AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Je vous plains d'être devenus des meurtriers

Gideon Lévi
 
Issa Suf, un militant pacifiste palestinien, écrit aux deux soldats israéliens à cause desquels il va passer le reste de sa vie en fauteuil roulant.

Il a pensé longtemps, durement, aux deux soldats qui se tenaient debout au dessus de lui, empêchant sa famille de lui porter secours, tandis qu'il gisait sur le gravier de l'allée, une balle logée dans la colonne vertébrale, sentant le sang se répandre dans son ventre et la paralysie le saisir.

« Debout, debout » hurlait un des soldats, mais il ne le pouvait pas. Quelques minutes plus tôt l'un d'eux lui avait tiré dessus, peut-être le blond mal rasé, peut-être le brun, il ne savait pas.

Une balle tirée de près, 20 ou 30 mètres, venant de la direction des deux soldats qui apparurent près de lui, descendant la rue. La balle déchira son épaule et entra dans la moelle épinière qu'elle fracassa, causant des dégâts internes.

Il se tenait debout près de sa maison, il appelait les enfants du village, pour les faire rentrer afin qu'ils ne soient pas atteints par les gaz lacrymogènes que lançaient les soldats.

Une balle qui changea sa vie en une seconde : Issa Suf sera paraplégique pour le reste de ses jours. C'était le 15 mai 2001, le jour de la Naqba , la catastrophe [1].

Il y a deux mois, le 15 mai de cette année, troisième anniversaire de l'incident, il a décidé d'écrire une lettre ouverte aux deux soldats anonymes. Il commence : « Je me souviens de vous, je me rappelle vos visages ». Il a maintenant décidé de rendre publique son histoire.

Suf, 39 ans, est un militant bien connu des cercles de la gauche israélienne. Wared, son fils de 3 ans et demi, s'accroche à lui. Le garçonnet est né peu avant l'incident et il n'a jamais vu son père debout sur ses deux jambes. Depuis quelques mois sa femme Faïssa est enceinte- par insémination artificielle, à cause de son handicap à lui- et le couple attend la naissance de jumeaux .

Ils vivent à Kharès, le village en face de la colonie-ville d'Ariel. La plus grande partie des terres du village a été expropriée pour permettre la construction de la colonie de Revava, et des zones industrielles de Barkan et Ariel-ouest . Maintenant le Mur, s'il est construit ici, menace les dernières terres.

Kharès est aussi un endroit qui a connu plus que sa part d' exactions par les colons. Selon Suf, depuis la venue au pouvoir de Sharon les colons s'en remettent à l'armée israélienne pour s'attaquer aux villageois, et ils ont arrêté leurs raids [2] .

Le village de 3000 habitants, avec des oliveraies et de jolies maisons, a perdu 4 de ses membres dont deux enfants depuis le début de cette Intifada. Les colons ont déraciné 2000 oliviers sur les terres du village, dont le plus jeune avait 50 ans. Pour les anciens, les arbres sont comme des enfants. Quand l'Intifada a commencé, notre village brûlait. Il y a beaucoup de colonies dans la région et notre village a la « chance » d'être sur des routes qui desservent les colonies, c'est peut-être pour ça qu'ils en ont particulièrement après notre village.

Suf a étudié le journalisme à Naplouse puis il a obtenu un diplôme universitaire en éducation physique en Jordanie. Il a travaillé comme prof d'éducation physique à Jéricho.

Il apprenait la non-violence à ses élèves, dit-il. Il est hanté par l'histoire du prophète Ali qui dégaina son épée après qu'un Juif lui avait craché dessus mais décida finalement de ne rien lui faire. La première année de l'Intifada nous avons cherché une méthode, une manière de résister, d'essayer d'arrêter ça [3].Avec son frère aîné, il avait pris langue avec des pacifistes israéliens : Nous ne croyons pas à la lutte armée. Les humains sont sacrés, tous les humains…, dit-il.

 

[1] la création en mai 1948 de l'Etat d'Israël qui entraîna l'exode de centaines de milliers de Palestiniens, chassés par les armes, la force et la terreur, devenus réfugiés.

[2] les colons s'attaquent systématiquement aux villages palestiniens, aux animaux et aux cultures, déracinant ou brûlant des oliviers pluricentenaires, tirant sur les villageois, afin de les amener à quitter leurs terres et se les approprier. Le village de Yanoon, au sud-est de Naplouse en est un autre exemple tragique, la population n'ayant pu revenir chez elle, après un départ forcé par le terrorisme des colons, que grâce à la présence permanente d'Internationaux dans le village.

[3] les attaques de plus en plus nombreuses par les Israéliens, colons et soldats, contre les Palestiniens et leurs biens.

Extrait d'un article de Gideon Lévi, journaliste à Haaretz
Sélection, traduction et notes : Claude Léostic, Afps

Source: http://www.france-palestine.org/article501.html

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