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DOSSIERS PRESSE Aller à l'école ? par Gideon Levy Bonjour le niveau : bienvenue au CP ! Pas besoin d’aller bien loin pour voir ces scènes inadmissibles. A un quart d’heure du centre de Jérusalem, vous pourrez vérifier par vous-même à quoi cela ressemble, la cruauté gratuite : il s’agit de vexations collectives sans rapport d’aucune sorte avec leur but affiché. La petite ville d’Abou Dis fut naguère presque la capitale temporaire de la Palestine, avec un palais du parlement imposant pour le prouver. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un village poussiéreux, défiguré et abandonné, avec une muraille passant au milieu, qui coupe tout, absolument tout en deux. Depuis maintenant un an, là-bas, un mur affreux, en béton, divise les
gens entre bons et mauvais ; entre captifs et libres ; entre bleus
(couleur de la carte d’identité israélienne) et orange (couleur de la
carte d’identité cisjordanienne). Officiellement, les Palestiniens qui
vivent à l’ouest du mur sont des gens bien : Israël les laisse
tranquilles, ils sont considérés faire partie des habitants de Jérusalem.
Ceux qui vivent à l’est du mur, par contre, son encagés comme des
animaux de cirque. Les graffiti "Am Yisrael chai" ("Le peuple d’Israël
est vivant » côtoient les croix gammées, sur le mur. Quelques étudiants venus du versant Jérusalem arrivent : ils se
rendent à l’Université Al-Quds, portant livres et notes sous le bras.
Cette université, avec son campus spacieux et ses bâtiments en pierre de
taille, est la seule au monde dont les étudiants doivent escalader un mur
pour aller assister à un cours magistral. C’est sans doute ce qu’on
appelle l’éducation de haut vol ? Tirés à quatre épingles, cheveux
gominés, les jeunes hommes naviguent avec aisance et prestance à travers
le mur de béton. Un saut de gazelle, ils sont dans les territoires ; un
saut de gazelle dans l’autre sens, hop : ils sont en Israël… Les
femmes – honteuses de leur honte, alors qu’il s’agit en réalité de
la nôtre – demandent qu’on ne les photographie pas. En voyant les
femmes plus âgées, votre cœur se retourne. Un garçon approche, en vélo, sa mère assise sur le porte-bagages, les bras chargés de sacs à provisions. Et maintenant ? « D’abord les sacs, ensuite la bicyclette, et enfin : nous. Fais bien attention ! » recommande la mère, soucieuse. On assiste à des scènes cocasses. Une femme se retrouve coincée entre deux plaques de béton. Sa tête est dans les territoires et le reste de son corps – en Israël. Ses filles se tordent de rire jusqu’à ce qu’elle finisse par se libérer. Trois jeunes judokas – ceintures blanches – escaladent le mur en tenue : excellent échauffement avant le cours ! Une estafette en Vespa réceptionne un pare-brise en plexiglas que quelqu’un lui tend de l’autre côté ; il le fixe en toute hâte sur son scooter, et le voilà reparti ! Une armoire en Formica blanc est en train d’opérer sa traversée. Venant en sens contraire, elle croise un bidon d’assouplissant pour le linge, tout rose : très belle harmonie. Voilà. A nous de traverser. Hésitants, un pied ici, une main qu’on
nous tient charitablement, là, tremblant un peu, il n’y a rien à quoi
se raccrocher. Une solution : sauter, sans se laisser distraire par ce
plateau de petits gâteaux qui opère sa traversée depuis une pâtisserie
de l’ouest vers une réception, à l’est… « Ramallah ! Ramallah !
» crient les chauffeurs de taxi, depuis l’autre côté, ne proposant
aucune course au-delà du checkpoint de Qalandiyah, fin de la fin du
monde, via deux autres checkpoints permanents et, allez savoir, peut-être
quelques autres checkpoints provisoires… Des étudiants de l’Université Al-Quds font une manif sur leurs terrains de sport, qu’ils veulent défendre face à l’avancée des bulldozers israéliens. Depuis le sommet du Mont de la Tentation, la vue est saisissante : le serpent fauve de terre nue qui se faufile par-dessus les collines et traverse les vallées est en train de se compléter, des deux côtés, en menaçant le terrain de foot du campus. Sur la gauche, on met la touche finale à une route réservée aux colons, qui reliera demain Kedar à Ma’aleh Adumim. Il faut dire qu’il y a un tel trafic, ces jours-ci, depuis Kedar ! [Presque une voiture tous les deux jours !] « On va leur péter leurs caméras, à ces barbares ! » grommellent
les gardes de la société Shahaf, mitraillette au cou, qui protègent les
bulls de la Zalman Barashi & Fils, tandis qu’une voiture de location
s’arrête, avec sa poignée de militants et de journalistes
internationaux. Récemment, les travaux ont exhumé quelques colonnes
antiques, à cet endroit. La rumeur a circulé que le mur serait déplacé
un peu vers l’ouest – ou l’est, on ne sait pas très bien. Ce que
l’on sait, c’est que seuls des vestiges archéologiques sont
susceptibles de modifier le tracé du mur. Pas les maisons. Pas les
habitants. Pas les pâturages. Un terrain de foot, n’en parlons même
pas. M., quarante-sept ans, habitant à Azzariyéh, douze enfants. «
C’est mes prisonniers », dit un policier. « Ne leur parlez pas ! »
Ah, ce n’est pas seulement une zone militaire ; c’est donc, aussi, une
propriété militaire ? « Vous pouvez leur parler, mais seulement avec ma
permission », se ravise le commandant David Azoulay. « Tout ceux qui
sont là-bas, près de ce mur, ce sont MES prisonniers. » Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier |