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Cisjordanie : campagne pour le boycottage des produits des colonies Ramallah
Envoyé spécial Depuis
quelques semaines, un index inquisiteur poursuit les habitants des grandes
villes de Cisjordanie. "Ne
laisse pas rentrer les colonies dans ta maison", clame le
slogan de l'affichette placardée sur les murs. L'injonction renvoie à la
campagne de boycottage des produits des implantations juives que mène depuis
quelques mois l'Autorité palestinienne. Parallèlement
à son plan visant à établir les fondations d'un Etat de fait susceptible
d'être proclamé à l'été, le premier ministre Salam Fayyad a décidé de mettre
en oeuvre une loi votée en 2005, restée lettre morte, qui prohibe la vente
dans les territoires occupés de marchandises fabriquées dans les zones
industrielles adossées aux colonies de Cisjordanie. "Nous nous engageons à débarrasser
le marché palestinien de tous ces produits d'ici à la fin de l'année",
martèle le chef du gouvernement, pas fâché de prendre à contre-pied ses
adversaires, qui ne voient en lui qu'un technocrate aux ordres de Washington. Du coup,
les douanes palestiniennes ont accru leur surveillance à l'entrée des grandes
villes. Des barrages volants surgissent sur les itinéraires détournés
qu'empruntent certains camions de livraison. La tâche est immense. La liste
noire dressée par le ministère de l'économie palestinien ne compte pas moins
de 2 000 articles différents. "RESSOURCES
DÉTOURNÉES" Des
fruits et légumes cultivés dans les kibboutz de la vallée du Jourdain aux
masques antirides de la société Ahava à base de boues de la mer Morte, en
passant par les Jacuzzi de l'entreprise Lipski, installée dans la zone
industrielle de Barkan. "Le
chiffre d'affaires dégagé par la commercialisation de ces produits en
Palestine avoisine les 200 millions de dollars par an",
assure Omar Kaba, chef de l'unité de protection des consommateurs au
ministère de l'économie. Chaque
jour, les agents placés sous ses ordres inspectent les rayonnages et les
étals des marchands de Cisjordanie. L'emballage est souvent trompeur. Pour
déjouer la vigilance des Palestiniens et échapper du même coup aux taxes des
Européens (qui excluent les produits des colonies de l'accord de libre-échange
négocié avec Israël), les patrons colons n'hésitent pas à domicilier à
Tel-Aviv leurs entreprises de Cisjordanie. A malin,
malin et demi. "Une
fois, je suis entré dans une zone industrielle israélienne en me faisant
passer pour un homme d'affaires et j'en ai profité pour récupérer tous les
catalogues des usines qui y sont implantées", sourit Omar
Kaba. Si un produit illicite est découvert, il est saisi puis détruit et son
vendeur s'en sort avec une simple remontrance. En cas de récidive, il
s'expose à une amende qui peut atteindre 16 000 euros et une peine de 2 à 5
ans d'emprisonnement, selon un décret de la présidence palestinienne publié
le 27 avril. "Les
colons non seulement s'approprient une part de notre marché indûment, mais
ils détournent aussi nos ressources comme l'eau et la terre, à leur profit, affirme
Hitham Kayali, le directeur de la campagne de sensibilisation au boycott,
cofinancée par l'Autorité palestinienne et le secteur privé. Quand on achète le produit d'une
colonie, on rémunère le produit d'un vol." Israël
s'est aussitôt ému de cette initiative, le premier ministre Benyamin
Nétanyahou parlant d'"incitation
à la haine". Silvan Shalom pour sa part, ministre en charge
du développement régional, a mis en garde contre les retombées de cette
campagne, susceptible de mener à la fermeture d'usines où nombre de
Palestiniens sont employés. Dans les
territoires occupés pourtant, l'idée du boycottage gagne du terrain. Des
centaines de membres de la Shebiba, l'association de jeunesse du Fatah, le parti
du président Mahmoud Abbas, ont été recrutés pour diffuser et expliciter la
consigne. "C'est une
initiative tardive, très tardive, mais salutaire", dit Sam
Bahour, un homme d'affaires volontiers critique envers M. Fayyad. L'hypothèse
d'un "nettoyage" du marché d'ici à la fin de l'année paraît
optimiste, dans la mesure où beaucoup de Palestiniens, sous l'effet d'un
complexe, préfèrent acheter israélien plutôt que local. "Depuis le début de l'occupation,
en 1967, nous avons subi quarante-trois ans de conditionnement,
dit Sam Bahour. Il nous
faudra beaucoup de temps pour réajuster nos habitudes de consommation." Benjamin
Barthe |