AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Uri Avnery 


N'en croyez pas un mot
 

Le discours de Weisglass a disputé l'attention des médias à l'histoire du « brancard » (une histoire qui révèle également les méthodes de Sharon).

Cela aurait pu être drôle si les résultats n'en avaient pas été pas aussi tragiques. Après s'être employés systématiquement à détruire l'Autorité nationale palestinienne, Sharon et ses généraux essaient maintenant d'écraser l'UNRWA.

Quand Ariel Sharon a annoncé son plan de « désengagement unilatéral », les médias ont annoncé que le camp de la paix allait lancer une grande campagne de soutien. Le bureau du Premier ministre lui a demandé de n'en rien faire, craignant qu'une telle campagne conduise l'extrême droite à s'opposer au plan.

La Paix Maintenant n'était pas le seul groupe « de gauche » à s'enthousiasmer pour ce plan. Les dirigeants du parti travailliste ont déclaré qu'en fait c'était leur propre plan et que, par conséquent, il était de leur devoir de rejoindre le gouvernement pour aider Sharon à le mettre en œuvre.

J'étais une des rares personnes à s'élever contre le plan. J'ai dit (http://www.gush-shalom.org/archives/article282.html) que c'était en fait un plan d'extrême droite pour annexer la plus grande partie de la Cisjordanie, enterrer le processus de paix et tromper l'opinion publique en Israël et à l'étranger.

J'étais sûr de cela parce que je connais Sharon. J'ai observé l'homme pendant 50 ans et écrit trois essais biographiques sur lui. Je sais ce qu'il pense et je sais comment il opère.

Aujourd'hui, Dov Weisglass a confirmé tout ce que j'ai dit, et au-delà. Dans une interview à Haaretz, il a déclaré que le seul but du plan était de « geler » le processus de paix. L'objectif réel du « désengagement » est de bloquer les négociations avec les Palestiniens pour des dizaines d'années et d'empêcher toute discussion sur la Cisjordanie, tout en continuant l'extension des colonies israéliennes de manière à mettre fin à toute possibilité d'édification d'un futur Etat palestinien.

Dov Weisglass n'est pas n'importe qui. Il fait penser à une « éminence grise », le Cardinal de Richelieu, le conseiller du roi de France il y a près de 400 ans. A l'époque on disait que c'était lui qui gouvernait réellement dans les coulisses.

Weisglass a été le conseiller juridique et un proche ami personnel de Sharon pendant des décennies. Il est l'émissaire spécial de Sharon pour les missions délicates, l'homme qui peut mener Condoleezza Rice par le bout du nez. Dans la ménagerie de Sharon, il est le renard.

Sa déclaration si franche met un point final à une tromperie. Elle a jeté la honte sur les âmes pures de La Paix Maintenant et les âmes moins pures de Shimon Peres & Co du parti travailliste, mais aussi sur George Bush et les autres dirigeants mondiaux qui avaient pris ce modèle de duplicité pour un plan de paix sérieux. (Le pauvre Colin Powell l'a même qualifié d'« historique ».)

***

Le discours de Weisglass a disputé l'attention des médias à l'histoire du « brancard » (une histoire qui révèle également les méthodes de Sharon). Cela aurait pu être drôle si les résultats n'en avaient pas été pas aussi tragiques.

Sharon veut détruire l'UNRWA, l'Agence spécialisée des Nations unies qui allège la misère des quatre millions de réfugiés palestiniens. C'est une grosse organisation de 25.000 employés comprenant des professeurs, des travailleurs sociaux et des médecins, Palestiniens bien sûr pour la plupart d'entre eux. Elle fournit aux réfugiés les services alimentaires, d'éducation, de santé et, en cas de besoin, un toit. Sans elle, les réfugiés auraient depuis longtemps sombré dans la faim et le désespoir. Actuellement, alors que notre armée détruit des quartiers entiers de Gaza et leur infrastructure, l'UNRWA fournit de la nourriture, des tentes et des soins médicaux aux Palestiniens nécessiteux, qui ne sont pas des réfugiés.

L'existence même de cette organisation contrarie Sharon et ses généraux, qui veulent briser la résistance des Palestiniens en faisant de leur vie un enfer. Après s'être employés systématiquement à détruire l'Autorité nationale palestinienne, ils essaient maintenant d'écraser l'UNRWA. Comme cela a été dit dans les médias, Sharon a donné l'ordre à ses généraux de fournir au service de propagande du ministère des Affaires étrangères des photos secrètes de l'armée prouvant que l'UNRWA coopère avec des « organisations terroristes ».

Le lendemain, toutes les chaînes de télévision israéliennes ont diffusé des photos aériennes montrant un lance-roquettes Qassam en train d'être chargé dans une ambulance de l'UNRWA. C'était le début d'une campagne virulente contre l'organisation. Des diplomates israéliens à New York ont demandé que le directeur danois de l'UNRWA, Peter Hansen, soit renvoyé.

Deux jours plus tard, tout s'est dégonflé. L'UNRWA a affirmé que l'homme sur la photo ne portait pas un lance-roquettes mais un brancard. Les généraux ont d'abord donné un démenti puis ils ont bafouillé, et enfin ils ont admis à contrecoeur que, peut-être, c'était une erreur déplorable : les analystes professionnels dans les services secrets de l'armée, des sergents subalternes et des sous-lieutenants, avaient peut-être mal interprété les photos.

Cette réponse mérite réflexion. Les analystes ont-ils menti ou croyaient-ils ce qu'ils disaient. Les deux hypothèses sont aussi graves l'une que l'autre.

Si les experts ont menti, ils n'ont rien fait d'exceptionnel. On peut dire qu'ils n'ont fait que ce que les gens des services secrets font partout dans le monde : fournir à leur patron les informations qu'ils veulent entendre. Bush veut attaquer l'Irak ? La CIA fournit une information sur les armes de destruction massive de Saddam. Sharon veut détruire l'UNRWA ? Les services secrets fournissent des photos des lance-roquettes de Hansen.

Il y a 50 ans, quand des correspondants étrangers m'interrogeaient sur la crédibilité des déclarations officielles des FDI, j'avais l'habitude de répondre que notre armée ne ment pas. On devait croire ses communiqués, sauf exception. Cette époque est révolue. Quand on me pose la même question aujourd'hui, je conseille de ne pas croire un seul mot des déclarations de l'armée, sauf exception.

Ainsi il n'y a rien d'étonnant à ce que les services secrets de l'armée mentent. Au cours des nombreuses comparutions devant le gouvernement et le comité des Affaires étrangères et de la sécurité de la Knesset, les chefs des services secrets propagent carrément des mensonges et de fausses affirmations. Il n'y a là rien de nouveau.

Mais il est aussi possible que les experts aient cru en la véracité de leurs informations. Et cela est encore plus effrayant.

Il n'est pas besoin d'être un expert pour voir que l'homme sur la photo ne porte pas un lance-roquettes. On ne porte pas un objet lourd dans une seule main comme la personne sur la photo. Il est clair que ce qu'elle porte est léger. Un deuxième regard montre qu'à l'évidence c'est vraiment un brancard. Il ressemble à un brancard et l'homme le porte comme un brancard. (« S'il marche comme un canard et crie comme un canard… »)

Si les experts ont fait une erreur, pourquoi est-ce si terrible ? C'est terrible parce que les forces aériennes tirent souvent sur des « équipes de lance-roquettes » identifiées comme telles par les mêmes analystes de photos, un verdict transmis en quelques secondes et qui provoque la mort en quelques secondes. Après quoi les porte-parole de l'armée annoncent fièrement qu'une nouvelle équipe meurtrière a été « éliminée ». Combien d'êtres humains, y compris des enfants, ont-ils été tués par cette sorte d'« identification certaine » ?

Pire encore, cette « erreur »-là invite pratiquement les soldats à tirer sur des ambulances transportant les blessés.

Je n'ai rencontré Peter Hansen qu'une fois à une conférence des Nations unies sur les réfugiés. Il m'a fait l'effet d'un homme honnête et qui a des principes. J'espère qu'il restera à son poste.

***

Un cas d'assassinat à la suite d'une « identification certaine » cette semaine aurait dû bouleverser le monde.

Imam Alhamas, une fillette de 13 ans de Rafah, était sur le chemin de l'école, suivant la même route que tous les jours. Soudain elle a été prise sous un feu mortel. Les médecins ont extrait 20 balles de son corps. Etant donné que les balles n'atteignent pas toutes leur cible mais seulement quelques-unes, on peut supposer qu'au moins cent balles ont été tirées sur elle à partir de plusieurs positions de l'armée - cent balles pour une petite fille. Dans son sac, on n'a trouvé que des livres scolaires.

Les porte-parole de l'armée ont émis la déclaration mensongère traditionnelle : la fillette était entrée dans une « zone interdite », les soldats l'ont prise pour une « terroriste », ont cru que son cartable contenait des explosifs, etc., etc.

Que s'est-il passé en réalité ?

L'explication la plus simple est que les soldats ont tiré comme s'ils étaient à un stand de tir pour se venger de la mort de deux enfants tués par une roquette Qassam dans la ville israélienne de Sderot. Mais c'est difficile à croire.

Une autre explication, non moins alarmante, est que les soldats sont en état de panique perpétuelle. J'ai vu personnellement des soldats paniqués tirant sur tout ce qui bouge. C'est peut-être ce qui est arrivé là également : la fillette a lancé son cartable et a commencé à fuir après un tir d'avertissement, et les soldats, au lieu de tirer sur le cartable, ont tiré sur elle.

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Le scepticisme des Israéliens envers les déclarations de l'appareil de sécurité a causé une autre tragédie cette semaine.

La veille du Nouvel An juif, le service de sécurité général a conseillé aux gens de ne pas aller dans le Sinaï pour raison de sécurité. Les gens ont manifesté leur incrédulité en y allant quand même. Malgré les avertissements répétés, des dizaines de milliers de personnes y ont passé la période de vacances juives. Ils croyaient que l'avertissement avait un motif politique et que, de toutes façons, si la menace avait été sérieuse, les autorités auraient fermé la frontière. Cette fois, pourtant, les avertissements étaient justifiés. Des dizaines de personnes ont été tuées et blessées dans des attentats.

Aucune organisation palestinienne n'aurait eu l'idée de provoquer le gouvernement égyptien. Donc il semble que quelque chose de nouveau se soit passé.

Nous avons averti de nombreuses fois que la jeune génération arabe et musulmane dans le monde ne resterait pas toujours à l'écart alors que la télévision présente quotidiennement des reportages qui montrent comment la nation arabe est humiliée. Ils considèrent l'apathie des gouvernements arabes et musulmans devant les événements dans les territoires palestiniens occupés comme une lâcheté humiliante et une trahison flagrante.

Le traitement infligé au peuple palestinien par Sharon et ses prédécesseurs a créé une situation explosive. L'invasion de l'Irak par Bush a allumé l'étincelle. Un mouvement de résistance arabo-musulman est en train de naître, une résistance qui ne voit aucune différence entre l'Irak et la Palestine, entre Israël, les Etats-Unis et les gouvernements arabes.

C'est, semble-t-il, le message de Taba.

Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush-Shalom le 9 octobre 2004 - Traduit de l'anglais "Don't Believe a word" : RM/SW

Source : France Palestine  http://www.france-palestine.org/article682.html

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