La valise diplomatique Article
paru le 25 juin 2009
Atermoiements de l’Union européenne
face à Israël
Fin avril, à Luxembourg, le conseil
des affaires générales et relations extérieures de l’Union européenne (UE) a
préféré attendre avant de renforcer les relations de l’Europe avec Israël.
Décidée durant la présidence française de l’Union européenne le 8 décembre
2008, la mise en chantier de ce « rehaussement » a été de facto
interrompue à l’issue de l’offensive meurtrière israélienne contre la bande
de Gaza de décembre et janvier derniers. De nouveau, le 15 juin 2009, le
conseil – en marge duquel se tenait la neuvième session du conseil
d’association entre l’UE et Israël- a réaffirmé cette orientation. Ce choix
marque-t-il seulement une pause conjoncturelle dans l’approfondissement des
relations entre Bruxelles et Tel-Aviv, ou esquisse-t-il un réel tournant de
la politique européenne au Proche-Orient ?
Déjà, dans une communication au
Parlement européen et au Conseil le 23 avril 2009, trois mois après la
fin de l’assaut israélien et quelques semaines après l’investiture du
gouvernement de M. Benyamin Netanyahou, l’un des plus marqués à
l’extrême droite de l’histoire d’Israël, la Commission européenne, pourtant
activement engagée dans le rapprochement euro-israélien, notait : « Tout
réexamen des relations bilatérales UE-Israël, notamment dans le cadre du plan
d’action de la PEV [politique européenne de voisinage], doit tenir
compte de la persistance du conflit israélo-arabe et de l’ensemble des
développements politiques au Proche-Orient. La poursuite, voire l’extension
accélérée des colonies de peuplement en 2008 ont eu une incidence négative
tant sur le processus de paix que sur la liberté de circulation des
Palestiniens et l’économie palestinienne. Cette situation a encore été
aggravée par l’absence de progrès sur plusieurs engagements souscrits dans le
cadre du plan d’action, comme la facilitation des échanges commerciaux
palestiniens (1). » Et le rapport de citer
également l’aggravation de la situation de la population palestinienne, « déjà
en situation de paupérisation avant l’offensive militaire en raison du blocus
complet de la bande de Gaza », et un contexte politique envenimé du fait
de l’opération « Plomb durci (2) ».
Cette position d’attente suscite
cependant des réticences. La République tchèque, qui a exercé la présidence
tournante de l’Union européenne jusqu’au 30 juin, ne faisait guère
mystère de sa volonté d’accroître les relations et les échanges des
Vingt-Sept avec Israël. Le premier ministre tchèque (démissionnaire) Mirek
Topolánek affirmait, dans un entretien accordé le 26 avril au quotidien
israélien Haaretz, que « le processus de paix ne doit pas être
lié aux relations entre l’UE et Israël (3) ».
Il réagissait aux propos de la
commissaire européenne aux relations extérieures, Mme Benita
Ferrero-Waldner, qui avait déclaré : « Nous pensons que de
bonnes relations avec Israël sont essentielles (...) mais nous ne
pensons cependant pas que le moment soit venu pour aller au-delà du niveau
actuel des relations. (...) Nous attendons un engagement clair de la
part du nouveau gouvernement israélien sur la poursuite des négociations avec
les Palestiniens. (...) Nous attendons un arrêt de toutes les actions
qui sapent notre objectif d’une solution à deux Etats (4). »
Toutefois, les ministres européens des
affaires étrangères, réunis le 27 avril, n’ont pas suivi la présidence
tchèque. Alors que Stockholm s’apprêtait à assurer la présidence de l’Union,
le chef de la diplomatie suédoise, M. Carl Bildt, précisait que
l’approfondissement des relations avec Tel-Aviv n’était qu’une « option ».
Quant à M. Bruno Le Maire, alors secrétaire d’Etat français aux affaires
européennes, il considère qu’il est « dans l’intérêt de l’UE de
développer ses relations avec Israël », mais admettait que le « bon
sens » oblige l’Europe à « attendre la fin de l’examen
politique [israélien] et les grandes lignes politiques qui sortiront
de cet examen avant de prendre une quelconque décision nouvelle (5) ».
Tel-Aviv ne s’y est pas trompé, qui a
immédiatement réagi, menaçant l’Union européenne de la tenir à l’écart du
processus de paix. Les dirigeants israéliens rejettent toute pression sur
leur politique, pression qui pourrait aboutir à la mise en cause des
conditions économiques particulièrement avantageuses dont Israël bénéficie
dans ses relations avec son principal partenaire commercial.
Israël est à l’origine de la demande
d’approfondissement, en 2007. Le 16 juin 2008, le huitième conseil
d’association entre l’UE et Israël lui a répondu favorablement. Suscitant une
vive critique de M. Francis Wurtz, alors président du groupe de la
Gauche unitaire européenne - Gauche verte nordique (GUE-GVN) du Parlement
européen, tant sur le fond que sur la méthode et l’absence de transparence de
ce processus. Le texte du conseil, qui précise que les intérêts et objectifs
communs des parties incluent « notamment la résolution du conflit
israélo-palestinien par la mise en œuvre de la solution à deux Etats (6) », prévoit le renforcement des
relations politiques, stratégiques, de sécurité et de défense, économiques,
commerciales, scientifiques et technologiques...
Six mois plus tard, le 3 décembre
2008, les parlementaires européens tirent la sonnette d’alarme. Appelé à se
prononcer pour « avis conforme » sur la participation renforcée
d’Israël aux programmes et agences communautaires, le Parlement décide de
reporter sa décision, sur proposition du groupe GUE-GVN soutenu par les Verts
-Alliance libre européenne (ALE) (7). Mme Véronique De Keyser (PS, Belge), l’explique
« essentiellement (...) parce que la situation à Gaza est
devenue insoutenable (8) ». Elle précise : « Nous
tendons la main à Israël mais nous ne renoncerons pas au socle des valeurs
sur lesquelles est bâtie l’Union européenne. La balle est aujourd’hui dans le
camp d’Israël. » M. Jean-Pierre Jouyet, , alors secrétaire
d’Etat français chargé des affaires européennes, défend le projet de
rehaussement des relations bilatérales : le conseil fait le pari,
explique-t-il, que le renforcement permettrait de mieux faire passer auprès
d’Israël les messages de l’Union européenne — une idée que l’expérience dément
depuis des années.
Le conseil des affaires étrangères et
des affaires générales néglige les préoccupations des parlementaires. Le
8 décembre, alors que la France assure la présidence de l’UE,
M. Bernard Kouchner, ministre français des affaires étrangères, emporte
la décision de ses partenaires européens : le conseil se dit déterminé à
renforcer ses relations avec Israël, dès avril 2009. En dépit pourtant
des graves violations par Tel-Aviv du droit humanitaire, singulièrement dans
la bande de Gaza, et des engagements pris un an plus tôt à Annapolis.
Pour le conseil, cette coopération
doit être « fondée sur les valeurs communes des deux parties, et en
particulier sur la démocratie, le respect pour les droits humains, l’état de
droit et les libertés fondamentales, la bonne gouvernance et le droit
humanitaire international (9) ». Il rappelle la nécessité
d’une solution « basée sur la coexistence de deux Etats ».
L’annexe des conclusions du conseil définit des lignes directrices pour
renforcer les structures de dialogue politique avec Israël. Des réunions au
plus haut niveau sont prévues ou envisagées, entre chefs d’Etat et de
gouvernement de l’Union et d’Israël ou entre ministres des affaires
étrangères ; sont également planifiées des consultations informelles sur
les questions stratégiques, l’invitation de responsables du ministère des
affaires étrangères israélien à des réunions sur la politique de sécurité de
l’UE ainsi qu’aux comités intervenant sur le processus de paix, la lutte
contre le terrorisme, les droits humains. Une coopération devrait se
développer aussi en matière de défense et de sécurité.
Le texte engage également à
intensifier le dialogue interparlementaire. Qui plus est, les Etats membres
concernés de l’UE examineront la possibilité d’une participation israélienne plus
importante au groupe des Etats d’Europe occidentale et autres (Western
European and Other Groups, WEOG) dans le cadre des Nations unies.
Certes, ce rehaussement des relations
bilatérales a été de facto gelé, fin avril 2009. Mais cela n’empêche pas
une coopération étroite de se poursuivre, tant sur le plan économique et
commercial qu’aux niveaux politique et même stratégique ; en témoignent
l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, issu du processus
de Barcelone de 1995 et entré en vigueur en 2000, ou le « plan
d’action » adopté en avril 2005 (dans le cadre de la politique
européenne de voisinage) pour une période de trois ans et qui été reconduit.
Il s’accompagne d’une coopération institutionnelle. Les liens privilégiés
concernent nombre de domaines (10) : marché des produits agricoles et de la
pêche, transport aérien, compétitivité et innovation... La coopération dans
la « lutte contre le terrorisme » a également continué à
progresser.
Lors de sa réunion du 15 Juin
2009, le conseil des affaires générales et relations extérieures de l’Union
européenne précise l’orientation de sa politique au Proche-Orient,
singulièrement vis-à-vis du conflit israélo-palestinien (11).
C’est ainsi que l’Union
européenne (12) dit rester
attachée « à un règlement global du conflit arabo-israélien, sur la base
des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, des termes de
référence de la conférence de Madrid, y compris la terre contre la paix, la
feuille de route, les accords précédemment conclus par les parties et
l’Initiative de paix arabe. » Le Conseil réaffirme son attachement « à
la solution des deux Etats avec un Etat palestinien indépendant,
démocratique, continu et viable, comprenant la Cisjordanie et la bande de
Gaza, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité avec l’État
d’Israël » et confirme son opinion selon laquelle « cela
constitue un intérêt européen fondamental » et « une étape
urgente et indispensable vers un Moyen-Orient plus stable et plus
pacifique. »
Dans ce contexte, se félicitant de
l’engagement de l’administration américaine « à encourager résolument
une solution à deux États et une paix globale au Moyen-Orient »,
l’Union confirme également sa disponibilité à travailler « avec les
États-Unis et autres membres du Quartette pour atteindre cet objectif »
et se dit « prête à contribuer de manière substantielle aux
dispositions post-conflit qui viseront à assurer la viabilité des accords de
paix », incluant ses dimensions régionales économiques et de
sécurité. Aussi le conseil fait-il part de ses préoccupations concernant,
notamment, la colonisation des territoires palestiniens occupés, y compris
Jérusalem-Est, et la situation de la bande de Gaza pour laquelle elle demande
entre autres la réouverture sans condition des points de passage pour l’aide
humanitaire, les marchandises et les personnes, ainsi que l’arrêt de toutes
les formes de violence.
Pour autant, appelant le gouvernement
d’Israël à s’engager de manière non équivoque dans la solution des deux
Etats, l’Union européenne se félicite de l’annonce faite par le premier ministre
israélien, M. Benyamin Netanyahou, au sujet de son engagement possible
dans un processus de paix qui comprendrait l’établissement d’un Etat
palestinien. Ce qu’elle considère comme une première étape, en dépit du refus
du gouvernement israélien de cesser la colonisation et de reconnaître la
nécessité d’une solution fondée sur le droit international, qu’il s’agisse
des frontières, de Jérusalem-Est, des réfugiés palestiniens ou de la
souveraineté d’un hypothétique Etat palestinien.
Le Conseil d’association le
précise : organisé peu après la formation du nouveau gouvernement
israélien, il « confirme la grande importance que l’Union européenne
attache à ses relations avec Israël et sa disponibilité à continuer le
renforcement de [notre] partenariat bilatéral ». Il souligne
de nouveau que celui-ci « doit être fondé sur les valeurs communes
aux deux parties, et notamment sur la démocratie et le respect des droits
humains, la primauté du droit (rule of law) et des libertés
fondamentales, la bonne gouvernance et le droit international
humanitaire. » En jeu, donc : « la résolution du
conflit israélo-palestinien par la mise en œuvre de la solution à deux États,
la promotion de la paix, de la prospérité et de la stabilité au Moyen-Orient
et la recherche de réponses communes aux défis qui pourraient les mettre en
péril. »
Si l’Union européenne propose « à
ce stade » que l’actuel plan d’action reste le document de référence
pour les relations euro-israéliennes « jusqu’à ce que le nouvel
instrument soit adopté », le texte de ce 15 juin rappelle
cependant qu’Israël demeure l’un principaux partenaires commerciaux de l’UE
dans la zone méditerranéenne (avec un total des échanges s’élevant à environ
25,3 millions d’euros en 2008) et qu’une série de négociations bilatérales
(entre autres économiques) se sont poursuivies en 2008 et 2009…
Un diplomate palestinien l’avait noté
depuis longtemps : face à des Etats qui violent le droit international,
coexistent deux stratégies bien différentes. L’une consiste à menacer du
bâton, voire à en user. L’autre à promettre une carotte supplémentaire pour
récompenser ou encourager des progrès, fussent-ils incomplets ou temporaires.
L’ajournement de la mise en œuvre du renforcement des relations avec Israël
se limitera-t-il à ce second scénario ?
Mme Nathalie Goulet, sénatrice
(Union pour un mouvement populaire, UMP), rappelle que, « selon les
termes de l’accord de partenariat euro-méditerranéen, les Etats participants
s’engagent à se conformer aux normes de droit international. Notamment, ils
sont tenus “d’agir en conformité avec la Charte des Nations unies et la
Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi qu’aux autres
obligations résultant du droit international (...). Les partenaires
doivent également respecter l’intégrité territoriale et l’unité de chacun des
autres partenaires et régler leurs différends par des moyens pacifiques (13)” ». Pour la sénatrice, cette
proposition d’approfondissement des relations avec Israël, « totalement
inacceptable début décembre 2008, est encore moins défendable après les
massacres de Gaza fin décembre 2008 et en janvier 2009 ».
Elle prône le gel de tout processus de rehaussement et la suspension de
l’accord de partenariat. C’est aussi ce que proposent en France et en Europe
nombre d’associations et d’organisations non gouvernementales engagées en
faveur d’une paix fondée sur le droit entre Palestiniens et Israéliens ainsi
que plusieurs eurodéputés. Au fond, souligne Mme Goulet, si « le
processus politique de résolution du conflit a échoué », c’est « faute
d’une volonté forte de la communauté internationale, particulièrement des
Etats-Unis, de peser en faveur du dialogue et de la reconnaissance effective
des deux peuples à vivre en paix ».
Alors que le gouvernement de
M. Netanyahou réaffirme son intransigeance en refusant les principes
mêmes du droit comme fondement de la résolution du conflit (en premier lieu
la création d’un Etat palestinien) et poursuit la politique de ses
prédécesseurs, l’Europe peut-elle se contenter d’une position
d’attente ? Elle a déjà, dans l’histoire récente, imposé des sanctions à
Israël pour conduire son gouvernement à permettre l’exportation des produits
agricoles palestiniens ; ou à rouvrir, pendant la première Intifada
(1987-1993), les universités palestiniennes. Avec succès. Le 10 avril
2002, après l’offensive israélienne « Rempart », le Parlement
européen a voté une proposition de résolution demandant la suspension de
l’accord d’association, mais s’est heurté au refus du Conseil de l’Union.
L’accord précise pourtant dès son article 2 que « les relations
entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se
fondent sur le respect des principes démocratiques et des droits de l’homme
fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (...) ».
L’article 79 indique pour sa part : « Si une partie
considère que l’autre partie n’a pas satisfait à une obligation découlant du
présent accord, elle peut prendre les mesures appropriées. (...) »
L’UE a joué un rôle important au
Proche-Orient : elle a reconnu l’Organisation de libération de la
Palestine, alors que Washington et Tel-Aviv considéraient cette organisation
comme « terroriste », ouvrant la voie aux négociations de paix.
Elle a prôné la création d’un Etat palestinien, avant que les Etats-Unis se
rallient à l’idée. Elle peut, à nouveau, peser en allant au-delà de simples
appels au respect du droit international.
Isabelle
Avran
(1) Communication de la commission au
Parlement européen et au Conseil, « Mise en œuvre de la politique
européenne de voisinage en 2008 », Bruxelles, 23 avril 2009,
COM (2009) 188.
(2) Nom de l’opération menée par
l’armée israélienne en décembre 2008 - janvier 2009.
(3) Cité par l’Agence France-Presse
(AFP), 27 avril 2009.
(4) AFP, 24 avril 2009.
(5) Cette citation et celle de
M. Bildt sont reprises par l’AFP, 27 avril 2009.
(6) Conseil d’association entre
l’Union européenne et Israël, « EU
statement. Eighth meeting of
the UE-Israel association council », Luxembourg, 16 juin 2008.
(7) Il s’agit en fait d’une demande du
groupe GUE-GVN tendant à reporter à une date ultérieure le vote sur le rapport
De Keyser sur la participation de l’Etat d’Israël aux programmes
communautaires (A6-0436/2008) (point 9 du PDOJ) ainsi que le vote sur
les propositions de résolution déposées en clôture du débat sur le même sujet
(point 10 du PDOJ, cf. Journal officiel de l’Union européenne).
(8) Voir le débat intégral sur
le site du Parlement européen.
(9) « Council conclusions strengthening
of the EU bilateral relations with its Mediterranean partners — upgrade with
Israel ».
(10) Cf.
European Neighbourhood Policy. Israël. Mémo/09/185, Bruxelles,
23 avril 2009. Voir la
communication de la Commission au Parlement et au conseil d’application de la
politique européenne de voisinage en 2008 (23 avril 2009) et le rapport
concernant Israël.
(11) Council of the European Union, Luxembourg,
15 juin 2009, 11057/09 ; et Annex I, ninth Meeting of the EU-Israel
Association Council
(PDF) (Luxembourg, 15 juin 2009), Statement of the European Union.
(12) Annex
1 (PDF), op.cit.
(13) « Proposition de résolution européenne
sur les relations entre l’Union européenne et l’Etat d’Israël »,
présentée par Mme Nathalie Goulet, sénateur », enregistrée à la
présidence du Sénat le 23 avril 2009.
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-06-25-UE-Israel
|