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DOSSIERS
PRESSE
« UNE
FEUILLE DE ROUTE VERS NULLE PART »
Kathleen Christison (CounterPunch.org)
(newsletter politique américaine) du dimanche 4 mai 2003 (publié
in …), [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Kathleen Christison a travaillé à la CIA, dont elle a pris sa
retraite en 1979. Depuis lors elle se consacre principalement à la
question palestinienne. Elle est l‚auteur des ouvrages Perceptions of
Palestine et The Wound of Dispossession).
La “ feuille de route ” vers la paix entre Israël et les
Palestiniens, enfin remise avec peu de fanfare et encore moins
d‚enthousiasme le 1er mai, après pas moins d‚un an d‚errance sans
but, est condamnée à l‚échec, c‚est une certitude. Des défauts
internes quasi fatals et des contraintes politiques extrêmes imposées à
sa mise en application en font une carte routière vers nulle part, destinée
au même terrain vague sur lequel les épaves des Plan Mitchell, Tenet et
Zinni ont fini par rouiller, durant les deux années de bons et loyaux
services du tandem Bush-Sharon au chevet du soi-disant “ processus de
paix ”.
La Œcarte routière‚, tracée pour la première fois en automne 2002,
est l'oeuvre commune du Quartet, une combinaison diplomatique informelle
concoctée par Colin Powell, pour les Etats-Unis, Kofi Annan pour l‚Onu,
Javier Solana pour l‚Union européenne et le ministre des Affaires étrangères,
Igor Ivanov, pour la Russie. Mise au point en décembre dernier, la Œfeuille
de route‚ préconise une première phase, qui doit se prolonger jusqu‚à
la fin du mois de mai, durant laquelle les Palestiniens doivent mettre un
terme inconditionnel à tout acte de violence et procéder à des réformes
politiques dans son administration, nommer un premier ministre, rédiger
une constitution et tenir des élections, Israël se retirant, dans le même
temps, des zones (ré)occupées depuis le début de l‚Intifada, en
septembre 2000, démantelant les colonies construites depuis mars 2001
(soit depuis l‚entrée en fonctions d‚Ariel Sharon), et gelant toutes
les activités de colonisation. Inutile de dire que, même si la date
limite pour la mise en pratique de cette phase ne tombait pas déjà dans
trois semaines, il y aurait peu d‚espoir de voir remplis ces objectifs
conséquents dans un futur rapproché.
Au cours de la seconde phase, de juin jusqu‚à décembre 2003, le
Quartet doit convoquer une conférence internationale afin de lancer un
processus de négociations conduisant à l‚établissement d‚un “
Etat palestinien indépendant doté de frontières provisoires et
d‚attributs de souveraineté ”. La troisième phase (finale),
impliquant la tenue d‚une deuxième conférence internationale,
ambitionne la fin de l‚occupation israélienne et la création d‚un
Etat palestinien “ indépendant, démocratique et viable ” à une date
indéterminée, mais courant 2005. L‚accord de paix définitif résoudra
toutes les questions restées en suspens, dont les frontières, les
implantations, le statut de Jérusalem et le sort à réserver aux réfugiés.
Ce plan exhorte aussi “ les pays arabes à accepter d‚avoir des
rapports normaux et sans restriction avec Israël ” à la fin du
processus de négociations, sans donner plus de détails.
Bien que la feuille de route soit le fruit de la collaboration des membres
du Quartet, les États-Unis en contrôlent quasi seuls le contenu et le
calendrier, et ils en seront l‚arbitre en dernière instance, en coopération
avec un Israël extrêmement réticent à le mettre en oeuvre. On a la très
forte impression qu‚il s‚agit du baiser de la mort. Israël a fait
savoir qu‚il a en réserve une centaine d‚avenants à apporter à
cette feuille de route et qu‚il est d‚ores et déjà en train
d‚interpréter le plan à la lumière de sa vision propre des choses, en
particulier pour ce qui concerne l‚importante question de savoir si ce
plan appelle à une mise en application pratique de ses exigences de manière
parallèle entre les deux parties, ou séquentielle ? Bien que le plan énonce
très clairement que, dans chaque phase, “ les parties sont censées
satisfaire à leurs obligations parallèlement, sauf indication contraire
”, il conditionne, plus loin, l‚action israélienne à des gestes
palestiniens préalables, appelant Israël à se retirer des zones (ré)occupées
depuis septembre 2000, mais seulement “ progressivement ” et seulement
“ au fur et à mesure que les performances des Palestiniens en matière
de sécurité auront progressé. ” Colin Powell a fait part de son point
de vue ˆ qui n‚aide en rien ˆ selon lequel les étapes de la feuille
de route “ seront parallèles, mais elles ne seront pas exactement
mutuellement synchronisées (entre les deux parties). ” ( !, ndt)
Un kamikaze palestinien a d‚ores et déjà fourni à Israël un prétexte
pour temporiser, en commettant un attentat le jour où le nouveau premier
ministre palestinien, Mahmoud Abbas, prenait ses fonctions. Sharon a décidé
de garantir qu‚il y aura bien terrorisme palestinien à l‚avenir, et
donc échec des “ avancées globales en matière de sécurité ” de
Abbas, en lançant des attaques à Gaza le lendemain même de la
publication de la feuille de route. Cette attaque particulièrement
violente a causé la mort de treize Palestiniens, pour la plupart des
civils, dont un bébé de deux ans, deux jeunes adolescents, un handicapé
mental, une femme, et un homme âgé de soixante-quinze ans.
S'agissant de Sharon, nous avions là son modus operandi standard. Grâce
à des opérations d‚assassinats parfaitement programmées et à des
attaques dites “ de représailles ” ainsi que des incursions à
l‚intérieur des territoires palestiniens, il a réussi à faire échouer
toute les initiatives de paix au cours des trois ou quatre années écoulées.
Il a saboté au moins deux missions de médiation, à l‚initiative de
l‚envoyé spécial Anthony Zinni, en 2001 et 2002, au moyen d‚opérations
d'assassinats “ ciblés ” qui provoquèrent directement des attentats
suicides; il a fait capoter
l‚initiative de paix de l‚Arabie Saoudite et de la Ligue arabe, en
mars 2002, en procédant à une incursion majeure dans des camps de réfugiés
palestiniens, qui conduisit, elle aussi, à un attentat suicide ; il cassa
un cessez-le-feu en cours avec le Hamas en bombardant un immeuble de Gaza,
tuant quatorze civils qui y dormaient, dont la moitié étaient des
enfants, en juillet 2002 et il a veillé à saper toutes les
tentatives déployées par Yasser Arafat afin d‚imposer un
cessez-le-feu, en lançant de multiples incursions dans les territoires
palestiniens, alors mêmes que les Palestiniens, de leur côté, s‚évertuaient
à maintenir le calme. La plupart des observateur ˆ excepté, bien
entendu, ceux de l‚administration Bush ˆ ont qualifié comme il
convenait ces actes de provocations, ce qu‚elles étaient en réalité.
Mais Bush et son équipe persistent à voir en Sharon un “ homme de paix
” et ils vont sans doute continuer à le faire, même lorsque Sharon réussira,
comme par le passé, à provoquer un regain de terrorisme dans le but de
faire échouer la Œfeuille de route‚.
Les États-Unis n‚ont pas accédé à la demande de Sharon qui voulait
que des modifications soient apportées au plan avant même sa
publication. Mais Bush a indiqué très clairement que les deux parties
peuvent déjà commencer à négocier sur les points énoncés dans la
feuille de route, ce qui revient à donner à Sharon carte blanche pour
allonger à l‚infini les délais et faire obstruction. Bush lui-même et
son administration sont visiblement peu enthousiastes pour ce plan et
apparemment, s‚ils ont fini par le publier, après un délai de six
mois, c‚est uniquement afin d‚aider Tony Blair qui avait grand besoin
de pouvoir montrer à ses opposants intérieurs quelque signe suggérant
qu‚on avance vers la paix au Moyen-Orient après sa participation, très
impopulaire, à la guerre de Bush en Irak.
Colin Powell est, de toute évidence, le seul héraut de la feuille de
route dans l‚administration américaine, laquelle la condamnera
vraisemblablement, le moment venu. La plupart des décideurs politiques et
des experts auprès de M. Bush ne reconnaissent même pas que les
territoires concernés sont des “ territoires occupés ”, et ils
s‚opposent activement à ce qu‚on exige d‚Israël qu‚il s‚en
retire. Donald Rumsfeld est connu pour avoir qualifié ces territoires de
“ territoires soi-disant occupés ”, l‚année dernière ; Richard
Cheney ne s‚est pas aussi explicitement fait remarquer, mais, en tant
que membre de longue date d‚organisations de droite aussi outrageusement
pro-israéliennes que le Jinsa, il n‚est de toute évidence pas un
partisan enthousiaste du compromis territorial de la part d‚Israël ;
d‚autres personnalités de poids de l‚administration tels Douglas
Feith et Richard Perle, au ministère de la Défense ou dans sa périphérie,
ainsi qu‚Elliott Abrams, au Conseil de Sécurité Nationale, affichent
depuis longtemps leur conviction qu‚Israël détient en bon père de
famille la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est, en vertu de droits de
propriété bibliques et qu‚il doit à jamais en conserver le contrôle.
Aucune feuille de route vers la paix n‚est à espérer avec ces gens-là
!
Après s‚être incliné aussi facilement qu‚on sait durant la gué-guerre
intestine à l‚administration au sujet de la guerre contre l‚Irak,
Powell semble dès lors totalement dans l‚incapacité de tenir tête ˆ
et peut-être n‚a-t-il même pas seulement l‚intention de se battre
contre elles ˆ aux pressions
internes qui ne manqueront pas de s‚exercer sur la feuille de route.
Les pressions sur Bush et compagnie, venues de l‚extérieur de
l‚administration, sont encore beaucoup plus intenses. Israël est en
train de lancer une action de lobbying intensif et massif contre la
feuille de route, tout du moins dans son état actuel, conjointement avec
l‚Aipac, d‚autres grandes organisations juives et la communauté des
chrétiens fondamentalistes au sens large. Le ministre israélien du
tourisme, l‚un parmi d‚autres chauds partisans du “ transfert ”
(l‚expulsion des Palestiniens) du gouvernement Sharon, est en ce moment
même aux États-Unis dans le but très précis de susciter une campagne
anti-feuille de route en dehors de l‚administration. La plupart du
travail préparatoire a d‚ores et déjà été mené à bien, par
d‚autres, à son intention : 88 sénateurs et 316 membres du Congrès
ont déjà envoyé à Bush des lettres en ce sens. A l‚instigation de
l‚Aipac, ces lettres expriment des réserves très sérieuses au sujet
de la feuille de route, en raison des pressions qu‚elle ferait peser sur
Israël, et plusieurs dirigeants fondamentalistes chrétiens l‚ont très
fortement condamnée. Dans la droite chrétienne, beaucoup de gens, dont
les deux prédicateurs évangélistes les plus connus, des membres du
Congrès et d‚autres hommes politiques, ont été très clairs au sujet
du soutien qu‚ils apportent à Israël afin qu‚il conserve les
territoires et en expulse les Palestiniens.
En revanche, un groupe de cent rabbins américains et un autre groupe de
quatorze philanthropes juifs ont envoyé des courriers à Bush soutenant
la feuille de route et l‚exhortant à la faire mettre en application le
plus rapidement possible. Mais ce sont là des voix prêchant dans le désert,
en comparaison avec les forces mobilisées contre elle. Les autres membres
du Quartet ne semblent pas non plus être assez forts pour presser les États-Unis
de donner suite à la feuille de route jusqu‚au bout. En fin de compte,
Bush sera très réticent à entrer dans une confrontation directe avec
Sharon, qu‚il aime bien, apparemment, et avec lequel il a le bon “
feeling ”. Et, sans doute encore plus important, même s‚il était
enclin à pousser de l‚avant une initiative de paix authentique, il
serait néanmoins extrêmement réticent, à l‚approche des prochaines
élections présidentielles, à l‚idée de se mettre à dos le lobby
conjoint des fondamentaliste chrétiens et des pro-israéliens.
Même en faisant abstraction de l‚opposition virtuellement insurmontable
à laquelle la feuille de route est confrontée, il s‚agit d‚un
document passablement déséquilibré. Sur le papier, la feuille de route
énonce beaucoup de choses très justes. Elle reconnaît qu‚il y a une
occupation [ce n‚est pas le cas de tout le monde, nous l‚avons vu, ndt]
et elle appelle à ce qu‚il y soit mis fin. Elle réclame un gel de la
colonisation israélienne. Elle donne l‚impression d‚exiger une mise
en oeuvre simultanée des phases successives par les deux parties, en
fondant un futur accord de paix sur les résolutions du Conseil de sécurité
n° 242 et sur le principe “ la terre contre la paix ”. Elle entérine,
enfin, la nécessité, pour le futur État palestinien, d‚être viable.
Néanmoins, dans l‚ensemble, ce document est un moteur grippé (Œa
non-starter‚ : une bagnole qui ne démarre pas, dit l‚expression américaine,
très imagée. ndt).
Le cadre temporel à long terme et l‚approche par étapes en sont les
insuffisances majeures. Les Palestiniens craignent à juste titre toute
approche par étapes, car Oslo leur a délivré le message très clair
selon lequel, sans de fortes pressions des États-Unis, Israël fera de
chaque phase intérimaire (et, en tant que telle, insatisfaisante du point
de vue palestinien) un arrangement permanent. Cela représente un danger
tout particulier au cours de la phase II de la feuille de route, qui
appelle à “ un Etat palestinien indépendant, doté de frontières
provisoires et d‚attributs [remarque : Œd‚attributs‚, et non Œdes
attributs‚. Veut-on refaire aux Palestiniens le coup de la résolution
préconisant le retrait “ de ” territoires en anglais et “ des ”
territoires en français, ou bien est-ce en raison du caractère encore
provisoire des frontières∑ ? Méfiance, méfiance ! ndt] de
souveraineté. ” Mis à part le fait évident que, si les frontières
sont seulement provisoires, il ne peut y avoir ni véritable État, ni indépendance,
ni souveraineté, ni même attributs de quoi que ce soit, d‚ailleurs, le
réel danger, ici, est qu‚ayant réalisé ce qu‚Israël, les États-Unis
et le reste du monde appelleront, n‚en doutons pas un instant, “ une
souveraineté étatique indépendante ”, peu importe ce que sera la réalité,
les Palestiniens impuissants n‚auront à leur disposition absolument
aucun moyen d‚exercer une quelconque pression pour que l‚on passe à
l‚étape suivante.
Un accord de paix et une souveraineté nationale palestinienne programmée,
mais pas avant 2005, dans une situation où le plan, qui n‚en est qu‚à
son tout début, a déjà pris six mois de retard ? Ces semelles de plomb
sont en elles-mêmes la garantie qu‚un certificat de décès finira par
être délivré pour ce plan. A moins que la construction de colonies, de
routes et les confiscations de terres palestiniennes par Israël ne soient
stoppées dès aujourd'hui, il n‚y aura pas d‚endroit où installer ni
un État provisoire, cette année, ni un État réel, d‚ici deux ans.
Les saisies de terrains par les Israéliens se poursuivent à un rythme
tellement inexorable et la Cisjordanie est en train d‚être pavée de
blocs de colonies tellement énormes et d‚autoroutes à accès limité
sur une échelle tellement importante que la Cisjordanie aura
vraisemblablement été totalement phagocytée par Israël avant même que
la feuille de route ait fini par permettre de trouver un itinéraire vers
une paix authentique.
Philip Wilcox, ancien consul américain à Jérusalem et aujourd'hui
directeur de la Fondation pour la Paix au Moyen-Orient, sise à
Washington, a observé récemment qu‚il est impossible de se faire une
représentation correcte de l‚échelle des projets israéliens de
colonisation et de la rapidité avec laquelle ils se poursuivent tant
qu‚on n‚est pas allé sur place pour voir ce qui est en train de se
passer dans cette région. Peu d‚Américain ˆ y compris chez les décideurs
politiques ˆ lisent ne serait-ce que les textes à ce sujet ou ne
regardent les cartes ; encore moins nombreux, y compris chez les décideurs
politiques, sont-ils à avoir jamais vu la situation telle qu‚elle est
en se rendant sur place.
L'absence de clauses exécutoires, et la forte probabilité qu‚aucun
gouvernement américain n‚exercera jamais aucune pression sur Israël
pour le contraindre à mettre en application les mesures qu‚il doit
prendre afin de permettre au projet d‚avancer, sont aussi des empêchements
majeurs. En dépit de son appel à une démarche parallèle, la feuille de
route reste très vague quant au timing et très imprécise sur le séquençage,
si bien que tout le poids pèse sur les Palestiniens. Les Palestiniens se
sont déjà vu requérir de réformer leur administration et Israël
demande aujourd'hui explicitement aux Palestiniens qu‚ils se plient à
l‚exigence de mettre un terme définitif à toute action violente avant
qu‚il ne daigne procéder lui-même à une quelconque avancée.
L‚administration Bush ne va, c‚est une quasi-certitude, formuler
aucune objection à cette exigence abusive, et elle ne va sans doute même
pas non plus sourciller devant le genre de provocations qu‚Israël a déclenché
la semaine dernière.
D'après le commentateur israélien Akiva Eldar, Daniel Kurtzer,
ambassadeur des États-Unis en Israël, avait fait une conférence l‚année
dernière, en Israël, sur la feuille de route. Critiquant à demi mots
Bush et son administration, il avait cité un aphorisme de Yogi Berra :
“ Si vous ne savez pas où vous allez, soyez prudent, car vous
risqueriez de ne jamais y arriver. ” Yogi ne croyait pas si bien dire :
la feuille de route semble aller tout droit, très clairement, vers un
super embouteillage sur la super autoroute des relations américano-israéliennes.
Tous les indices aujourd'hui disponibles indiquent que l‚administration
Bush préfèrera ignorer le bouchon autoroutier, plutôt que de porter
atteinte à ces sacro-saintes Relations
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