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Sur la frontière Il Manifesto Par surprise et carte en main, prenant de court à la fois Israéliens et Palestiniens, le Premier ministre Abou Ala'a (Ahmad Qoreï) a sorti de l'incandescent haut-de-forme moyen-oriental la proposition d'un État binational. Nous en parlons avec le chercheur israélien Michel Warschawski qui a fait de cette hypothèse l'objet d'un de ses livres (Le défi binational, Textuel, 2001). Il va publier par ailleurs chez Bollati Boringhieri un volume consacré à la crise de la société israélienne. Nous l'avons rencontré à Milan lors de la journée organisée par la Casa della Cultura (Maison de la Culture): «À propos de confins, murs, frontières, identités nationales». Au cours de cette journée, outre la présentation des livres de Warschawski et de l'historien palestinien Rashid Khalidi (Identité palestinienne, Bollati Boringhieri), a été projeté en avant-première nationale le film israélo-palestinien «Route 181». Comment évaluez-vous la proposition binationale de Abou Ala'a ? Je dois dire que ça ne m'a pas du tout surpris, même si je pense qu'Abou Ala'a l'a lancée non pas comme une véritable solution mais plutôt comme une menace. Une menace contre qui ? Contre Israël, bien sûr, qui est en train de rendre difficile, si ce n'est impraticable, l'autre solution, celle de la partition du territoire et d'un État palestinien indépendant. Ne vous semble-t-il pas contradictoire que le jour même où Abou Ala'a parle de binationalisme, l'hebdomadaire italien «Avvenimenti» sorte un entretien d'Arafat dans lequel le président de l'ANP accuse les Israéliens d'utiliser de l'uranium appauvri contre les Palestiniens ? Je ne vois pas de corrélation rationnelle entre deux déclarations qui, de toute évidence, ont un caractère fortement émotionnel. Il est vrai, cependant, que toute la Cisjordanie est devenue le «dépôt» de ce qu'on peut appeler les ordures industrielles israéliennes. Pourquoi donc Israël, qui n'a jamais accepté jusqu'à présent de se retirer de Gaza et de la Cisjordanie, devrait-il recevoir la proposition d'un État binational qui risquerait de faire disparaître l'État juif ? La réponse se trouve dans une contradiction totalement interne à l'idéologie israélienne. D'un côté il y a en fait la tendance, qui remonte au sionisme des origines, à la colonisation, à l'acquisition de parcelles toujours plus grandes du territoire. De l'autre, on en reste au fait que l'État israélien doit être seulement l'«État des juifs». C'est une impasse dont on ne sort pas: plus on va dans l'annexion de territoires, et plus il y aura de Palestiniens. Vous considérez, donc, comme impossible le maintien d'un «État juif» ? Ceux qui soutiennent les raisons d'un État juif ont deux possibilités: expulser tous les Palestiniens ou créer un système de bantoustans. Pour ceux qui refusent les deux principes -expulsion ou apartheid - et veulent sauver un principe ne serait-ce que minimal de démocratie, il y a alors une autre option: celle d'un État moins étendu dans lequel la présence palestinienne serait minime. Donc il ne resterait que l'hypothèse binationale qui, d'après vous, naîtrait de la crise structurelle de la société israélienne. Pourquoi ? La société israélienne est travaillée par un problème de démocratie. Loin d'être cet ensemble homogène qui avait été théorisé par les pères fondateurs, c'est un système complexe qui a dû faire ses comptes non seulement avec la présence arabe, qui se monte officiellement à 20% et, dans les formes illégales, rejoint même 35% de la population, mais aussi avec d'autres composantes et ethnies. Le concept d'Israël comme État des juifs s'effrite quand on considère, par exemple, qu'il y a un demi million de Russes qui ne sont pas juifs et qui ne se considèrent pas comme tels. Mais la complexité n'est-elle pas synonyme de démocratie ? Le problème concerne la faillite du melting pot, du «creuset». Les pères du sionisme pensaient à un État des juifs en termes d'État homogène. Ben Gourion croyait même en une forme d'homogénéité qui aurait amené tout le monde à avoir les mêmes caractères somatiques. Vous faites référence au «nouveau juif» ? Oui, blond avec les yeux bleus, laïc et libéral. Et en même temps, pourtant, Ben Gourion croyait que cinquante ans après sa fondation, l'État d'Israël aurait été encore faible et non reconnu par les autres États. Aucune des deux prévisions ne s'est avérée juste: Israël est une puissance et a un potentiel de défense et d'offensive considérable; de fait et de droit, il est reconnu par tous les autres États et mêmes par certains pays arabes. Et pourtant les célébrations du cinquantenaire ont été triomphales. Seulement vues de l'extérieur. À l'intérieur, la sensation d'échec était répandue, comme l'étaient les contrastes entre laïcs et orthodoxes, ashkénazes et séfarades, Russes et Marocains. J'insiste. Si la société israélienne vacille à cause de l'hétérogénéité de ses multiples composantes, si la présence arabe sur le territoire est si forte, pourquoi donc Israël devrait-il se plier à une solution binationale qui en annulerait la spécificité ? L'aspiration à un État juif - laïc, démocratique et libéral - est légitime, mais je reste convaincu qu'un tel État ne puisse pas s'inspirer d'un modèle ethnique; un modèle qui contient dans ses préliminaires le principe de quantité. Ça revient à dire que moi je devrais être continuellement obsédé par la comparaison entre le nombre d'enfants d'une famille palestinienne et celui d'une famille israélienne. On ne compte pas dans un État binational ? Dans un État de communautés, qu'on soit dans les 60% ou dans les 20%, ça n'a pas d'importance parce qu'on jouit de droits égaux et qu'on a un projet commun. La forme juridique pourrait être celle des États-Unis, avec une législation nationale qui se place à côté et intègre les lois de chaque État. Nombreux sont ceux qui soutiennent que le binationalisme juif a une forte composante identitaire, et pourtant vous soutenez, vous, que cette identité s'effrite progressivement. Qu'est-ce qui cimente alors le sentiment nationaliste ? Avant tout, dire qu'il n'y a pas une mais plusieurs identités juives. Fortes et plurielles. Aujourd'hui, face à une société mise en pièces comme la nôtre, le terrain de connexion et de consensus est représenté par l'état de guerre avec les Palestiniens. N'est-ce pas pareil pour les Palestiniens ? Non, pour les Palestiniens, l'identité vient de la forme de l'État. En Israël, c'est le contraire; il s'agit d'une création purement volontariste qui est née de la conviction qu'on aurait pu arriver à une société homogène, à travers l'existence de plusieurs communautés juives. Vous semblez donner pour perdu le projet sioniste. Ce projet a échoué, et une expression de cette faillite est une polarisation qui s'est créée ensuite au sein de la société israélienne. D'un côté se trouvent les vrais Israéliens qui représentent la partie moderne, libérale et globalisée de la société; ceux qui, pas par hasard, voudraient se débarrasser de toute une série d'institutions, comme la Jews Agency, nées dans la trace du sionisme. Et de l'autre côté, il y a les «Juifs», ceux qui gardent le plus de rapports avec la diaspora et qui se sentent menacés par les post-sionistes. Existe-t-il un antisémitisme de gauche ? Il existe un antisémitisme de racine chrétienne, auquel on a mis un silencieux ces cinquante dernières années, et qui a ré-explosé aujourd'hui. Ensuite, il existe un sentiment antijuif, souvent exagéré par les médias, qui se trouve dans les milieux musulmans les plus pauvres et marginalisés. Il s'agit, cependant, d'un sentiment, déplacé là, qui pourrait être dirigé contre n'importe quelle forme d'establishment; que ce soit le gouvernement, la police ou n'importe quelle institution. Quant à l'antisémitisme de gauche, c'est une invention produite par une véritable campagne de diffamation organisée cyniquement par les leaders des communautés juives. Dans quel but ? Détourner l'attention de la politique du gouvernement Sharon. Et les manifestants habillés en kamikazes ? Ce sont des petits groupes isolés et marginaux. Le mouvement anti-mondialisation est le meilleur allié des Juifs, et les leaders juifs sont en train de faire une erreur tragique en se solidarisant et en s'alliant avec les droites qui sont antisémites depuis toujours. Iaia Vantaggiato |
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