AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP |
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Ha'aretz Vendredi 16 janvier, l'ambassadeur d'Israël en Suède, Zvi Mazel, a été expulsé du musée des antiquités nationales de Stockholm après y avoir détruit une œuvre d'art, dans laquelle figurait la photo d'une Palestinienne auteur d'un attentat-suicide qui a tué 21 Israéliens dans un restaurant de Haïfa en octobre 2003. Immédiatement après le début de l'occupation, s'était répandu parmi les soldats qui inspectaient les autobus entre la Bande de Gaza et Israël - avant même de demander aux passagers à voir les «hawiyya» («identité», pour dire «carte d'identité») - un style de question à l'adresse du chauffeur: «Y a-t-il des Suédois?» (autrement dit: «Y a-t-il des Palestiniens?»). Dans la langue de tous les jours qui avait cours alors, avant la guerre de Kippour, il n'y avait rien de plus médiocre que les Arabes mis en déroute, et en particulier les Palestiniens, et il n'y avait pas de contraste plus grand qu'entre ceux-ci et les «Suédois», blonds, beaux, producteurs de Volvo. C'était le style méprisant des vainqueurs. L'incident au cours duquel l'ambassadeur d'Israël en Suède, Zvi Mazel, a endommagé une installation au musée de Stockholm, a réussi a faire comprendre aux Suédois combien nous sommes éloignés - pas «la situation», pas «la région», pas «le conflit», mais nous-mêmes - des notions de liberté d'expression artistique. L'ambassadeur a réussi à faire comprendre aux Suédois ce qu'il est parfois difficile, pour les artistes israéliens, d'expliquer à l'Occident: Israël est bien un État démocratique et, à certains égards, très démocratique, et même la liberté d'expression artistique y est protégée, peut-être, par un arrêt de la Cour Suprême, mais la Loi est un élément marginal dans l'atmosphère publique ambiante, et la notion de liberté d'expression artistique est, en Israël, très loin de ce qu'on connaît en Occident. La manière dont en septembre le Musée de Tel Aviv a retiré des œuvres de l'artiste David Wachstein - «par égard pour les sentiments des rescapés du génocide» - n'est pas tellement différente de ce qu'a fait là-bas l'ambassadeur. |
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Pendant toute la journée de samedi passé, alors que le milieu politique - qui pendant les jours de semaine s'empresse de réagir sur les ondes ouvertes de la radio et sur l'Internet - se reposait, les lecteurs des journaux sur l'Internet pouvaient apprendre ce qui s'était passé à Stockholm sans faire glisser l'incident dans le sens du «Malheur! On nous assassine!». Sur les sites de Ha'aretz et Y-Net [Yediot Aharonot], les internautes pouvaient lire le texte qui accompagnait l'installation de Dror Feiler et Gunilla Sköld. C'est un beau texte. Il n'a qu'un défaut: il viole le tabou israélien qui veut qu'on ne contemple pas le visage des terroristes-suicidaires. La violation de ce tabou a fait sauter les plombs chez l'ambassadeur d'Israël. Cependant, l'ambassadeur nous a livré le code de ce qui se passe ici, en Israël, pas là-bas, et qui ne diffère pas de ce temps où «La Reine de la baignoire» [pièce satirique de Hanoch Levin, qui visait le gouvernement de Golda Meir - note de la version anglaise] était retirée de la scène. Aujourd'hui, les théâtres font attention: ils n'offrent rien de vraiment politique. Ainsi aussi a eu lieu la «sanction contre Saramago» dont les dizaines de milliers de lecteurs ont boycotté le livre important: «Sur l'aveuglement». Et il y a encore de nombreux exemples. |
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Samedi soir, à la fin du shabbat, lorsque le monde politique s'est remis en branle, nous avons commencé à recevoir la fière réaction à cet incident embarrassant. Soutien plein et entier à l'ambassadeur de la part du Ministre des Affaires étrangères et de Ehoud Barak, et hier, également de la part du chef du gouvernement. Barak s'est empressé de mettre des guillemets à l'expression «œuvre d'art». D'où cela lui venait-il? Que sait-il du jugement esthétique? Pourtant, laissons de côté le style de Barak qui sait toujours tout, d'avance et après coup. C'est le procédé israélien: Dieu nous garde de toucher à la liberté artistique, mais ça, ce n'est pas de l'art, il lui est interdit d'être de l'art, car nous ne sommes pas contre l'art, alors il nous faut trouver dare-dare un critique d'art qui nous dira que cela n'est pas de l'art. Qu'en est-il du musée de Stockholm qui a jugé, lui, qu'il s'agissait d'une œuvre d'art? Eh bien, il nous a durement porté atteinte, alors il n'est pas habilité à décider ce qui est une œuvre d'art, et puis il est probablement antisémite, ou pro-palestinien. Les conceptions des Israéliens sur la culture ne portent pas sur «quelque chose qui se situe hors de moi, et moi, j'apprends à vivre avec les différentes nuances qui s'y trouvent» mais la culture y est «quelque chose dont je dois faire partie», autrement dit «elle doit faire partie de moi»: la culture et moi ne faisons qu'un. Et lorsque je ne peux pas faire partie d'une culture qui est à l'écoute aussi des souffrances de cette même terroriste suicidaire («Maudite, méprisable, odieuse, fille de Satan»), il faut anéantir sa représentation artistique, que ce soit à l'aide de guillemets redoublés à la façon de Barak, ou par l'entremise de l'ambassadeur, du Ministre des Affaires étrangères ou du chef du gouvernement. L'ardent désir israélien d'être, d'un côté, «européen» ou «occidental», sur fond de la guerre cruelle qui a lieu ici, et d'un autre côté, de s'enfermer dans un monde d'images qui ne mettra pas en danger - fût-ce même un instant - ce qui «va de soi» pour nous, constitue la pire caractéristique de ces trois dernières années. Ici, nous avons perdu la guerre. Nous avons appris non seulement à vivre dans la peur, mais aussi dans la diabolisation complète de l'autre côté, et en nous enveloppant dans un deuil croissant, comme la victime exclusive. Au sein de cette diabolisation et de l'interminable travail de deuil qui reposent sur le rejet total de toute discussion rationnelle et sur un système fixe, permanent, ressassé, d'images et au sein de ce système lui-même, qui ne cesse de se rétracter, notre vie culturelle devient de plus en plus pauvre, sans lien avec la situation économique. La violence de l'ambassadeur d'Israël en Suède n'est pas une occasion pour les Suédois de porter un regard sur nous, mais une occasion pour nous - précisément parce que l'affaire s'est produite sur la scène européenne, cette scène dont nous aspirons tellement à faire partie - de jeter un instant un regard sur notre conception de la tolérance, vraie et fausse. Yitzhak Laor Traduit de l'hébreu et de
l'anglais par Michel Ghys |
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