L'important, c'est ce que disent les Israéliens.
Et je suis sûr que, même si ce plan sert en fait leurs intérêts, ils
le feront capoter.
Propos
recueillis par Gilles
Paris (le Monde)
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