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Impunité, responsabilité et solidarité internationale http://www.gauche-anticapitaliste.ch/?p=1451
Omar
Barghouti, Université d’été du NPA, Port-Leucate, 23 août 2009 Traduction de l’anglais : JS Simone de Beauvoir nous a
un jour avertis que les oppresseurs ont intérêt à ce que seule la conscience
des opprimés soit modifiée, et non la situation qui les opprime. Les
oppresseurs, que ce soient les multinationales qui extorquent les ressources
des nations les plus faibles, les capitalistes qui exploitent les
travailleurs, ou les colons qui mettent en esclavage les populations
indigènes ou qui ont recours au nettoyage ethnique, tous les oppresseurs ont
un trait commun : ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour
conserver leur situation de domination et leurs privilèges, quitte à fouler
aux pieds tout droit et tout principe. Les opprimés, dans leur
combat pour l’émancipation, l’égalité et la réaffirmation de leur humanité,
doivent se donner pour objectif de mettre un terme aux conditions mêmes de
l’oppression et de changer les rapports d’oppression d’une manière qui
permettra à chacun de recouvrer son humanité, comme le souligne le Brésilien
Paulo Freire. Après la chute de
l’Apartheid en Afrique du Sud, Nelson Mandela disait : « Nous ne
savons que trop bien que notre liberté demeurera incomplète sans la liberté
des Palestiniens ». De même, le mouvement pour la liberté et les droits
des Palestiniens doit être partie intégrante du mouvement social
international qui combat l’oppression partout dans le monde et jette les
fondations d’un monde digne, débarrassé de toute forme d’exploitation ;
ce combat inclut les luttes syndicales en France pour les droits des
travailleurs ; les luttes des communautés immigrées dans toute l’Europe
contre le racisme et pour l’égalité des droits ; les luttes des paysans
pour défendre leur cadre de vie contre l’hégémonie de l’agriculture
industrielle ; les luttes des femmes pour une égalité totale et
réelle ; les luttes des étudiants, des artistes, des enseignants, des
salariés des services publics pour une démocratie et un progrès social et
économique authentiques. Dans un monde où la
doctrine du « choc des civilisations » se déploie telle une
prophétie auto-réalisatrice, revendiquer notre humanité commune est d’une
importance et d’une urgence sans précédent. Il est aujourd’hui plus que
jamais crucial que nous prenions conscience de notre intérêt commun, nous les
peuples du monde, à résister ensemble face à l’empire et à imposer le règne
du droit international, et non de la loi de la jungle que les gouvernements
occidentaux essaient de répandre. Le 9 juillet dernier, nous
célébrions le 5ème anniversaire de la condamnation, par la Cour
Internationale de Justice, du Mur d’Apartheid construit par Israël, une
preuve vivante de la faillite évidente de la communauté internationale à
exiger d’Israël qu’il se conforme au droit international. Le 9 juillet, la
société civile palestinienne a également célébré le 4ème
anniversaire de l’appel au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions,
BDS, contre Israël, et ce jusqu’à ce qu’Israël respecte ses obligations au
regard du droit international et respecte les droits des Palestiniens. La nécessité que la
société civile à l’échelle internationale adopte le mot d’ordre du BDS est
aujourd’hui patente, tout particulièrement à la lumière du massacre commis
par Israël à Gaza et de l’élection d’un gouvernement de droite, raciste et
fanatique en Israël. Les odieux crimes de
guerre et crimes contre l’humanité commis par Israël durant sa guerre
d’agression contre les 1.5 millions de Palestiniens de la Bande de Gaza,
toujours occupée, et le blocus inhumain et génocidaire avant et après le
massacre, ont joué un rôle significatif pour attirer l’attention de la
société civile internationale quant au statut d’Israël, un Etat paria qui bénéficie
d’une totale impunité. Au-delà de la situation à
Gaza, la société civile palestinienne et un nombre croissant d’influents
défenseurs des droits humains reconnaissent que le régime imposé par Israël
au peuple indigène de Palestine est un régime d’occupation, de colonisation
et d’apartheid. Plus spécifiquement, l’oppression israélienne se décline
depuis plusieurs décennies en 3 principaux points qui sont au cœur de l’appel
BDS : 1)
L’occupation coloniale prolongée de Gaza et de la Cisjordanie, y
compris Jérusalem-est, et d’autres territoires arabes. 2)
Le système légalisé et institutionnalisé de discrimination contre les
Palestiniens, qui est la variante israélienne de l’Apartheid. 3)
La négation persistante des droits, reconnus par l’ONU, des réfugiés
palestiniens, le plus important desquels étant leur droit aux réparations et
leur droit au retour dans leurs foyers d’origine, conformément à la
résolution 194 de l’ONU. La fin de ces 3
oppressions est la condition minimale pour envisager d’obtenir une paix juste
dans notre région, dans la mesure où elle permettrait l’exercice, par les
Palestiniens, de leur droit à l’autodétermination. La plus importante de ces
3 injustices est évidemment la 3ème, la négation par Israël du
droit au retour des réfugiés palestiniens. L’essence même de la question
palestinienne a toujours été le sort des réfugiés victimes du nettoyage
ethnique perpétré par les milices et bandes armées sionistes, puis par l’Etat
d’Israël lors de la Naqba (1948) et sans discontinuer depuis. Malgré tout, en proie à
une culpabilité compréhensible quant à l’holocauste, incapable ou ne voulant
pas reconnaître la différence fondamentale entre, d’un côté, l’opposition au
sionisme et aux violations israéliennes du droit international et, de
l’autre, les discriminations contre les Juifs, l’establishment occidental n’a
jamais adopté aucune mesure visant à mettre Israël devant ses
responsabilités. Au contraire, l’Europe a
continué d’exiger des Palestiniens qu’ils acceptent de payer de leur terre et
de leurs droits le prix d’un génocide européen dans lequel les Arabes de
Palestine n’ont joué aucun rôle. L’attitude la plus morale
et la plus fondée politiquement, pour la société civile internationale, si
elle veut contribuer à faire triompher le droit international et les droits
humains au Moyen-Orient, est d’adopter une position éthiquement juste et
politiquement efficace en organisant des initiatives BDS contre Israël, à
l’image de celles qui avaient été organisées contre l’Afrique du Sud de
l’Apartheid. Que demande précisément l’appel BDS ? Les organisations
représentatives de la société civile, les partis politiques et les syndicats,
représentant la majorité des Palestiniens, que ce soient ceux des territoires
occupés, ceux d’Israël ou ceux de la diaspora, soutiennent le BDS depuis
juillet 2005. Nous demandons au monde entier de boycotter Israël, ses
institutions et ses entreprises, et aussi de retirer leurs investissements
dans les entreprises qui bénéficient de l’apartheid, de l’occupation ou de la
négation des droits des réfugiés. Les institutions
culturelles et universitaires jouent un rôle clé au sein de l’appareil
d’oppression israélien. Les Universités israéliennes sont des lieux centraux
dans la conception, l’application, la justification et le blanchiment d’une
oppression aux multiples facettes. Contrairement au mythe selon lequel les
institutions universitaires israéliennes seraient à l’avant-garde de la lutte
contre l’occupation, aucune université israélienne, aucun centre de
recherche, aucun syndicat universitaire n’a jamais condamné l’occupation, et
ne parlons même pas de demander la fin de l’apartheid ou de reconnaître les
droits de nos réfugiés. La plupart des universitaires israéliens sont même
des réservistes de l’armée d’occupation. Lors du boycott contre
l’Afrique du Sud, toutes les institutions du régime d’Apartheid ont été
boycottées : institutions culturelles, sportives, universitaires,
économiques… Nous demandons que les mêmes mesures soient appliquées à
l’apartheid israélien. Mais le boycott n’est-il pas contre-productif dans la mesure où il
touche aussi les Palestiniens ? C’est à nous,
Palestiniens, de décider. Nous apprécions votre solidarité, mais nous sommes
assez matures pour décider de ce qui est en notre intérêt. Oui, le boycott a
un prix pour nous, mais il est évident que notre société, dans sa grande
majorité, est prête à payer ce prix afin de mettre un terme à l’oppression
israélienne. Le BDS peut-il être efficace face à un pays aussi puissant
qu’Israël ? Un examen rapide des plus
récents succès de la campagne BDS nous prouve que non seulement le BDS peut
fonctionner, mais qu’en réalité il fonctionne déjà plutôt bien. En seulement
4 ans, le mouvement BDS contre Israël a obtenu plus de résultats que nos
camarades d’Afrique du Sud n’en avaient obtenus durant les 20 premières
années de leur campagne. Nous avons désormais le soutien d’importants
syndicats, de l’Afrique du Sud à la Grande-Bretagne, en passant par le Canada
et plusieurs pays européens, y compris la France et l’Italie. D’importantes
personnalités du milieu artistique, en Occident, ont déclaré leur soutien au
boycott ou ont adhéré à notre appel en boycottant Israël sans nécessairement
se déclarer ouvertement en faveur du boycott. L’indicateur le plus
révélateur de notre succès est peut-être la déclaration d’Howard Kohr,
dirigeant de l’AIPAC [principal lobby pro-Israël aux Etats-Unis] lors de leur
conférence annuelle en mai dernier : « Cette campagne n’est plus
seulement l’apanage de l’extrême-gauche ou de l’extrême-droite, elle pénètre
de plus en plus les courants dominants aux Etats-Unis ». Mais au final, tout boycott d’Israël n’est-il pas par définition
antisémite ? En vérité, c’est cette
accusation qui est elle-même antisémite, dans la mesure où elle sous-entend
que toute opposition au sionisme en tant qu’idéologie coloniale et raciste,
toute critique d’Israël ou toute action contre sa politique d’oppression
serait par définition une attaque contre tous les Juifs, comme si tous les
Juifs soutenaient, en bloc, Israël, et étaient collectivement responsables de
sa politique. C’est ce présupposé qui la définition même de
l’antisémitisme ! Notre mouvement repose sur
des principes universels et progressistes, nous rejetons toute forme de
racisme, y compris l’antisémitisme et l’islamophobie. Nous appelons au
boycott d’Israël non parce que la majorité des Israéliens sont juifs mais
parce qu’Israël est un Etat colonial et un Etat d’apartheid. S’il s’agissait d’un Etat
chrétien, hindou ou musulman, il n’y aurait pas de différence. Aussi
longtemps qu’Israël nous opprimera et violera nos droits fondamentaux, nous
continuerons à résister par tous les moyens nécessaires, y compris le BDS. En outre, un nombre de
plus en plus élevé d’organisations juives rejoint, aux 4 coins du monde, le
mouvement BDS. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, aux Pays-Bas,
et même en Israël, un nombre croissant d’organisations juives et
d’intellectuels reconnus en sont arrivés à la conclusion qu’aucune paix juste
ne sera atteinte sans une campagne BDS effective, durable et déterminée
contre Israël. Aujourd’hui, malgré nos
profondes angoisses et les injustices atroces que nous subissons, les
Palestiniens ont toutes les raisons d’espérer que le droit l’emportera
finalement sur la force. Le mouvement BDS représente non seulement une forme
de résistance non-violente, progressiste, antiraciste, juste et efficace,
mais offre aussi l’opportunité de devenir le catalyseur politique et la
boussole éthique pour un mouvement social international renforcé et revigoré,
capable de rétablir la primauté du droit international et de réaffirmer le
droit de tout être humain à la liberté, l’égalité et la dignité. Après celle de l’Afrique
du Sud, l’heure de la Palestine a enfin sonné. |